mardi 2 décembre 2025

Domaine de Chaillard

Voilà notre ancêtre Louis CLEMENT granger des Ursulines, comme convenu avec les religieuses de Chabeuil dans le bail de grangeage du 25 février 1715, il s’installe à la Toussaint au domaine de Chaillard avec son épouse, ses enfants, et ses parents.

Madeleine REBOUL, sa courageuse compagne, met au monde le 20 décembre 1715 un petit Daniel, baptisé par le curé, il sera suivi d’une fille née en 1717.

Selon le document - registre paroissial, acte notarié, carte ancienne ou contemporaine - l’orthographe du toponyme du domaine des Dames de Sainte-Ursule varie : Challe, Chaliar, Chaliard, Challiard, Chaillard.

AD 26 Chabeuil cadastre napoléonien extrait 

D’abord localisé sur la précieuse carte de Cassini de 1746, le domaine de Chaillard se repère aussi sur le cadastre napoléonien de 1812 à proximité de la rivière Véore.

L’inventaire numérisé fournit un bonus d’informations, puisque que Louis CLEMENT s’est plié aux formalités de l’état des lieux. Vu la date du 28 décembre 1715, je pense que le nouvel acte notarié a été aussi rédigé au parloir des religieuses et non en plein vent sur place, ou sur le bord d’une table bancale du domaine.

Maître Bérenger, peut-être fatigué ou pressé, ne précise pas le lieu où il dresse son acte, pourtant le document est détaillé sur certains points, voire redondant. On retrouve les quatre même religieuses dont Dame Elisabeth Deyriaux la supérieure du monastère  de Sainte Ursule.

L’univers de la petite famille CLEMENT comprend deux bâtiments  : un ancien et un nouveau. Le nouveau bâti sert d’habitation au granger, sa porte d’entrée ferme à clef avec son barreau et gond, il y a une fenêtre fermant avec une porte de bois avec un verrou, une barre et gond.

La porte des degrés pour monter au galetas ferme à clé avec son verrou et gond, audit grenier une fenêtre du côté du levant et une autre du côté du couchant.

Allez, on redescend en direction de l’écurie des mulets dont la porte est en médiocre état, de même pour la crèche (au sens de mangeoire), la petite échelle pour aller à la fenêtre est aussi en médiocre état, mais cette fenêtre est ferrée par deux barreaux à traverse.

La porte du jardin est en médiocre état avec deux barres et deux gonds et une serrure, la petite porte pour aller à la rivière, avec ses barres et gonds, est en mauvais état.

S’en suit la référence à l’ancien bâtiment avec une partie habitation et une écurie dont l’état s’avère médiocre, sans surprise.

J’avoue avoir été touchée par cette description, avoir tenté d’imaginer Louis CLEMENT et les siens dans ces lieux relativement modestes : lieu de vie, de travail, mais un toit, un contrat pour 4 ans, ne l’oublions pas.

Dans les consignes sur les cultures, j’avoue avoir décroché. Pour le fourrage, Louis CLEMENT devra laisser à son départ la même quantité que celle qu’il a trouvé à son arrivée.

Gallica 

Notre ancêtre assure avoir réceptionné les 20 poules et le coq promis, et atteste avoir reçu 190 livres soit 150 de bonne espèce pour acheter les moutons et les brebis et 40 livres pour la valeur d’une charrette. Il lui reste à retrousser ses manches et à assumer ses tâches, à défaut de réellement s’enrichir.

***

Hélas Madeleine REBOUL décède sur ce domaine trop tôt en 1719, après Louis CLEMENT le grand-père et précédant de peu Marie GENSEL la grand-mère.

Notre Louis CLEMENT granger, remarié avec Eve IMBERT est en vie en 1741 lorsque son fils cadet Daniel se marie, mais décédé en 1752 au mariage de Claude mon lointain grand-père.

Combien de temps a-t-il été granger de ce domaine, seuls les notaires peuvent répondre, une bonne partie de leurs actes se cachent dans les étagères des archives départementales.

Curieusement en relisant un acte de baptême lié à la famille élargie de Louis, j’ai découvert qu’un petit-neveu prénommé comme lui est né en 1740 dans la grange de Chaillard à Chabeuil. Plusieurs ménages CLEMENT ont-ils résidé dans ces lieux ?

