samedi 19 juin 2021

Nicolas Bard s'établit

Instant de pause et de rêverie avec le merle en fond sonore, et soudain une main posée sur mon coude me fait sursauter: viens, dépêche-toi et suis-moi. Pas de doute me voilà embarquée dans un nouveau RendezVousAncestral, en Savoie, sur les basques de Nicolas Bard au 18ème siècle

Je peine à suivre mon aïeul à la 8ème génération, il est en forme cette fois-ci, s’est étoffé, un petit air guilleret sur les lèvres, où sommes-nous et où me mène-t-il ?

- Pourquoi écarquilles-tu les yeux, là c’est l’église de Saint-Michel juste à côté de la tour carrée, Dans les ruelles étroites du bourg, j’entraperçois de belles portes : hâtons-nous, on doit être chez le notaire avant midi, ajoute Nicolas.

- Regarde voilà sa maison, et juste devant : ma future épouse Jeanne-Françoise Place et son frère Joseph, ils viennent de la paroisse de Saint-Julien pour le contrat de mariage. Le taiseux avec moi, est mon cousin Joseph Bard mon témoin.

En ce 21 juillet 1758, on s’engouffre en chœur dans le logis où officie le notaire royal et collégié (1)

Image Pixabay

A peine installés, Gaspard Bertrand démarre la lecture du contrat :
« Se sont personnellement constitués Honnête Nicolas fils de feu Bard natif et demeurant de la paroisse d’Orelle
Et la Jeanne Françoise Fils de feu Jean-Baptiste Place native et habitant celle de St-Julien

lesquels par leur plein gré ont promis de se prendre et épouser en face de notre Sainte Mère l’Eglise, pour recevoir la bénédiction nuptiale à la premier réquisition de l’un ou l’autre des parties aux peines et conditions ci-après, pour qu’il n’arrive aucun légitime empêchement canonique,

et comme les charges du mariage sont difficiles à supporter et qu’il convient que les femmes concourent à cette cause, ladite Jeanne Françoise Place future épouse constitue audit Nicolas Bard son futur époux en ses biens droits et actions portions raisons et héritages présents et futurs, ladite constitue ledit Nicolas pour son procureur spécial … »

Un blanc, enfin dans le sens où le notaire marmonne et certains propos me sont inaudibles.

« ladite Jeanne Françoise Place a constitué audit Nicolas son futur époux la somme de 200 livres, somme évaluée par lesdites parties et leurs parents, toutes ses nippes et habillements, une génisse d’une année et une brebis, que ledit confesse avoir présentement reçu . »

Juste une réflexion à moi-même : pas d'indication des modalités de versement des espèces sonnantes et trébuchantes, pour le détail du trousseau je suis de la revue. Les nippes  de Jeanne Françoise et les bêtes vont la suivre dans son nouveau village ; en tant que personne  elle « vaut » 200 livres, il en était ainsi autrefois.

Le notaire pressé de poursuivre : « lui ledit Nicolas Bard futur époux, comme il est bonne et louable coutume de faire augment aux filles et épouses, fait donation à Jeanne Françoise Place du quart de ce qu’il recevra en accord avec elle … »

Tout le monde écoute attentivement, enfin surtout les commentaires du notaire aux intéressés, qui se font préciser certains termes. Je n’ose pas exprimer à Maître Bertrand que ses confrères rédigent mieux leur contrat dotal. Le futur et la future, mes ancêtres, invités à signer, ne sont pas en mesure de le faire, Joseph Place le frère lui sait signer.

Avec mes pensées en mode « off » j’ai perdu le fil, enfin la connexion ! Pourtant le 1er août 1758, l’union de Nicolas Bard et Jeanne-Françoise Place fut bien célébrée dans l’église d’Orelle.


AD 73 Orelle BMS 1758

Bip, bip, le wifi ancestral répond à nouveau 7/7, et je suis devant la maison de Nicolas Bard à Orelle, au hameau du Pousset. Ce n’est plus l’été, je frisonne un peu. 

- Où étais-tu passée ? Tu n’étais pas présente à nos noces et viens de manquer l’agent qui recensait pour la gabelle du sel.
Là pour cette année 1758, j'ai été inscrit comme chef de famille, avec mon épouse et ma mère Marguerite Jullien, pour le bétail c'est 2 vaches, 2 veaux, 2 brebis et 3 chèvres. 

- Oh Nicolas cela implique quoi exactement pour vous ? Juste une petite interrogation pour mettre en valeur mon ancêtre…

- La gabelle c’est un impôt qui va dans les caisses royales (2), on est taxé à un nombre déterminé de livres de sel suivant le nombre de bouches à nourrir dans la maison, gens et bêtes. Je vais être obligé d’acheter 8 livres de sel par personne, 6 livres par vache, un peu moins pour les autres animaux. Tu sais le sel est nécessaire pour la conservation des aliments, note que les cabaretiers, les hôteliers et boulangers sont taxés à 10 livres : une taxe dite de grand débit.

- Au fait, êtes-vous nombreux dans le hameau du Pousset ?

- La maison d’à côté est occupée par mon oncle Maurice Bard et Anne Marie Fontaine et leurs enfants, et au total on est plus d’une trentaine mais qu’ici, parce qu’il y a d’autres hameaux à Orelle.
Allez, on rentre se réchauffer et les femmes vont sûrement te questionner.

Moments furtifs et imaginés, une façon d’avancer dans le fil de vie d’un ancêtre, d’un couple qui vient de se constituer, et qui accueillera 7 enfants, dont Claude le père de Marie-Angélique Bard.



