mercredi 28 avril 2021

Des petits êtres fragiles

Les naissances multiples, tel est le généathème d’avril, proposé par la dynamique association Geneatech.

Chaque village possède sa sage-femme, soumise au contrôle du curé, qui doit vérifier qu’elle est capable d’ondoyer le nouveau-né en danger de mort et veiller qu’elle ne se livre pas à des pratiques abortives ou infanticides.

« On exhortera soigneusement les femmes enceintes de communier souvent pour se disposer à la mort, à laquelle elles sont exposées, et là où les prêtres sont en coutume d’aller bénir les accouchées, ils ne leur mettront l’étole ni sur la tête, ni sur le col, ni autrement »

Cet extrait du texte des Constitutions synodales de Saint François de Sales rappelle que l’accouchement représentait alors un péril de mort. Dans les cas les plus favorables, la matrone se borne à laisser faire la nature et à encourager la parturiente. Si l’enfant se présente mal, elle demeure souvent impuissante, faute de connaissances et l’accouchement tourne au drame.


Eglise d'Avrieux - photo personnelle 

Après ce rappel un peu austère, et hélas réaliste, concernant toutes les mères de nos arbres, je vous invite à prendre la route de la Savoie pour un village de montagne en Maurienne.

Il me revient en mémoire la naissance de triplées à Avrieux, en l’an de grâce 1648, le 22 juillet exactement, au foyer de Claude Pascal maréchal et son épouse Barbe.

Trois petits êtres fragiles : Andrée, Françoise, Magdeleine

J'imagine l'effervescence au foyer de mes ancêtres à la 11ème génération, Barbe se doutait-elle d’une possible naissance multiple, elle qui avait déjà eu des enfants, dont François Pascal mon ancêtre. Barbe veuve de Denis Lafaux, s’était remariée avec Claude Pascal en 1634, peu de temps après la grande épidémie de peste de 1630.

J’imagine l’effervescence à trouver de toute urgence trois parrains et trois marraines, pour présenter tout de suite au baptême ces petits êtres fragiles : trois petites filles emmaillotées. Les maisons du village sont groupées, à deux pas de lieu de culte.

Je les vois tous s’engouffrant dans l’église Saint-Thomas Becket d’Avrieux, les marraines tenant avec précaution Andrée, Françoise et Magdeleine : elles ont alors un souffle de vie lorsqu’elles reçurent le baptême le 22 juillet 1648.


AD 73 BMS Avrieux 3E 299 v37

Le prêtre a détaillé l’acte de baptême et précisé les noms des parrains et des marraines pour les trois enfants. Sur la seconde page de registre, au même jour, il inscrit le décès de ces petits êtres si fragiles : un souffle de vie de quelques heures.

Barbe survivra à cette naissance et aura au moins un autre enfant : Agnès baptisée en 1652

Restons à Avrieux, où un siècle plus tard dans cette même église - qui entretemps est devenue un des joyaux de l’art baroque savoyard – Anne et Joseph les jumeaux de François Porte et Marie-Françoise Parmier sont baptisés le 17 février 1762.

AD 73 BMS Avrieux 3E 299 v251

Joseph Porte mon ancêtre à la 7ème génération fait partie de ma lignée agnatique, de sa sœur jumelle je ne sais rien, sa grande sœur Marie convolera en justes noces en 1771, lui épousera en 1783 Catherine Pascal. Je lève le suspens tout de suite, j’ai plusieurs branches Porte et Pascal sur Avrieux et me suis fait une raison !

AD 73 BMS Modane 3E 346 v59

Allons non loin de là, toujours en Haute Maurienne, à Modane naissent le 17 septembre 1683 des jumeaux Claude et Pierre, deux garçons d’égrège Mathieu Audé et Sébastienne Martin son épouse. Seul le devenir de Pierre Audé mon ancêtre m’est connu.

Sébastienne la maman avait-elle une ceinture bénie en guise de talisman pour s’assurer de couches faciles et heureuses, elle aura 2 autres enfants.