***

Le domaine des Ursulines a été vendu comme bien national à la Révolution, le cadastre napoléonien atteste encore l’existence des deux bâtiments en 1812, tout comme la carte d’état-major du milieu du 19ème siècle. Sur le cadastre de 1961 les bâtiments ont disparu, écroulés, le temps a fait son œuvre, les intempéries et les inondations peut-être.

***

Et si j’avais un peu vite qualifié Louis CLEMENT de taiseux, lui frère d’une Marie enterrée en rase campagne. Dans quelques temps son père Louis CLEMENT le patriarche aura un fil de vie, tout comme ses enfants.

                                                    


Sources
AD 26 BMS Chabeuil et Montmeyran
AD 26 Notaire Chabeuil 1714-1716 2 E 19664 vue 467

dimanche 16 novembre 2025

Granger des Ursulines

Ainsi donc Louis CLEMENT, vous avez quitté Montmeyran votre paroisse, pour devenir granger des religieuses de Sainte-Ursule de Chabeuil en 1715, vos plus jeunes enfants y sont nés, et hélas votre épouse Madeleine REBOUL s’est éteinte trop tôt vous laissant avec de jeunes pousses, vos parents âgés l’ont suivie de peu dans l’au-delà.

Appartenant à une famille de récents catholiques dits nouveaux convertis et anciens protestants, j’avoue avoir trouvé inattendu votre nouveau statut de granger auprès de respectueuses religieuses, vous deviez remplir les conditions, avoir des recommandations ou être le seul postulant.

Dans ce coin du Dauphiné, où le couvent de Chabeuil a été fondé en 1602, les Ursulines s’occupent de l’instruction des jeunes filles, des soins aux malades et des nécessiteux et ce jusqu’à la Révolution.

Le destin, où les hasards des actes notariés numérisés par les Archives de la Drôme, et me voilà sur un petit nuage : je le tiens le contrat de grangeage de notre ancêtre Louis CLEMENT rédigé par Maître Bérenger.

Portail de l'ancien couvent des Ursulines de Chabeuil - Wikipedia

Regardez notre lointain aïeul, aux sabots nettoyés, vêtements dépoussiérés, laboureur à Montmeyran, il s’engouffre dans une ruelle étroite de Chabeuil, flanqué d’un compère Jacques Gensel laboureur à Beaumont.

Une fois passé le portail et franchi l’enceinte du couvent, là dans le parloir du dévot monastère de Sainte-Ursule, l’après-midi du 25 février 1715, Louis CLEMENT se retrouve face à Dame Elisabeth Deyriaux supérieure et dames Pernette de Costal assistante, Elisabeth Derostain zélatrice (1) et Marie Claire Malet dépositaire officiante (2).

Ces dames religieuses « baillent à titre de grangeage et à moitié fruits à honnête Louis Clément laboureur, ici présent et acceptant, à savoir le domaine qu’elles possèdent au mandement de Chabeuil appelé Chaliar : terres, prés et vignes, bois, chaussées et généralement tout ce qui en dépend et les mêmes dont Pierre Parmingeat jouit à présent à même titre de grangeage, de tout quoi ledit Clément a dit être bien certain, et pour le temps et terme de quatre années qui prendront leur commencement à la prochaine fête de Toussaint et à la veille de semblable jour finissant ».

« Les deux parties ne peuvent renoncer au bail que dans la seconde année, à condition de s’avertir trois mois à l’avance ».

Gallica extrait carte Cassini sur Chabeuil et le domaine

Notre ancêtre Louis CLEMENT « fera sa résidence avec sa famille dans le domaine, qu’il conservera ensemble les fonds d'iceluy soit pour les cultures forces et autres choses en véritable père de famille, le rendra le tout en fin de terme, au même état qu'il aura trouvé, dont il se chargera à faire à son entrée dans le domaine par inventaire et encore de ce qui lui sera remis par les Dames en cheptel, ou autrement.»

« Les semences seront fournies en commun belles et bien criblées, et il sera permis aux Dames de mettre en semence celles qu’elles ont payées à charge au granger de les nourrir (dans le sens de les faire pousser)».

« Le granger donnera toutes les cultures nécessaires à la vigne du domaine, les sarments seront ramassés aux frais des Dames et leur appartiendront en entier, et notre Louis sera tenu de leur faire tous charrois nécessaires (3) ».

