samedi 18 septembre 2021

Louis Liénard salpêtrier

Soudain, à la lecture de l’acte que je viens de découvrir, ma curiosité a été piquée par le métier mentionné : le 13 novembre 1737 Marie Jeanne Liénard convole avec Vincent Ville, cette aïeule à la 8ème génération, est dite fille de Louis Liénard salpêtrier et de Marie Jonquoy. On est sous le règne du roi Louis XV, à Barisis aux Bois, sur les terres de la Généralité de Soissons.

Tiens donc, un ancêtre dont le métier tourne autour du salpêtre « sel de la pierre ou sal petrae » selon les alchimistes, et nitrate de potassium selon les chimistes. Le salpêtre est connu depuis longtemps pour ses propriétés explosives et on s'en servait pour faire de la poudre matière indispensable pour les fusils et les canons.

Là se limitent mes connaissances, autant profiter du rendez-vous ancestral pour questionner directement l’intéressé sur son métier. Je laisse divaguer mon esprit et m’évade dans le temps, me retrouve en lisière de forêt, dans un hameau de plusieurs bâtisses avec des habitants sur leur seuil et la mine inquiète, des hommes entrent et sortent un peu partout, une silhouette se détache et se dirige vers moi : Louis Liénard sans nul doute.


Hotte et claie

- Bonjour Monsieur, ose-je prononcer, disposez-vous de quelques instants pour m’éclairer sur votre tâche ? Ne soyez-pas étonné si je viens d’une autre époque, des curieux s’intéressent aux métiers ancestraux.

- C’est que je suis en mission… enfin … cela va me faire une petite pause, me marmonne mon ancêtre Louis d’une voix lasse, installons-nous sur ce banc.

Notre profession est réglementée, puisque la récolte du salpêtre et la confection de la poudre constituent un monopole d’Etat géré par une régie royale avec un représentant régional. Celui-ci, nommé aussi salpêtrier royal, délègue à des préposés également nommés salpêtriers la tâche de récolter le salpêtre.

- Vous suivez ? 
- Oui

- Le préposé ou ouvrier, comme je suis, reçoit un ordre de mission avec un itinéraire et un calendrier détaillé par les soins du subdélégué local.

Le salpêtrier du roi passe dans toutes les communautés, tous les deux ans et demi, entrant d’autorité dans toutes les maisons en disant « Au nom du Roi ! » Il fouille, et racle tous les murs pourris recouverts de salpêtre, pénètre dans les logis, les caves, les lieux bas, les écuries, les étables imprégnées de purin.

On dit que les salpêtriers causent bien du désordre, par la liberté qu'ils ont d'entrer et de travailler dans toutes les maisons, où ils croient trouver du salpêtre et dégradent les lieux. On est à la fois craint et respecté.

Gros soupir de Louis, un silence, puis il se reprend.


Outils du salpêtrier 

- Regardez mes outils de base : le pic, la pioche pour démolir les vieux murs dont les gravas contiennent du salpêtre, la pelle pour charger le tombereau ou la hotte, la masse pour écraser les plâtras et la claie pour filtrer les gravats.
 Vous êtes toujours intéressée ? 

- Oui évidemment cher ancêtre !

Louis Liénard me conduit vers les cuviers posés sur des chaudières où s’affairent deux autres préposés.


Cuvier et chaudière 

- Regardez, on a mis dans les cuviers les terres propres à salpêtre, en ménageant l’écoulement de l’eau en posant au fond des pierres ou du menu bois. Il faut de l’eau et remuer comme le fait mon collègue pendant un jour et demi, et faire bouillir les eaux-mères, les laisser reposer, et les remettre en chaudière.

- Donc pendant tout ce temps il faut alimenter les chaudières de bois ?

- Bien sûr, les paroisses doivent fournir le bois nécessaire, si elles n’en ont pas, elles l’achètent et prennent à leur charge le transport des cuviers et des fourneaux.

- Et après la seconde chauffe, que faîtes-vous ?

- Il y a « l’épreuve » formule mon interlocuteur !

Froncements de sourcils de ma part, nouveau silence de Louis, petit suspens.

Un peu goguenard mon aïeul : ce sont quelques gouttes sur une assiette, si cette liqueur se fige le sel est extrait.