AD 73 BMS Modane 3E 348 v38

Un petit saut dans le temps et toujours à Modane le 6 avril 1757 Marguerite et Jeanne-Marie poussent leur premier cri au foyer de Jean-Baptiste Bernard et Anne Long, couple d’ancêtres mariés depuis 9 ans.

Mille excuses Jeanne-Marie Bernard mon aïeule, si je n’ai pas encore cherché le destin de ta jumelle, et toute ta fratrie, ni étoffé la ligne de vie de tes parents, il va falloir m'y atteler !

Juste un petit tour dans un coin de mon arbre, quelques lignes sur certaines naissances multiples, et la citation de Nicolas Boileau semble de rigueur ; 

« hâtez-vous lentement, et sans perdre courage, vingt fois sur le métier remettez votre ouvrage, polissez le sans cesse et le repolissez, ajoutez quelquefois et souvent effacez. »




N.B : Egrège : avant-nom en Savoie, terme synonyme de sieur ou honorable, usité pour les professions du droit comme les notaires 

Sources
- AD 73 BMS Avrieux et Modane
-  Relevés GénéMaurienne pour Modane 
- Roger Devos, François Martin, Mc Intyre : 
  Vie et traditions populaires Savoyardes 



samedi 17 avril 2021

Cousine Mathilde racontez-moi

Voilà que la silhouette entrevue se fond dans l’opacité du temps, et s’esquive. Discrétion, manque de temps, ou côté taiseux, j’ai tout juste un signe de dénégation de la main. S’agissait-il vraiment de Jean Pierre Arnoux mon arrière-grand-père époux de Noémie Lagier, pourtant cet ancêtre dans un souffle m’a suggéré : vas voir Mathilde.

Mathilde, serait-elle bavarde, disponible ?
Cousine Mathilde, pour ne rien vous cacher.

En ce jour de rendez-vous ancestral, je me dirige un peu plus loin dans le hameau des Dorelons à Montmeyran.

Sur le pas d’une porte, comme guettée, un signe de main d’invitation de ladite Mathilde m’enjoint à pénétrer, très avenante, un petit bout de femme d’une bonne soixantaine d’années, tout est bien ordonné dans le logis, un calendrier des postes au mur m’indique que je suis en 1924.

- Je vais faire du café, là pas loin de la cuisinière et de la fenêtre on sera bien pour papoter m’énonce mon hôtesse. Un rêve récent - encore en mémoire - me laissait entendre que quelqu’un s’était intéressé à Marie Arnoux ma belle-mère et à son époux fontainier. Qui êtes-vous, enfin qui es-tu si nous sommes parentes ? Non prends plutôt la chaise avec le coussin, et expliques moi tout.

- Pour faire court et simple, je suis une petite-fille d’Isabelle Arnoux et je vous ai rencontrée lors de son mariage en 1912 avec Emile Mercier, où vous étiez témoin en tant que cousine, sous le patronyme de votre époux Henri Edouard Deffaisse.
Si j’osais, racontez-moi, racontez-vous.

Convaincue ou pas de se livrer ma chère cousine Mathilde, Lambert de son patronyme de naissance, elle tourne et vire autour de la cafetière, sert le breuvage, s’installe, hésite.

- Originaire d’Aouste-sur-Sye à 20 kilomètres d’ici, je m’y suis mariée avec mon pauvre Edouard en 1902, un jour d’hiver, son père souffrant n’a pu se déplacer, j’avais déjà 40 ans et nous n’avons pas eu d’enfants, je me suis retrouvée seule en 1910, il m’a fallu recourir à une personne pour exploiter les terres.

- Mais tu le sais bien il y a tant eu de malheurs avec la dernière guerre, tant de douleur autour de nous, et partout dans le pays. Moi qui avais assisté au mariage de tes grands-parents tous deux instituteurs, c’était une belle journée, journée d’espoir.