« A premier requis, tous les fruits qui se récolteront seront également partagés, après avoir été prélevés chaque année par les Dames cinq setiers de blé et froment sur le monceau (4), le gros bétail servant au labourage sera mis en commun, aussi bien que les charrettes et tombereaux nécessaires ».

« Quant au menu bétail, les Dames bailleront pour une fois au granger la somme de cent cinquante livres que celui-ci emploiera à l’achat de moutons ou brebis. Et sur le profit que le granger pourra faire sur tout le bétail, il paiera annuellement aux dames religieuses la somme de cinquante livres à chaque fête de la Sainte Madeleine (5) et à sa sortie du domaine, il sera aussi tenu de leur rendre la somme de cent cinquante livres ».

« Le berger qui sera pris pour la garde du bétail sera nourrit et payé par ledit granger qui peut avoir dans le troupeau quatre moutons en son propre ».


Notre Louis CLEMENT « plantera chaque année dans les fonds du domaine six douzaines à plançon (6) aux endroits nécessaires, plus quatre autres douzaines d'arbres fruitiers qui lui seront fournis par les Dames ».

« Les fagots que le granger fera annuellement sur les biens appartiendront auxdites Dames, excepté la feuille (7) qui sera donnée au bétail, feuille qui sera baillée par les dames au granger ». 

« Chaque année, le granger donnera aux Dames deux lapins de cinq livres, quatre paires de chapons et sept paires de poulets, comme aussi vingt œufs pour chaque poule, des vingt-cinq qui lui seront remises avec un coq ».

« Il sera permis auxdites Dames de mettre à leur propre frais pendant l'été, et au cours du présent grangeage, dix-huit moutons ou brebis dans ledit domaine pour y être engraissés, lequel bétail elles prendront à leur volonté ».

« Il a été convenu que si les Dames voulaient faire quelques ouvrages de maçonnerie ou réparations audit monastère les charrois de matériaux et attraits (8) seront fait par moitié par le granger et par celui de leur domaine de Lapasas ».

« De plus, lorsque les Dames voudront faire quelques réparations le long de la rivière de Véore pour la conservation des fonds du domaine de Chaliar, ledit granger sera tenu de s'y aider de sa personne et encore pour les charrois qu'il convient d'y employer ».

Notre lointain grand-père n’a pas le droit de faire un charroi de bestiaux pour une personne étrangère du domaine, ni de couper aucun arbre mort ni vif sans le consentement des Dames.

AD 26 Notaires extrait bail de Louis Clément 1715

Les parties déclarent que les biens étaient affermés au départ de la somme de cent cinquante livres, et promettent et jurent observer les clauses, à peine de tous dépens et dommages.

Fait audit parloir du monastère, lu et récité par notre sympathique notaire Bérenger en présence de noble César de Murinais et sieur Jean-Baptiste Eynard praticien, notre aïeul Louis CLEMENT ne sait pas signer contrairement à son père, et Jacques Gensel laboureur, et potentiel parent, paraphe le bail.

Intéressée et émue à découvrir les clauses détaillées de ce bail de grangeage qui lie Louis avec les Dames religieuses et le mène à s'installer avec les siens dans le domaine de Chaliar. Et si l'inventaire pouvait encore exister ? 
 


Retrouver Louis CLEMENT et sa famille 


N.B 
1 - zélatrice : religieuse chargée de l'accompagnement des novices
2 - dépositaire officiante ou sœur officiante : chante et récite l'office pendant une semaine,   le notaire a écrit dépositaire officiensée !
3 - charroi est le transport par charriot ou charrette 
4 - monceau : équivalent de tac ou vrac 
5 - la Sainte Madeleine est fêtée le 22 juillet
6 - un plançon est une branche de saule, de peuplier ou d'osier que l'on sépare du tronc pour  la planter en terre et en faire une bouture
7 - la feuille, dans le sens de fourrage 
8 - attrait ou attirail : tout ce qui sert à bâtir ou réparer une maison (terme de coutume)

Source 
AD 26 Notaires de Chabeuil Me Bérenger 
2E 19664 vue 194


samedi 18 octobre 2025

Louis Clément le taiseux

Comment savoir si notre ancêtre Louis CLEMENT un lointain grand-père, pisté par plusieurs de ses descendants, et frère de Marie CLEMENT tombée d’un mûrier, apprécierait d’être le modeste héros d’un rendez-vous ancestral ? Allez, je me lance dans des confidences, parce que votre famille Louis m’occupe depuis plusieurs semaines.