Retrouver cette famille 
 


N.B.
(1) le notaire collégié en Savoie a fait des études dans un collège de droit, et royal car le Duché de Savoie dépend en 1758 du Roi de Piémont-Sardaigne dont la capitale est à Turin

(2)  la gabelle du sel est un impôt aussi impopulaire dans le Duché de Savoie que dans le Royaume de France


Sources
AD 73 Orelle BMS
Tabellion St-Michel 1758 2C 2815 vue 428
GénéMaurienne : relevé de la gabelle
Gallica SHAM 1911

samedi 12 juin 2021

Nicolas Bard le précautionneux

Le héros principal, baptisé Nicolas en 1733, est le fils de Joseph Bard et de Marguerite Jullien. Le moins qu’on puisse dire est que cet ancêtre savoyard n’est pas au sommet de sa forme en ce 7 décembre 1751, malgré ses 18 printemps.

Nous sommes en Savoie, dans la maison du testateur au hameau du Pousset de la paroisse d’Orelle - Maître Claude Francoz notaire royal collégié (1) note qu’il est midi en la présence des témoins, et s’apprête à recevoir les volontés du jeune testateur Nicolas fils de feu Joseph Bard qui était fils de feu autre Joseph Bard natif et habitant dudit lieu :



« lequel considérant l’incertitude de l’heure de la mort et voulant disposer de ses biens temporels de son gré et libre volonté et fait son testament nuncupatif et ordonnance de dernière volonté nuncupative qu’il a requis, moi Notaire, de rédiger par écrit en la forme ci-après et à ces fins,

« étant, ledit testateur en son bon sens, parole, mémoire et entendement, ainsi qu’il est apparu à moi Notaire et aux témoins, quoique détenu de maladie en son lit,

« et, après s’est muni du vénérable signe de la Sainte-Croix, et avoir fait la profession de foi en bon chrétien, élit la sépulture de son corps dans le tombeau de ses feux parents ses prédécesseurs,

Dans ce testament verbal prononcé devant le notaire, selon une trame quasi immuable, mon ancêtre après avoir recommandé son âme à Dieu, détaille ses dispositions funéraires.

« et veut que le jour de son enterrement soit célébrée une messe de requiem a notte pour le repos de son âme, et que soit ledit jour faite l’offrande de pain et de vin, et fournit le luminaire convenable le tout selon les coutumes du présent lieu,

« selon lesquelles il ordonne de faire une aumône générale le jour de son enterrement, en laquelle aumône il veut que soit distribué le pain et le potage à tous les pauvres qui se présenteront selon les coutumes du présent lieu,

« selon lesquelles il veut et ordonne que soit aussi fait sa neuvaine, à la fin de laquelle il ordonne que soit célébrée une messe de requiem a notte, et une autre à la fin de l’année de son décès,

« item un jour de l’année de son décès, il veut être célébrée une messe de basse voix à l’honneur et à la chapelle de Saint-Joseph érigée dans le présent village du Pousset,

« et pour le surplus de ses funérailles et œuvres pies, il s’en rend à la bonne volonté et dévotion de sa chère Mère et héritière ci-bas nommée,



« et ayant été ledit testateur, interrogé et même exhorté par moi Notaire, s’il voulait faire quelque légat aux hôpitaux respectif du présent lieu, de la Province et de celui des Saints Maurice et Lazare érigé à Turin, il m’a répondu qu’il ne peut rien donner,

La question d’un legs pour les hôpitaux piémontais est obligatoire selon les dispositions royales, et comme de coutume, en bon savoyard, Nicolas refuse. 

« et parce que l’institution de l’héritier universel est le chef et fondement de tous les testaments, à cette cause ledit testateur a institué de sa propre bouche nomme et fait pour son héritière universelle la Marguerite fille de feu Claude Jullien sa chère mère veuve dudit Joseph Bard,

J’imagine mon aïeule Marguerite, dans la pénombre au bord du lit de son fils Nicolas souffrant, penchée sur son visage enfiévré, inquiète de son état, angoissée à l’énoncé de ces dispositions si particulières : elle n’a que ce fils, son époux n’est plus.

Maître Francoz de poursuivre « par laquelle il veut que ses dettes, funérailles et œuvres pies soient payées et accomplies sans forme de procès et son présent testament vaille par droit de testament nuncupatif et par tout autre meilleurs moyens qu’il pourra subsister selon les lois et duquel il m’a requis acte qui lui est accordé et dont le droit du Tabellion est de trois livres (2),

Dans les témoins cités, je souligne seulement l’oncle du testateur : Maurice Bard fils de feu Joseph fils de Jean-Louis Bard, et un cousin germain, Maurice Bard feu Jean Antoine. Ceux-ci savent signer, ce qui n’est pas le cas de Nicolas Bard le malade, et le notaire est un collatéral, une affaire de famille somme toute. 

Ne soyez-pas inquiet, Nicolas mon ancêtre précautionneux a survécu à sa maladie, puisque je vous relate son testament. Cet acte antérieur à son contrat de mariage m’a étonnée, puisque ce gars de la Maurienne a fondé une famille : fil de vie à poursuivre.

Retrouver cette famille 


N.B
(1) le notaire collégié en Savoie a fait ses études dans un collège de droit, il est dit royal car le duché de Savoie en 1751 dépend du Roi de Piémont-Sardaigne dont la capitale est à Turin 

(2) en Savoie, le Tabellion désigne le registre sur lequel sont copiés obligatoirement tous les actes notariés, et par extension le service chargé de l'enregistrement de ces copies, moyennant une taxe

Sources
AD73 Tabellion St-Michel 1751 2C 2808 vue 717