- Regardez Mathilde la copie de l’acte, les signatures à la fin, celle de mon arrière-grand père paraît hésitante ce jour-là, peut-être l’émotion ou des problèmes de vue.
Vous-même, comme Isabelle Arnoux, signaient de votre nom d’épouse, mon grand-père a une signature nerveuse tout comme celle de son beau-frère René Picard époux de tante Nésida !
Faute de photo de la noce, je ne peux que me rabattre sur ce témoignage d’un jour de bonheur.
Racontez-moi Mathilde, souvenez-vous, si seulement …

- Mon petit doigt, m’a dit que tu as écrit sur tes grands-parents instituteurs à Braine où avec le conflit Isabelle s’est retrouvée seule pendants 4 longues années avec sa petite Jeanne. Emile ton pauvre grand-père disparu à Verdun, sa petiote était chétive lors de son arrivée ici : tout son entourage était soucieux.

Hé oui, dans notre village on a eu des réfugiés de l’Aisne dont les maisons étaient détruites, venus de Barisis il y avait tes arrière-grands-parents paternels, on a gardé des liens depuis qu’ils sont rentrés dans leur région dévastée.

Silencieuse d’un coup, très pensive mon interlocutrice, dont les souvenirs remontent à la surface et se bousculent : seul le tic-tac de la pendule dans la pièce.

Oserai-je sortir de ma pochette, une carte rescapée des hasards des transmissions, précieuse carte d’un vieil album de mon arrière-grand-père paternel Jean-Baptiste Adolphe Mercier ?

Une carte du 9 janvier 1925 écrite dans le Diois par cousine Mathilde qui séjournait chez des amis, elle répond à une lettre de vœux et s’excuse pour le retard lié à un rhumatisme du bras qui s’est estompé après une bonne friction. Cette carte est le dernier témoignage de son auteur, dont je perds la trace ensuite, adressée à Barisis dans l’Aisne, elle a plusieurs cachets, car elle a été réexpédiée chez M. Lescouet à Saint-Michel, donc un beau-frère chez qui mon arrière-grand-père devait séjourner à ce moment-là.

Modeste correspondance entre les personnes, modeste souvenir, des séquences en sépia qui défilent dans l’esprit de Mathilde, de son destinataire, de sa collatérale ou descendante et détentrice : exploiter le moindre indice pour sortir de l’opacité du temps, l’espace de quelques minutes.


                                                                                                  Retrouver  



Sources 
AD 26 EC Montmeyran et Aouste-sur-Sye
Document familial 

samedi 10 avril 2021

Marie Arnoux et le fontainier

Mise en lumière de Marie Arnoux une de mes arrières-grand-tante du côté maternel qui naquit un jour de printemps le 27 mai 1839. Le lendemain son père Pierre Arnoux, cultivateur domicilié à Montmeyran, s’en alla déclarer à la mairie la naissance de son premier enfant, fille de son épouse Catherine Marie Clément.

Le couple s’était uni 3 ans auparavant au même lieu dans la Drôme, lui était fils de Jacques Arnoux et Marianne Savoye, elle était un enfant de Claude Clément et de Catherine Sayn protagonistes déjà évoqués dans des billets.




Tante Marie partagea ses parents avec son frère Jean Pierre né en 1842, le temps s’écoula au hameau des Dorelons, l’un et l’autre allèrent à l’école.

Et puis, et puis, au même hameau demeurait une famille avec 3 garçons et 1 fille dont le père était maçon et fontainier, tous installés vers 1845, le recensement de 1851 révèle la composition de la maisonnée Deffaisse à 2 pas de celle de mes ancêtres.

Et puis, et puis, Marie Arnoux aimait la couture, Elisabeth Deffaisse couturière demeurait juste à côté, Henry Deffaisse son frère avait vu grandir Marie : pourquoi chercher plus loin.