Gallica carte de la Drôme -extrait-

Jamais seul, toujours affairé, respectueux de vos père et mère, votre vie Louis s’est déroulée dans la plaine fertile de Valence entre le Rhône et les contreforts du Vercors qui accueillent de nombreux troupeaux de moutons, une époque marquée par l’intolérance religieuse, la grande famine de 1693, le terrible hiver de 1709. Laboureurs, travailleurs de terre, tisserands de toiles, cardeurs de laine côtoient des marchands-drapiers.

Dans cet univers, Louis CLEMENT vous naissez à Montmeyran le 2 juillet 1680, votre père Louis CLEMENT et votre mère Marie GENSEL tiennent à ce que vous soyez vite baptisé par le Pasteur dans la proche paroisse de Beaumont, et choisissent comme parrain Pierre Clément votre frère consanguin, et comme marraine Ennemonde Clément votre cousine germaine.

Enfant vous partagez des moments d’insouciance avec votre frère cadet Ogier, vos sœurs Marie, Eve, Isabeau, par ce que Jeanne est trop grande : elle prépare son trousseau et se marie en 1684.

Après avoir assisté aux alliances de vos frères et sœurs, à plus de 25 ans vous pensez à convoler à votre tour : avez-vous choisi de votre propre chef cette énigmatique Madeleine REBOUL à l’ascendance désespérément secrète.

AD 26 Montmeyran BMS 1707 

Toujours est-il que votre union est célébrée dans l’église de Montmeyran un froid jour d’hiver le 15 février 1707. Comme d'habitude le curé Morier ne mentionne pas vos filiations respectives dans votre acte de mariage, un des témoins Jean Peve est dit consul du lieu, Bernard de Gresse est drapier, et en prime un quidam Disdier signe.

Louis et Madeleine, chers ancêtres, vous êtes présents lors de baptêmes de neveux, preuve de liens familiaux pour vous Louis.

Madeleine accouche de quatre enfants Louis, Claude notre ancêtre, Marie-Magdeleine et Françoise entre 1707 et 1714 à Montmeyran, puis de Daniel en 1715 et une autre Magdeleine en 1717 à Chabeuil.

Quel est le motif de ce changement de résidence ? Dans le registre paroissial de Chabeuil apparaît un début de réponse, hélas avec la mention de décès de votre père.

« Le 26 dudit mois (janvier 1716) il nous a été rapporté que Louis Clément granger des religieuses de Chabeuil au domaine appelé Chialle est mort sans avoir averti et n’a point reçu les sacrements auquel nous avons refusé la sépulture »

Le deuil vous frappe à nouveau avec la disparition de la mère de vos enfants, au 26 juin 1719 le prêtre inscrit « Il m'a été rapporté que Madelaine Reboul âgée de 35 ans épouse de Louis Clément granger des religieuses de Sainte Ursule de Chabeuil est décédée sans avoir reçu les sacrements de l'église, ni même demandé aucun prêtre pour l'aller voir, ce pourquoi j’ai refusé sa sépulture de l'église. »

AD 26 Chabeuil BMS 1721

Pauvre Madeleine, épuisée par ses grossesses, la tenue de la maison, l'aide apportée à son conjoint, enlevée si vite à l’affection des siens, de ses jeunes enfants, ancêtre à jamais muette et pourtant indispensable.

Louis, votre propre mère s’éteint ensuite, trace en est trouvée dans le registre de votre commune natale : « Le 9 octobre 1721 est décédée à Chabeuil et ensevelie en terre profane dans cette paroisse de Montmeyran Marie Gencel nouvelle convertie veuve de Louis Clément âgée d'environ 73 ans ».

Que d’épreuves successives pour votre famille cher Louis, veuf avec des orphelins sur les bras, comment avez-vous assumé le quotidien, les travaux des champs, les soins aux bêtes et répondu aux exigences de votre contrat de granger.

Et pourtant la vie a continué, vos trois fils ont grandi, de solides gars qui se sont mariés.

A pister vos enfants dont Claude, et farfouiller dans les registres notariaux, une précieuse et étonnante quittance de 1769 m’a révélé, cher Louis, que vous aviez passé un contrat de mariage à Chabeuil le 6 février 1724 avec Eve IMBERT et qu’une fille Marie était née de cette nouvelle union. 

