samedi 27 mars 2021

Origine et poésie des cloches

Le quotidien de nos ancêtres dans leurs villages de campagne ou de montagne, ou dans leurs bourgs ou cités était rythmé par les sonneries des cloches de leur église paroissiale. Au fait ces cloches, de quand datent-elles ?

Un bulletin de 1886 de la Société académique de Chauny dans l’Aisne m’a permis de découvrir que pendant les trois premiers siècles de l’ère chrétienne, l’évêque donnait l’heure de la prière, et la parole était portée dans les maisons des initiés par des diacres appelés cursores.

Quand l’Eglise du Christ fut libre, les cursores se servirent de crécelles, soit d’une planche sur laquelle ils frappaient avec un marteau, ou encore d’une plaque de fer et d’un marteau de même métal. Ils parcouraient toute l’étendue de la paroisse, comme le firent ultérieurement les enfants de chœur pendant les trois jours de grand silence de la Semaine Sainte, annonçant en chantant les offices divins.



L’usage des cloches ne s’introduisit guère dans les églises d’Occident que vers la fin du Ve siècle. Les cursores devinrent les sonneurs. On attribue à Saint Paulin évêque de Nole en Campanie l’initiative de cette innovation.

Aux VIe et VIIe siècles les cloches furent en usage partout dans l’Eglise Romaine, les églises rivalisèrent de zèle pour se procurer des cloches, mêmes les églises rurales ou conventuelles. Les églises furent flanquées de tours parfois gigantesques et les clochers dotés de nombreuses cloches. A un moment, le Souverain Pontife légiféra : un seule cloche dans les monastères pour sonner les offices, puis les églises cathédrales ne purent pas avoir plus de 5 à 7 cloches, les collégiales pas plus de 3, et les simples églises paroissiales plus de 2 au 3…

Il est d’usage de bénir les cloches d’Eglise, bénédiction appelée baptême des cloches dans le langage populaire. Le prêtre asperge d’abord la cloche avec de l’eau bénite, et ses ministres la lavent entièrement, par dedans et par dehors, avec la même eau, puis ils l’essuient avec un linge blanc.

Le prêtre fait ensuite 7 onctions en croix sur l’extérieur de la cloche qui représentent les 7 dons du Saint-Esprit, en employant les saintes-huiles. Puis il fait 4 onctions à l’intérieur qui marquent la plénitude de ces mêmes dons, avec du saint-chrême. Quant à l’encensoir placé sous la cloche, il signifie que le pasteur doit recevoir les vœux et les prières des fidèles, et les offrir à Dieu.


Les cloches se mêlant à tous les actes importants de la vie ont une voix pour toutes les circonstances. Elles chantent la naissance à la vie spirituelle lors du baptême, elles accompagnent par des chants joyeux lors de la première communion.

Leur voix devient plus grave et plus sérieuse lorsqu’elles appellent au pied de l’autel les deux époux qui vont unir leurs destinées. Elles pleurent presque dans leurs notes sourdes et voilées, lorsqu’elles ont un trépas à annoncer ou tintent l’agonie d’un mourant.

Elles ont d’énergiques accents pour appeler la foule sur le lieu d’un incendie.

Elles ont de superbes et éclatantes sonneries pour saluer le passage des princes ou des rois, ou des évêques.

Lorsque les armées du pays ont fait triompher le droit et l’équité, elles savent chanter la gloire du dieu des batailles.

Lorsque la discorde civile éclate dans les cités, lorsque les barricades se dressent au détour des rues, les cloches ont des clameurs stridentes qui glacent de terreur.

Les cloches prennent part en quelque sorte aux peines et aux joies, aux larmes et aux sourires de nos ancêtres. A tout moment elles parlent à nos ancêtres du temps écoulé, du passé qui ne reviendra plus…

L’auteur de l’article considère que le peuple aime les cloches, à cause de leur poésie et de leur vertu, cette dernière venant de leur bénédiction.

