vendredi 23 février 2024

Noces de coquelicot

Mine de rien, voici 8 ans, la Ronde des Ancêtres prenait son envol en sabots, galoches ou souliers s’apprêtant à déambuler sur les chemins de l’Aisne, de la Drôme et de la Savoie

Noces de coquelicot avec ma troupe malicieuse et cachottière.

Coquelicot, fleur chargée de symbolique ; amour ou souvenir, fleur de l’éphémère aussi, et par là appropriée à la généalogie.



Ma petite Ronde compte 147 billets à son actif sur 8 ans, et autant de fils de vie, avec 600 commentaires déposés par des lectrices et lecteurs sur le blog, sans compter ceux laissés sur des groupes de généalogie de Facebook. Je les en remercie.

Des billets n’ont pas décollé, certains présentent un score correct, et d’autres se sont envolés. Le mystère de la vie des billets côtoie le plaisir d’être contactée par des généa-cousins ou des personnes pour qui le récit résonne particulièrement.

Le métier de salpêtrier vous est inconnu : questionnez Louis Liénard de Barisis dans l’Aisne.
 
Le travail de la laine vous intéresse : questionnez  Abraham Barnier drapier à Chabeuil dans la Drôme. 

Le contrat dotal en Savoie et les subtilités d’un testament en Savoie vous interpellent : grimpez à Montvernier et voyez avec ma troupe Deschamps Jean-François ICI  et Joseph ICI

Savez-vous que lors de la réunion préliminaire avec mes ancêtres, j’ai eu droit à des murmures de contentement des élues ou élus, des grimaces de celles et ceux restés sur la touche, et des soupirs de soulagement pour les réticents à voir leur situation familiale ou leurs affaires d’argent dévoilées.

Lesdits ancêtres ont constaté mon éparpillement dans les recherches, noté le déblocage d’une branche dans l’Aisne, le repérage d’actes notariés pour les drômois, et mon addiction profonde aux registres des Tabellion en Savoie.

Après m’avoir suggéré de moins me disperser, et de m'organiser, tout en me faisant plaisir, lesdits ancêtres ont convenu de me garder comme secrétaire du blog.

Ouf j’ai passé l’examen des 8 ans et continue à dépoussiérer ces silhouettes de papier croisées dans des registres ou actes notariés.

Objectif : ralentir l’oubli.



samedi 10 février 2024

Le temps des épreuves

Trois gamins tassés dans un coin de la pièce jettent un regard inquiet sur le curé de Montvernier Révérend Alban André, et Maître Louis Dupré notaire du lieu, tous deux appelés auprès de leur père détenu de maladie dans son lit.

C’est l’après-midi du 30 janvier 1725 en plein hiver dans un village de montagne en Maurienne dans le duché de Savoie.

Le temps des noces remonte à près de 25 ans. Dominique Humille l’épouse se tord les mains, se penche angoissée sur Rémy Vernier frissonnant sur sa paillasse, le temps des épreuves commence.

Pixabay 

Notre ancêtre soucieux de sa famille et du devenir de son âme dicte ses dernières volontés au notaire ducal :

« De son gré, sain de ses sens et paroles, présent d’esprit et en bon jugement quoique détenu de maladie corporelle dicte son testament nuncupatif et à ses fins, en bon chrétien, après avoir fait le vénérable signe de la croix, recommande son âme à Dieu le créateur et qu’il soit intercédé auprès de sa divine majesté pour obtenir la rémission de ses péchés et le salut de son âme. »

Rémy Vernier prévoit cinq livres pour son luminaire ainsi que la célébration de six messes lors de son enterrement, et qu’il en soit de même pour la neuvaine et au bout de l’an

Selon la coutume du lieu, doit être offert l'aumône de pain accoutumée avec un pot de vin chaque dimanche, Et au bout de l’an, doit être faite une aumône générale aux pauvres du lieu qui se présenteront pour la recevoir, aumône comprenant douze quartes de seigle et douze d'orge, en pain cuit avec du potage.

De plus les vénérables confréries du Saint-Sacrement et du Rosaire doivent recevoir chacune la somme de trois livres payables par ses héritiers entre les mains des procureurs desdites confréries.

AD 73 Tabellion St-Jean 1725 extrait testament

Le testateur fait, la Dominique Humille sa femme, maîtresse et gouvernante et usufruitière, sans compte à rendre, de tous ses biens, en les utilisant pour nourrir, vêtir et entretenir ses enfants, moyennant leur travail et ce tant qu’elle mènera une vie chaste et honnête en son nom.