- Et ensuite quelle est l’opération ?

Bassin et couvercle 

- Avec le puisoir en cuivre rouge et manche en bois on recueille le salpêtre issu de la chauffe pour le mettre dans un bassin de cuivre rouge aux fins de cristallisation. Un couvercle de paille est posé sur le bassin pour ralentir le refroidissement de la liqueur et favoriser l’arrangement du salpêtre.

Curieuse personne, en confidence, j’ajoute une astuce qui se transmet entre bon salpêtrier. Pour connaître si les terres, pierres ou autres matières sont chargées de salpêtre, il faut les pulvériser, les goûter sur la langue ; si l’on y trouve une saveur salée, à laquelle succède de la fraîcheur, elles sont propres à être lessivées.

Allez, je dois reprendre ma tâche, vous me direz si mes propos suscitent des vocations.

Mentionné salpêtrier en 1737, Louis Liénard est deux fois mon ancêtre, par sa fille Marie Jeanne et aussi par son fils François, un oncle exerçait ce métier et de même le parrain d’un de ses enfants ayant le même patronyme.


Sources 
AD 02 Barisis BMS
Wikipedia
Encyclopédie de Diderot et d'Alembert : 
Edition Numérique Collaborative et Critique ICI
Images extraites de ladite Edition 



samedi 11 septembre 2021

Sommaire enquête pour un baptême

Lacunes dans le registre : mots honnis et terreur pour le généalogiste, mais avez-vous pensé à la situation des intéressés de leur vivant ? Que devaient-ils faire pour prouver leur existence devant Dieu et les hommes ? Suivez le mode d’emploi du Révérend Cordel qui sortit de l’ornière Pierre Badin natif de Montgilbert en Savoie. 

Le mémoire du chanoine, en français, est inséré dans les actes en latin, il constitue un intéressant instantané sur une paroisse de mes ancêtres, en faisant certes abstraction de répétitions inhérentes à ce type d’acte

AD 73 Montgilbert BMS 


« Sommaire enquête faite par le RD Claude Cordel prêtre chanoine du chapitre d’Ayguebelle official du district du même lieu aux faits du baptême de Pierre à feu Georges Badin de la paroisse de Montgilbert 

L’an mille sept cent cinquante deux, et le douze février, au lieu d’Ayguebelle dans ma maison canoniale, et dans l’enclos du chapitre Sainte Catherine d’Ayguebelle, 



A comparu par devant moi, honnête Pierre à feu Georges Badin, natif de la paroisse de Montgilbert, et demeurant à la croix d’Ayguebelle, paroisse de Bourgneuf, 

lequel m’aurait représenté, qu’ayant fait chercher dans l’église paroissiale dudit Montgilbert, et aux archives dudit chapitre d’Ayguebelle, les registres de baptême de feu Rd Baptiste Didier vivant pour lors curé de ladite paroisse de Montgilbert, 

pour avoir une expédition de son baptême, dont il a grand besoin, tant pour gérer ses affaires, que pour espérir ? ses droits et prétentions, envers ses …? détenteurs de ses biens. 

Ses diligences recherches ayant été inutiles et, sur l’assertion qui lui a été faite, que les registres dudit feu Rd Didier ont été perdus et égarés, il m’aurait prié et requis de vouloir procéder à l’audition de deux témoins idoines, savant du fait, circonstances, et dépendant de son baptême, 

Et m’aurait à cette fin produit honnête Pierre à feu Catherin André et Barthélemy à feu André Rivet tous deux natifs et habitant ledit Montgilbert, témoins de probité et par moi connus, qui après serment dûment entre mes mains sur les saintes écritures, séparément touchées l’un après l’autre, et leur avoir expliqué l’importance d’iceluy, et les peines qu’encourent les parjures, tant en ce monde qu’en l’autre, ouï et examiné sur le baptême dudit Pierre Badin, 

Et promis et juré de bien fidèlement déposer et rapporter selon Dieu et conscience, et ont rapporté comme s’en suit : 

