samedi 16 avril 2022

Laisser derrière soi

Elles miroitent au loin ces fières Aiguilles d’Arves, à plus de 3500 mètres d’altitude, emblème de la Maurienne, la plus belle trilogie des Alpes selon l’anglais Coolidge qui en fit la première ascension en 1878.

Un peu en contre-bas - comme déposée sur une butte arrondie, l’église Saint-Nicolas de Montrond, paroisse de Savoie, témoigne de la piété des hommes.

Montrond  © Montrond Tourisme 

Ne soyez pas étonnés d’un rendez-vous à Montrond, village dont Jean Claude Roche est natif. Rappelez-vous, lors d’une quittance mutuelle signée à Modane, j’avais déniché ce lointain ancêtre marié à Dominique Clappier, veuve d’un vieux barbon, flanqué de beaux-enfants et tuteur de ces derniers.

Inévitablement, je suis allée à la rencontre de l’enfance de cet ancêtre fils de Balthazard Roche (sosa 600) et à la rencontre des siens, à Montrond, village niché à 1400 mètres d’altitude avec 300 à 400 habitants tout au plus.

Alchimie curieuse de pages tournées, d’indices grappillés, d’éléments de documentation et voilà une série de séquences qui défilent, et s’animent.

AD 73 extrait carte Maurienne

Balthazard Roche feu Jean-Baptiste, vos parents et amis, vous me semblez encore présents dans votre église paroissiale de montagne au modeste volume, un simple rectangle mais avec un portail en tuf bien taillé selon les accords passés en 1674 par les « communiers » avec un maître-maçon du Val Sesia (1), église consacrée en 1677 par l’évêque de Maurienne.

Vous tous, simples communiers, dans cet élan de piété et de diffusion de l’art baroque, comment avez-vous pu passer et honorer tous ces contrats avec les artistes locaux, pour le riche décor de chœur, le retable, les tableaux et la poutre de gloire. Je sais que le clergé vous incitait à témoigner votre foi et à penser à votre salut, mais vous aviez si peu.

Dans cette petite église Saint-Nicolas, conservée et restaurée, Balthazard Roche je vous vois recevoir le baptême en 1662, nouveau-né de Jeanne Sibué votre mère, puis je suis présente à votre mariage avec Françoise Grand en 1683, et de même lorsque vos fils à leur tour furent tenus sur les fonts baptismaux.

***

Votre quotidien Balthazard, celui de vos parents et amis, est rythmé par les saisons, le travail aux champs l’été, et les soins au bétail.

En hiver, qui dure la moitié de l’année, votre horaire est tributaire de votre bétail, très tôt le matin il vous faut nourrir les vaches et les traire, à midi, vous occuper des porcs, puis dans l’après-midi œuvrer pour le nouveau repas de fourrage des vaches. Et le soir Balthazard, il vous faut « ranger » les animaux de l’étable, c’est-à-dire les soigner, encore traire, et « couler » le lait dans le chaudron.

Oh, j’ai bien saisi qu’en hiver, lorsque la bourrasque accumule la neige mètre par mètre contre les murs des maisons de pierre, l’horaire des repas des gens ne peut s’écarter de celui des animaux.

Repas frugaux pour votre famille Balthazard, servis dans une écuelle de terre cuite, avec seulement une cuillère pour avaler, matin et soir, la soupe préparée par Françoise, sorte de bouillie de farine de seigle et d'orge, arrosée d’un peu de lait, dans laquelle vous trempez tous du pain noir et dur cuit deux fois l’an.

Un peu de lard le dimanche j’espère, voire du chou seul légume qui pousse en altitude, ce n’est pas encore l’époque de la pomme de terre, ni celle de la diffusion de la farine de maïs pour faire la « polente ». Une fois le repas achevé, vous relevez la table fixée au mur par des charnières, pour éviter que les poules y grimpent !

Eh oui, dans la pièce unique partagée avec tout le bétail, contre le mur de l’étable des lits superposés pour votre repos, à proximité des vaches, des moutons et volaille, hommes et bêtes vivant ensemble se tiennent chaud.

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Et lors de ces longues journées d’hiver à Montrond, j’imagine les femmes filant et tissant le chanvre, préparant les trousseaux de leurs filles, et vous messieurs, adroits de vos mains, travaillant le bois pour confectionner des sabots, des seilles (2) et des bouteilles de bois.

Et lors des veillées hivernales, j’imagine l’évocation des absents du pays, émigrés le temps de la mauvaise saison ou plus, marchand mercier par exemple,

A trop écouter les récits de ceux tentés par l’aventure d’un ailleurs, un jour vers 1715 - paysage, lieu et famille - furent abandonnés par Jean Claude Roche fils de Balthazard, pour démarrer sa vie d’homme à Modane.