Il la nomme tutrice et curatrice, en faisant faire un bon et loyal inventaire

« Et parce que l'institution héréditaire universelle est le chef de tout testament, à cette cause ledit testateur a fait et crée institue, de sa propre bouche, nomme et veut être les héritiers universels spéciaux et généraux savoir Michel Joseph et Dominique ses chers fils et le posthume devant naître si c'est mâle, par parts égales.»

Tel est le dernier testament de notre ancêtre Rémy Vernier feu Jean, dont les sept témoins sont priés de garder en mémoire le contenu, et appelés à émarger le précieux acte notarié.

Homme usé, homme malade qui reçoit les derniers sacrements du prêtre, veillé par les siens, Rémy Vernier s’éteint a priori le 31 janvier 1725 âgé de 44 ans. Son ensevelissement est noté au 1er février dans le registre paroissial par le curé Alban André.

AD 73 Montvernier BMS extrait 1725

Affligée sans nul doute, quoique bénéficiant des solidarités familiales et villageoises pour tout le cérémonial des funérailles, Dominique Humille doit encore faire entériner son statut de tutrice et prendre la route ce même 1er février.

Entre Montvernier, village de montagne et la cité de Saint-Jean de Maurienne dans la vallée, avec un dénivelé d’environ 800 mètres et près de 9 kilomètres, il faut compter à pied plus de 2 heures de marche sous le froid avec un chemin enneigé.

J’ai vérifié les dates plusieurs fois, et me suis interrogée sur la réelle présence de Dominique Humille tout juste veuve, mais il semble que le notaire tenait à faire les formalités au plus vite, et le registre du Tabellion est formel.

Dans le duché de Savoie, les actes notariés sont enregistrés auprès du Tabellion le plus proche, et dans la cité de Saint-Jean se trouve une judicature-maje pour traiter des affaires civiles et criminelles et statuer en matière de tutelle.

AD 73 Tabellion St-Jean 1725 extrait tutelle

« Nous, Noble Pierre François Martin, Avocat au Sénat en la judicature-maje de Maurienne, à tous qu'il appartiendra, avoir faisons savoir que ce jour d'hui premier février mil sept cent vingt-cinq,

a comparu par devant nous en la cité de St Jean de Maurienne dans notre chambre d'étude la Dominique Humille veuve de Rémy Vernier de la paroisse de Montvernier,

laquelle nous a représenté que son mari par son testament du 30 janvier proche passé reçu et signé par Me Dupré notaire l'a nommée tutrice de Michel âgée de treize ans et demi, Joseph âgé de douze ans et Dominique âgé de huit ans leurs enfants pupilles,

laquelle charge a déclaré être prête à accepter, prêter serment, passer toutes les incombances en tel cas requis.»

« Suivant quoi nous … avons icelle Dominique Vernier (et non Humille !) établit, nommée pour tutrice des personnes et biens de Michel, Joseph et Dominique enfants pupilles de feu Rémy Vernier,

laquelle après lui avoir fait les remontrances (au sens de conseil) en tel cas requis, a promis et juré sur les Saintes Ecritures entre nos mains touchées, de bien et fidèlement verser en ladite charge de tutrice,

faire faire bon et loyal inventaire, s'en charger, en rendre bon compte, prêter le reliquat à qui appartiendra, et généralement exercer ladite charge à la forme du droit et des Royales Constitutions de Sa Majesté. »

« En tout quoi nous lui avons accordé acte et ordonné à notre greffier d’enregistrer notre décret. »

Trois journées douloureuses dans la vie d'une famille, trois journées éprouvantes pour Dominique Humille avec un retour de nuit dans sa paroisse, cette aïeule se doit d'être vaillante et courageuse. 

La lectrice attentive ou l'inconscient qui n'a pas pris la tangente avec les extraits de transcription, dispose d'un indice pour trouver le sujet d'un projet billet, à bientôt donc. 


Rémy Vernier et Dominique Humille sont mes ancêtres
 à la 11ème génération (sosas 1524 et 1525) 
et leur fils cadet Dominique est un lointain grand-père 





N.B. 
L'incombance est une charge, un devoir dont l’inobservation expose son auteur non à une condamnation, mais à la perte des avantages attachés à l’accomplissement du devoir, en cas de tutelle la perte de la qualité de tuteur ou tutrice 

Sources 
AD 73 Montvernier BMS 3E 362 vue 163
AD 73 Tabellion Saint-Jean de Maurienne 1725
2C 2495 vue 96 et 133