Savoir Pierre André dit et dépose qu’en l’année mille sept cent onze, le quinzième jour de janvier, ne se souvenant pas de l’heure mais bien du jour, à cause de la solennité que l’on fait ledit jour dans l’église du chapitre d’Ayguebelle en l’honneur de Saint Maur (1) où il y a une grande dévotion et concours de peuple, et où une grande partie des habitants de notre paroisse sont en coutume de se rendre, pour invoquer ce Saint, 

il vint au monde ce jour une enfant dont accoucha la Clauda Maillet femme dudit Georges Badin, mère dudit Pierre dont il s’agit, ce que sais de science certaine que l’on ait appelé de la part de la Clauda Maillet, la Françoise Durand qui était chez moi et qui étais venue pour se rendre en qualité de sage-femme ses charitables secours à ma femme qui avait aussi accouchée d’une fille, 

Et dit et rapporte que l’enfant dont accoucha la Clauda Maillet et femme dudit Georges Badin et dont il devait être le parrain, fut porté à l’église ledit jour et qui fut baptisé et appelé Pierre, ce que je sais précisément pour être leur plus proche voisin, et que le nommé Pierre Maillet dit Raton fut son parrain et que c’est le même qui est aujourd’hui en existence et qui m’a requis mon témoignage. 

Barthélemy Rivet dépose et rapporte, qu’étant ouvrier journalier me souvenir qu’étant allé aider à Georges Badin père dudit Pierre dont il s’agit, à battre son blé en l’année mille sept cent onze le quinzième jour que l’on fait fête au chapitre d’Ayguebelle où il y a une grande dévotion en l’honneur de St Bon et St Maur et où se rendent de toutes les paroisses voisines un grand nombre de personnes et notamment de la paroisse pour y implorer le secours du ciel par le mérite et l’intérêt de ce saint, 

j’entendis depuis la grange où je battais le blé depuis la maison beaucoup de bruit et des cris pitoyables dans ladite maison y accouru pour y voir ce que c’était, l’on me dit que la Clauda Maillet femme de Georges Badin venait d’accoucher d’un enfant que je vis entre les mains de Françoise Durand sage-femme de notre paroisse, que l’on portât baptiser à l’église, et dont le nommé Pierre Maillet dit Raton fut parrain, tout ce que dessus et rapporte, pour être savant du fait, et que ledit Pierre Badin vivant aujourd’hui est le même que j’ai vu naître, et qui a été baptisé par feu Rd Didier pour lors notre curé et autre dit ne savoir. 

Ensuite de quoi j’ai interrogé lesdits témoins pour savoir leur âge, profession, valeur de leurs biens et s’ils ne sont point parents, alliés, créanciers, débiteurs, ou domestiques des parties, et s’ils n’ont point commis pour rendre leurs dits témoignages 

Ont répondu savoir le Pierre André j’ai presque soixante et dix ans, j’ai environ dix mille livres en biens fonds, je suis encore un peu parent audit Pierre Badin mais de loin et pour de loin au 5e ou 6e degré sans savoir comment, je ne suis ni créancier, ni débiteur, ni domestique et je n’ai point été commis pour faire ma disposition 

Barthélemy Rivet j’ai environ septante ans, j’ai environ deux cent livres en biens fonds, je ne suis point parent, allié, créancier, débiteur ni domestique dudit Pierre Badin, je n’ai point été commis, ni par respect humain, ni par autre manière de rendre mon susdit témoignage. 

AD 73 Montgilbert BMS 
J’aurais fait lecture aux susdits témoins de leurs susdits témoignage et les ai interpellés s’ils veulent persister, ajouter ou diminuer et nous y persistons et pour être illettré de ce enquis ont chacun fait leur marque ordinaire, et moi soussigné ai mon office envoyé et expédié au présent audit Pierre Badin le requérant, 
A Ayguebelle, ce susdit douze février mille sept cent cinquante deux. » 

J’adore la formulation de la parenté entre le requérant et le premier témoin Pierre André fils à Catherin André qui est un lointain collatéral. 

Précieux sésame que ce mémoire valant certificat de baptême pour Pierre Badin, qui confirme formellement la perte des registres du Révérend Didier. 


Source
AD 73 BMS Montgilbert 3E 356 vues 159/160
http://www.archinoe.fr/v2/ark:/77293/0422d52bfaf9fb89


(1) le15 janvier est fêté Saint Maur patron des charbonniers et chaudronniers 
Disciple et successeur de saint Benoît, Saint Maur était abbé de Glanfeuil sur la Loire en Anjou