vendredi 24 janvier 2025

Par le bail d'une plume

Tiens donc un acquis pour honnête Jean-Baptiste Parmier (sosa 258) bâtier du Bourget, un de mes ancêtres en Savoie. Et me voilà partie scruter cet acte sur le registre du Tabellion de 1720, et aussi lorgner sur cinq autres documents.

Oyez, oyez : terrains disponibles, affaires à saisir !

En la place publique, par trois fois annonce a été faite, après les offices paroissiaux. Ainsi prévenus, les villageois ont repéré et réfléchi au sujet des lopins proposés.

Et là, en une belle journée de juin 1720, le seize précisément, les habitants intéressés se sont rassemblés.

© Musée du Louvre Anonyme 

Sont présents Jean-Baptiste Bertrand et Etienne Marquiot syndics du Bourget qui gèrent les affaires communales,

Venu du village voisin d’Avrieux, le notaire Jacques Girard (sosa 286) est là pour entériner les décisions en fonction du plus offrant.

Le premier acte concerne père-grand Parmier à qui les syndics « vendent à la meilleure forme que vente doit se faire huit modures de pré au lieudit Modon, pour une somme totale de 44 livres 12 sols, que ledit acheteur promet de payer la cense annuellement, avec un premier règlement immédiat de 5 livres 12 sols et ainsi de suite chaque année jusqu’au capital,  « investiture par la tradition de la plume accoutumée. »

Cet acte comme les cinq autres suivants sont établis par maître Girard, en la chambre de maître Geoffroy Magistry (Sosa 574) notaire du lieu et secrétaire de la communauté. Ce dernier ne peut intervenir, une sorte d’incompatibilité puisqu’il gère les affaires de la paroisse.

Ont trouvé leur bonheur avec quelques modures de pré, Jean-Baptiste Buysson feu Jean, Georges Buysson, Joseph Parmier feu Jean-Baptiste, derniers enchérisseurs.

Deux femmes ont enchéri pour leur moitié absente du pays, Suzanne Charve épouse de Pierre Parmier, et l’épouse non nommée de Jean-Baptiste Margeron, preuve que les messieurs font une procuration avant de partir.

Au détour des actes on découvre que la cense est versée à la communauté pour l’entretien d’un maître d’école pour enseigner la jeunesse, un détail intéressant.

La reprise de l’expression « investiture par le bail d’une plume à la manière accoutumée » m’a conduite à des recherches sur le net.

AD 73 Tabellion Termignon 1720 extrait 

Il fut un temps où la prise de possession d’un bien vendu se faisait par la tradition (dans le sens de remise) d’un bâton, d’une plume, d’une tige de chaume, d’une pierre ou d’une motte de terre.

Plus tard, l’écriture est venue servir de témoignage aux contrats d’aliénation, aux actes d’investiture ou de tradition. Le scribe, chargé de la rédaction de l’acte, pour ne plus être encombré dans son office par les symboles, faisait état dans l’acte de la mention « par le bail et la tradition d’une plume » et ainsi parfaire la transaction. 

En Savoie, dans les vallées de Tarentaise et ici en Maurienne, tout comme dans le Dauphiné voisin, la  survivance de ladite mention persiste en ce début du 18ème siècle. L'histoire ne dit pas si mon ancêtre Jean-Baptiste Parmier qui sait signer s'est vu remettre la plume utilisée par le scribe... 

Un pan de vie d'un village, de ses habitants, la rencontre de trois ancêtres. 



N.B.
La modure est une mesure de surface en Savoie

Sources 
AD 73 Tabellion Termignon 1720 2C 2343 vue 195 et suivantes 

L’Académie delphinale 1863
Société d'histoire et d'archéologie de Maurienne 1878

4 commentaires:

  1. Je ne connaissais pas la modure, ni cette coutume. On apprend toujours quelque chose d'intéressant dans ce blog !

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  2. Très intéressant billet. Des formules encore jamais croisées qui me seront moins opaques si elles se présentent au gré de mes promenades dans les liasses de notaires 😉

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  3. Mordure, voilà maintenant un nouveau mot à mon vocabulaire 😅

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  4. Bien que j'aie beaucoup d'ancêtres en Savoie, je ne connaissais pas — ou je n'ai jamais fait attention — à la tradition d'une plume.

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