Côté poésie ou légendes que se racontaient nos aïeux aux veillées de l’hiver, c’est la cloche du monastère qui sonnait toute seule lorsqu’un crime était commis, ou bien la cloche de la forêt que venait agiter à minuit la main des fantômes. Il y a aussi la cloche sur laquelle on était obligé de prononcer tous les soirs de secrètes prières, faute de quoi elle serait partie pendant la nuit pour aller se placer dans une autre église.


Les cloches étant condamnées au silence pendant trois jours à partir du Jeudi Saint en signe de deuil, pour expliquer cette l’absence de sonnerie, on a dit longtemps aux enfants que les cloches partaient à Rome pour être bénies par le Pape avant leur retour.

Ce n’est que dans la nuit du samedi au dimanche de Pâques que les cloches carillonnent pour annoncer la joie de la Résurrection. Pour les enfants, elles reviennent chargées de friandises qu’elles déversent dans les jardins et les prés, sur les balcons des appartements.

Allez cette année encore, elles rempliront leur mission d'espoir et de douceur : nous avons tous des souvenirs de « cueillette » d’œufs de Pâques, et rassurez-vous la coutume perdure chez les moussaillons et petits-bouts des jeunes pousses de nos arbres.


Source
Gallica Bulletin de la Société académique de Chauny 1886
Photo et visuel de Pixabay 

samedi 20 mars 2021

Les surprises d'Isabeau Sausse

Quelques années numérisées d’acte notariés se battent en duel sur les Archives de la Drôme : tiens un registre de Me Antoine Néry notaire à Montmeyran vers 1683 ! Pas vraiment récent, une petite voix me chuchote qu’il faut faire feu de tout bois.

Alors en piste et de constater qu’il n’y a pas de répertoire, pour tout intitulé des actes : testament, mariage, cheptel, acquis, mariage, pas de patronymes en exergue, et de soupirer, de tourner les pages de la visionneuse sans grande conviction.

Bip, bip, quoi j’ai fait une fausse manœuvre, non cher ordi ne te plantes pas maintenant alors que je viens de lire Sausse et apercevoir un bataillon de signatures.

  
AD 26 extrait acte notarié Me Néry

Bip, bip, je suis dans un village, affublée d’une longue robe, une petite coiffe bien nouée sous le menton, un châle pas assez épais pour me préserver de la fraicheur : pas de doute je suis à nouveau dans un rendez-vous ancestral.

Un homme à l’air sérieux, vêtu de noir sobrement, mais au visage avenant, débarque au détour du chemin. « Allez ma fille ne restez pas au vent glacial, pénétrez avec moi dans la maison de Jacques Sausse, je suis attendu pour le contrat de sa fille ».

Ainsi cornaquée je ne suis pas refoulée, oh que de monde dans la pièce ! Jacques Sausse le père accueille avec déférence l’homme en noir. Un autre homme vêtu de noir est assis, des papiers disposés sur une table, la plume à la main, l’encrier à portée : Maître Néry notaire à Montmeyran s’est donc déplacé à La Baume-Cornillane.

Ce dernier embraie aussi sec « Au nom de Dieu soit fait amen, et moi notaire que ce jour d’hui, septième jour au mois de janvier mil six cent octante trois, par devant moi notaire royal, se sont présentés honnête Moyse Bérenger ménager du mandatement de Montmeyran fils naturel et légitime de feu Pierre et de Madeleine Bérenger, d’une part,

et honnête Isabeau Sausse fille naturelle et légitime de honnête Jacques et de honnête Jeanne Reynier de la Baume-Cornillane,

Lesquels parties de leur plein gré et procédant ledit Béranger de honnête Claude Béranger son frère et de plusieurs parents et amis,

Et ladite Sausse sous l’autorité de honnête Jacques Sausse son père et ladite Reynier sa mère, de honnête Jacques Sausse son frère, de Sieur Zacharie Reynier de Plan de Baix son oncle, de Benoist Vieux son oncle de Plan de Baix, de Jacques Comte son beau-frère, de honnête Pierre Cheyssière fils d’Ezechiel son parrain, et plusieurs autres parents et amis. »

Ouf, première étape pour le notaire avec l’énoncé des protagonistes, et de nombreuses surprises.