Cliquer pour agrandir 



Retrouver cette famille

(1) les communiers sont les habitants d’une paroisse en Savoie et le Val Sesia est une vallée alpine italienne au nord de Turin

(2 la seille est un seau en bois, les bouteilles de bois sont destinées au village proche de Saint-Julien qui a des vignobles


Sources
AD 73 BMS Montrond - St-Jean d'Arves
Indices trouvés sur Geneanet et vérifiés
Ancien site Sabaudia Histoire de Montrond

jeudi 7 avril 2022

Bisbille fatale au village

Naviguer entre plusieurs sources : une dose de presse ancienne, un soupçon de registre d’état-civil, et voilà mon clavier qui se réveille pour relater une bisbille fatale dans un lieu où vécurent mes ancêtres.

Un article pioché dans « Le Guetteur de Saint-Quentin et de l’Aisne du 24 octobre 1897 » avec des tournures un peu datées, mais un vocabulaire précis, permet au lecteur d’imaginer l’incident malencontreux, dont un des protagonistes est un lointain collatéral.


« Une scène de meurtre, qui a été bientôt connue dans le village de Barisis, où elle a, comme bien on pense, défrayé les conversations depuis quelques jours, s’est produite mardi, vers 3 heures de l’après-midi, aux abords de la ferme de Buin, exploitée par la société sucrière de Barisis.

Deux ouvriers, Louis-Edouard Painvin, âgé de 57 ans, et Constant Jérôme dit Lucas âgé de 69 ans, tous deux demeurant au hameau de Berganouste, travaillaient avec divers camarades à l’arrangement d’un silo de betteraves sur le bord de la route.

Ils avaient pris le café ensemble à midi, mais selon, la détestable habitude de beaucoup de gens qui s’imaginent qu’un café sans goutte ne vaut pas le diable, ils avaient fortement assaisonné leur breuvage. Ils étaient donc assez excités lorsqu’ils reprirent leur travail, et une dispute sans importance s’éleva entre eux. On s’envoyait des mots piquants, on se répondait de même, Jérôme, à moins que ce ne soit Painvin qui avait commencé, en vint à reprocher à Painvain d’avoir été condamné pour vol, l’autre riposta qu’il l’avait été lui-même pour braconnage, et tout aussitôt, on passa aux violences.

- Répète un peu dit Jérôme, et ce disant, il éleva sa grande fourche qui sert à pelleter les betteraves, et il en porta, à plat, un furieux coup à la tempe gauche de Painvin, Painvin tomba à la renverse, mais cette chute ne calma pas Jérôme, qui envoya dans la poitrine de son camarade deux coups de pied.

On s’empressa autour de ce malheureux, on le releva et comme la tête paraissait ne plus tenir sur les épaules, on s’imagina qu’il avait les vertèbres cervicales brisées. M. le docteur Prévot, de Chauny, mandé par dépêche, constata que Painvin avait été assommé et que si la mort n’avait pas immédiatement suivi, elle était fatale. Painvin en effet est mort vers 5 heures du soir, sans avoir repris connaissance.

M. le maire de Barisis, informé du meurtre, fit les diligences désirables et mercredi matin, M. Carré, juge de paix, son greffier et cinq gendarmes de la brigade de Coucy arrivaient aux Carrières, où ils procédaient aux informations judiciaires.

Jérôme qui s’était enfuit et était rentré dans la nuit à son domicile, a été arrêté sans résistance. Ce n’est point paraît-il un mauvais homme, il était très camarade avec Painvin, mais tous deux avaient la réputation de se livrer à la boisson ».

Dans le registre d’état-civil de Barisis aux Bois, à la date du 19 octobre 1897, figure la déclaration de décès d’Edouard Painvin faite par son beau-frère et le garde-champêtre. Le malheureux manouvrier décédé à son domicile, était le fils de Théodore Painvin et Louise Gosset, et s’était marié dans le village avec Marie Félicité Aimable Pétral. L’acte dressé par le maire est réglementaire et ne comporte aucune allusion aux causes du décès.

Je ne sais ce que furent les conclusions de l’enquête, et si le dénommé Jérôme, auteur de coups et blessures sans intention de donner la mort, passa en jugement.

Toujours est-il que mon lointain collatéral Auguste Constant Jérôme âgé de 77 ans (en fait 73 ans) est présent au village voisin de Folembray, lors du remariage le 6 juin 1903, de son fils prénommé Paul Jérôme Jérôme (sic).

La signature du père est particulièrement hésitante dans tous les actes le concernant, qualifié de carrier puis de manouvrier, il est possible que sa manie de braconnage ait été transmise à son fils prénommé Paul Jérôme si on se réfère aux annotations de la fiche matricule de ce dernier…

Mon trop dynamique collatéral Auguste Constant s’avère être le fils de Marie Catherine Rosalie Héry vaillante héroïne du billet la femme le carrier et le chevreuil, passez donc la voir !



Sources
Gallica : presse ancienne
AD 02 Etat-Civil Barisis et Folembray
AD 02 Fiche matricule
Geneanet arbre gdubray1