Cliquer pour agrandir


Et oui Louis, lorsque les registres paroissiaux sont muets, les actes notariés contiennent des pépites, un acte devrait concerner un contrat passé avec les religieuses de Chabeuil, si vous étiez moins taiseux vous m'expliqueriez. 

A suivre dans ce billet Granger des Ursulines 



Sources
AD 26 BMS Montmeyran et Chabeuil
Relevés EGDA
Geneanet indices arbre herjacq26
AD 26 Notaires Montmeyran Me Durozet 2E 3197

vendredi 10 octobre 2025

La petite messagère

Piochée dans mes numérisations récentes de cartes postales, cette petite messagère bretonne en costume régional du Sud Finistère, transmet des nouvelles familiales de 1918.

Cette carte a été choisie par ma grand-tante Nésida ARNOUX qui réside à cette époque à Lannion dans les Côtes d'Armor avec son époux René PICARD magistrat. Le sujet d’une enfant bien apprêtée, lisant sagement, est susceptible d’intéresser sa nièce de 4 ans dite Nénette.


Document familial

Ce courrier est adressé à Montmeyran dans la Drôme où Isabelle ARNOUX ma grand-mère s’est réfugiée dans son village natal avec sa petite Jeanne pas trop en forme, épouse sans nouvelles d’Emile MERCIER soldat porté disparu au front.

Cette carte constitue la suite du billet précédent une carte de Lannion, oncle René a écrit tant à la petiote qu’à sa belle-sœur :

« Ma chère petite Nénette

Tonton René n’est plus chez les Boches et est bien en France : ce n’est pas pour cela qu’il ne vient pas te voir, c’est qu’il n’a pas de vacances. Je sais que tu vas beaucoup mieux maintenant, il faut te guérir tout à fait et pour cela obéit bien à ta bonne maman. Je t’embrasse bien fort et bien affectueusement ».
P.S. « Tante Nésida me dit que tu es bien gentille et mignonne »
 « Tonton René »

***
« Ma chère Isabelle

« Vous devez être en vacances maintenant et Nésida m’a dit que vous en aviez besoin afin de vous reposer des fatigues que vous a données la maladie de Nénette. Tâchez d’en profiter. Je vous souhaite de ne pas avoir trop de chaleur ; il fait frais ici et il pleut d’ailleurs continuellement.

Nésida a repris son service à l’hôpital, et a de quoi faire. Souhaitez le bonjour de ma part à vos beaux-parents, à la famille Cochet et ne m’oubliez pas auprès de Mr. Arnaud. Embrassez aussi Maman pour moi. Je vous embrasse affectueusement en attendant de vos bonnes nouvelles ».
« René »

Cette petite missive est pleine de références : sur la période troublée de l’été 1918 où gronde encore le canon et les soldats de différents camps se confrontent toujours, sur la présence de Tante Nésida infirmière bénévole à l’hôpital militaire complémentaire de Lannion qui accueillait à l’arrière en convalescence les soldats blessés au front.

Oncle René, en homme policé, adresse son bonjour aux grands-parents paternels de Nénette, réfugiés aussi à Montmeyran depuis que leur village de l’Aisne a été détruit : Jean-Baptiste MERCIER et Clotilde LESCOUET. La famille Cochet doit être aussi réfugiée de Barisis, j’en ai entendu parler.

Touchante je trouve la qualification de « Maman » pour sa belle-mère Noémie LAGIER récemment veuve.

On ne sait si petite Jeanne admira le beau vêtement de la petite messagère.


Ecrit dans le cadre du défi mensuel de faire parler une photo 
ou une carte postale
défi initié par le Groupe Raconter sa Généalogie de Facebook.




samedi 20 septembre 2025

Une carte de Lannion

Cap en Bretagne à Lannion dans les Côtes d’Armor, pour un modeste rendez-vous familial de couleur sépia, à plus d’un siècle d’écart l’image se colorise, les propos parviennent assourdis. Le passé se mêle au présent, conjugué à l’émotion de découvrir un peu la ville où Nésida et sa moitié ont vécu un temps. Et soudain :

Nésida ARNOUX glisse une mèche rebelle dans son chignon, tout en pénétrant dans la pièce, avec à la main une carte postale :

Lannion document familial

Tiens j’ai choisi cette carte, à ton tour d’écrire à la petite, je la pose là, il faut soutenir Isabelle vu les circonstances. 