Bon Jacques Sausse le père est mon ancêtre à la 10éme génération marié à Plan de Baix en 1645 à Jeanne Reynier, celle-ci 40 ans plus tard a conservé des liens avec sa famille, Jacques Sausse leur fils est aussi un lointain arrière-grand-père, sa sœur Isabeau je la découvre, tout comme le beau-frère….

   
Gallica extrait carte de la Drôme 

« lesquels en présence de l’assemblée ont promis de se prendre et épouser en ladite église prétendue réformée ainsi que de coutume… »

Commentaire à moi-même et au lecteur, en 1683 le notaire est forcément catholique pour officier, mais les promis sont protestants, l’union devant le pasteur est prévue. En 1685 interviendra la révocation de l’Edit de Nantes, l’époque est tendue pour mes ancêtres. Bon j’ai manqué des ritournelles de Me Néry.

« …. lequel Jacques Sausse père de la future épouse de gré ayant le présent mariage agréable a constitué et assigné en dot et verchère (1) à ladite fille et pour elle audit Bérenger futur époux la somme de deux cent livres, un coffre en noyer, un tour de lit, trois draps et six serviettes en cordal cordat neuf (2), deux brebis, un robe en drap de maison,

Payable ladite somme de cent livres l’année prochaine, l’autre cent livres dans deux années prochaines… »

Coup d’œil du scribe au père : c’est bien le tour du lit, les brebis et les serviettes qui sont payables le jour de la célébration du mariage ?

Oui, en effet, et notez que ma fille Marguerite Sausse, femme de Jacques Comte, donne à sa sœur deux nappes en cordat et un bassin en cuivre.

Bien, de même j’ai inscrit que le futur époux a donné et donne à la future en cas de survie la somme de cent dix livres dont elle pourra disposer.

On opine du chef, alors que je médite sur les similitudes avec le contrat dotal en Savoie.

Pour les signatures, Me Antoine Néry invite en premier Mr David Faure ministre (sous-entendu du Saint Evangile, donc le pasteur). Il note, que la future et sa mère, ne sont pas en capacité de signer, défilent pour les paraphes, le pasteur, l’époux, le père de la future, ses oncles, les frères ou beau-frère, le parrain.

Le notaire mentionne comme témoins Sieur Nathanaël Chenebier bourgeois, Sieur Mathieu Eynard marchand de la Baume et plusieurs autres ….

Rêveuse de cette rencontre, de cette réunion de famille au travers des siècles, heureuse d’avoir réveillé des ombres de les avoir reliées les unes aux autres, ombres trop longtemps figées dans un document notarial, elles se sont animées le temps de quelques lignes, le temps de votre lecture.

Isabeau et Marguerite deux filles de Jacques Sausse et Jeanne Reynier sont apparues, deux sœurs de Jacques Sausse junior que je ne connaissais pas, des oncles aussi témoins de liens conservés. Leur mariage faisaient certainement partie des registres protestants de La Baume-Cornillane disparus dans les tourments de l’histoire.



Dialogues et situation imaginés
 pour le Rendez-Vous Ancestral mensuel des généablogueurs
dont les billets sont regroupés ICI
Personnes liées à ma généalogie et toutes citées dans un acte notarié ci-après sourcé



N.B.
(1) Verchère Terme attesté en Dauphiné
En Auvergne : valcheire ; prov. vercayrar, doter, donner en dot une verchiere ; bas-latin vercheria, vercherium, bercheria, du bas-latin berbix, brebis (voy. ). Verqueria est proprement une bergerie, puis un fonds sur lequel on élève des brebis, et enfin un domaine, une dot.

(2) Cordal ? aide bienvenue : en rapport avec un tissu vu le contexte : un chanvre grossier peut-être.
Il s'agissait de lire cordat qu'un dictionnaire ancien désigne comme une grosse toile.
Le Littré indique une grosse serge de laine croisée et drapée. 


Sources AD 26 Notaires Montmeyran Me Néry 2E 3189 Vue 45/128