AD 26 Montmeyran 1851 extrait recensement 

Et puis, et puis, un vendredi 7 décembre 1855 à cinq heures du soir était célébré le mariage civil d’Henri Deffaisse maçon de 30 ans révolus fils de Pierre et de feu Elisabeth Deffaisse avec Marie Arnoux tailleuse en robe âgée de 16 ans révolus. L’horaire tardif m’a étonnée surtout en hiver, ainsi que la jeunesse de la mariée et sa différence d’âge avec l’heureux élu ; la cérémonie religieuse au temple a du se tenir le lendemain, suivie du repas de noces.

Pas de mauvais esprit : le seul enfant du couple Henri Edouard naîtra en 1858 trois années plus tard.

Instructif est le recensement de 1856, Marie du haut de ses 18 printemps y figure, avec son époux, son beau-père, 2 beaux-frères, et 1 apprenti, une lourde tâche que gérer la tablée de ces éléments masculins.

AD 26 Montmeyran 1856 extrait recensement


Alors Oncle Henri si tout un chacun situe fort le métier de maçon, comme vous avez aussi la casquette de fontainier, qu’en est-il de cette tâche ?

Bon d’accord dans votre cas, la fontaine est prise dans le sens de source. En tant que fontainier vous faites des sondages pour amener les eaux souterraines à la surface du sol, creusez des fossés, construisez des conduites et des regards sauf erreur de ma part, ainsi que des bassins.

Importance de l’eau et de sa distribution, d’autant qu’à Montmeyran jusqu’au début du 20 ème siècle le village ne disposait pas de l’eau courante. Les habitants tiraient l’eau du puits, du lavoir ou de la fontaine pour le nettoyage, la lessive et la cuisine.

Vous étiez privilégiés au quartier des Dorelons en raison de la proximité de la source des Petiots, la desserte en eau de votre maison, comme celle des parents de votre épouse, était assurée dès le dernier quart du 19ème siècle.

« En 1874, 46 propriétaires demeurant dans le centre du village et aux Dorelons s’associèrent pour acheter les adductions d’eau potable d’une source privée située au quartier des Petiots.

En 1895, les statuts du Syndicat des Eaux et Fontaines de Montmeyran sont déposés chez le notaire Marius Ferlay par les 46 propriétaires ».

« Les copropriétaires sur le trajet de l’eau en disposaient gratuitement et en payait que les travaux d’entretien ou de réfection ».

Tante Marie, le temps passant, les enfants de votre frère Jean Arnoux avec Noémie Lagier égayèrent les alentours. Avec le décalage des naissances, votre nièce Nésida naquit en 1879, l’année où son cousin germain, votre fils, partit à l’armée pour 4 ans et pris la direction du 18ème bataillon de chasseurs à pied.

Il avait grandi votre fils Henry Edouard, enfin pas trop, tout juste 1 mètre 59, cheveux et yeux châtains, un gros nez et un menton rond, avec une bonne instruction, il se déclare fontainier lors de son incorporation.

Tante Marie, j’imagine votre souci de le savoir au loin, et m’interroge sur sa santé, car il fut réformé par la commission de réforme départementale de Grenoble en 1892 pour infirmités ne pouvant être attribuées au service militaire.

L’été le dimanche, à l’ombre des platanes pour éviter la canicule, avec le clapotis de l’eau du bassin, vous devisiez Tante Marie et Oncle Henri sur l’avenir de votre fils unique pas trop pressé de s’établir, quelle serait la fiancée, et quand ?

Henri votre époux aura le temps de donner son accord au mariage de votre fils en 1902, juste avant de s'éteindre, vous le suivrez dans l'haut-delà en 1907, et laissez donc votre belle-fille prendre le relai pour quelques confidences. 

Juste quelques lignes sur des collatéraux proches de ma grand-mère maternelle Isabelle, collatéraux dont je ne savais rien avant de me lancer dans l’aventure de La Ronde des Ancêtres.

Cliquer pour agrandir l'image



Retrouver dans des billets


Sources    

Montmeyran au siècle dernier Editions Mémoire de la Drôme ; citation et extrait de plan 
AD 26 Etat-civil et recensements Montmeyran
AD 26 Fiche matricule