La petite âgée de 4 ans préoccupe ses proches, tout comme Isabelle ARNOUX sa maman, hélas sans nouvelles d’Emile MERCIER le papa, soldat disparu lors des terribles combat de Verdun en juin 1916.

Tant de souffrances dans les familles avec la déflagration d’un conflit que l’on nommera ensuite Première Guerre Mondiale, Isabelle s’est retrouvée seule avec Jeanne pendant quatre ans dans l’Aisne, territoire envahi, avant de pouvoir regagner la Drôme sa terre natale. VOIR ICI

René PICARD l’époux interpellé, au visage rond aux yeux sombres, lève le nez de ses paperasses regarde tendrement Nésida, prend la carte, et lorgne la reproduction : la promenade du Léguer et le quai de la Corderie.

Leur vue au quotidien depuis que le couple s’est installé à Lannion avec sa nomination de procureur de la République au Tribunal de la ville.

Oncle René lisse ses fines moustaches, réfléchit un tantinet, comment intéresser une petiote, sa nièce qu’il ne connaît pas encore, lui qui n’a pas d’enfant, il se lance et trempe sa plume dans l’encrier.

Document familial 

« Ma chère petite Nénette » (hélas c’est l’épouvantable surnom donné à ma petite Maman)

« Je t’envoie une carte où tu verras notre maison. La fenêtre près de laquelle il y a une croix est celle de mon cabinet de travail de Tonton René, d’où il t’écrit aujourd’hui. Devant la maison c’est la rivière, mais la mer est basse et montera bientôt. Je t’embrasse affectueusement ainsi que ta maman. »
Signé Tonton René

Il restera à expliquer de vive voix à la petiote que le Léguer (Leger en breton) est une rivière qui traverse la ville de Lannion et se jette dans la Manche et se trouve donc soumise à la marée.

L’encre bleue cède à l’encre noire, et finement Tante Nésida écrit en travers et complète :

« Guéris vite. Bois bien ton huile de foie de morue et laisse-toi mettre des cataplasmes s’il le faut. Bons baisers. »
Signé Tante Nésida

En cette fin d’été 1918, on soigne et chouchoute la petiote atteinte de typhoïde et gringalette qui a gardé en mémoire les cuillerées du breuvage évoqué et le lait de poule de sa grand-mère maternelle.

Jeanne la destinataire recevra d’autres cartes de Lannion et pourra avec l’aide de sa maman se faire une idée de cette région lointaine que celle du Trégor, région qui n’a pas connu le bruit des bottes allemandes mais hébergée dans des hôpitaux militaires complémentaires de nombreux soldats blessés.

Petite Jeanne, enfin Nénette, à qui Oncle René a réclamé une photo en attendant de pouvoir la rencontrer, la remerciant de son envoi a mentionné avoir embrassé le portrait, qui a été le plus ému (e) à vous d'apprécier. 

Seule solution continuer à numériser mes petits trésors pour découvrir ou redécouvrir quelques échanges bizarrement conservés et révélateurs de liens familiaux. 


Episode suivant La petite messagère




vendredi 12 septembre 2025

En rase campagne

Frêle et silencieuse Marie CLEMENT, une très lointaine grand-tante, naît vers 1676 à Montmeyran dans la Drôme actuelle.

Quatrième enfant d'une fratrie de huit, ses parents  Louis CLEMENT et Marie GENSEL sa seconde épouse sont mes ancêtres à la dixième génération. Son baptême a du intervenir dans la paroisse voisine de Beaumont où un Pasteur officie. Vu la graphie et les surcharges du registre paroissial concerné, l’acte de baptême se cache désespérément.

Les parents sont acquis aux idées de la Réforme et tous les enfants de Louis CLEMENT tisseur de toiles sont baptisés protestants, y compris les quatre enfants de sa première union avec Anne ARNOUX.

Marie grandit dans une famille nombreuse et recomposée, où les aînés aident le père dans sa tâche, et les filles œuvrent pour le quotidien, filent la laine ou le chanvre et par-là secondent la maîtresse de maison selon le schéma de l’époque.

Wikipedia Allex Lithographie Delabelle

Peu à peu le père établit ses enfants, Marie convole ainsi un beau jour de septembre 1704.

La famille a parcouru une dizaine de kilomètres pour se rendre dans la paroisse d’Allex, a passé la porte du Tuilier, entrée principale depuis le Moyen-Age, pour se rendre à l’Eglise Saint-Maurice. Depuis la Révocation de l’Edit de Nantes, Marie CLEMENT et les siens sont des nouveaux convertis et donc catholiques.

A la date du mercredi 24 septembre 1704 ma lointaine grand-tante unit sa destinée à un maréchal-ferrant Jean ALISSY fils de Paul et Jeanne URTIN.

Pour Marie, le bruit du métier à tisser paternel est remplacé par le bruit de la forge, du marteau sur l’enclume, le rouge du foyer et du métal, les odeurs du charbon de bois et de la corne des animaux.

Elle met au monde cinq enfants dont des jumeaux, Jean ALISSY le dernier petit en 1713 a pour parrain et marraine Louis CLEMENT son oncle et Madeleine REBOUL sa tante venus de Montmeyran (sosa 464 et sosa 465).

Cela devait être pratique pour Marie de se faufiler dans un des andrones (1) du village, étroit passage couvert pour piétons de 25 à 40 centimètres entre les maisons, et ainsi se déplacer plus rapidement.

Alors veuve, elle est sortie du village une fin octobre, avec des tâches à accomplir ou des idées sombres, on ne saura jamais.

AD 26 Allex BMS vue 158

Le prêtre dans le registre a inscrit :

« Le premier jour de novembre 1726 Marie Veuve de Jean Alissy a été trouvée morte sur le grand chemin allant à Rochemore étant tombée d'un mûrier, étant nouvelle convertie n'ayant jamais fait son devoir pascal, elle a été enterrée en rase campagne comme il m'a été déclaré. »

Inhumée en terre profane une fois de plus, comme tant d'autres ancêtres ou collatéraux, nouveaux convertis du bout des lèvres, et pas vraiment assidus aux offices religieux.

Frêle et silencieuse collatérale qui laisse une seule enfant : Marie ALISSY qui s'établit en 1731.





N.B. Une lectrice drômoise suggère " que Marie pouvait être sur une échelle pointue qui tournait facilement, en train de cueillir des feuilles de mûriers, pour nourrir ses derniers vers à soie qu'on alimentait de mai à fin octobre" 

(1) l'androne est un mot occitan dérivé du grec andron qui était la pièce destinée aux hommes, puis a désigné un corridor entre deux cours et ensuite un espace entre deux maisons, ce type de passage se rapproche de la traboule de Lyon.


Sources AD 26 
BMS Montmeyran Beaumont les Valence
BMS Allex 1696-1731 
Mémoires d'Allex 


mercredi 27 août 2025

La maison des Capucins

Comment découvrir ce que faisaient plus d’une demi-douzaine d’ancêtres à Modane il y a près de 4 siècles : s’occuper de l’ascendance de mon arrière-grand-mère paternelle Sylvie Ludimille Audé en premier. Se résigner aux actes en latin des registres paroissiaux avant 1830, utiliser les actes notariés pour consolider les liens familiaux, déboucher sur certains arbres en lignes plein d’indices.

Gallica Christine de France 
Et ensuite déambuler à nouveau dans les anciennes revues de la Société d’Histoire et d’Archéologie de la Maurienne et piocher un article : mes ancêtres et les Capucins.

Les frères mineurs Capucins forment une des trois branches masculines du premier ordre religieux de la famille franciscaine approuvée par le Pape Clément VII en 1528.

Lesdits Capucins, établis à Jean de Maurienne en Savoie, étaient appelés dans le cadre de leur mission à se rendre de l’autre côté des Alpes, dans les vallées d'Oulx et Bardonneche, et souhaitaient avoir un pied à terre à Modane. Le 22 décembre 1639, une première demande fut adressée en ce sens par l’Archevêque aux syndics et conseillers de Modane sans de résultat tangible.

Aux grands maux, les grands remèdes, les Capucins firent intervenir la duchesse régente Christine de France, veuve de Victor-Amédée 1er Duc de Savoie, qui écrivit de Chambéry le 26 janvier 1640 :

« Bien aimés féaux.

Etant nécessaire pour le service de Dieu et de son Eglise que les révérends pères Capucins aient une maison de retraite dans le bourg de Modane, qui soit propre et commode pour y faire leurs exercices et fonctions religieuses, tant aux temps de leur quêtes et passages des montagnes en allant et revenant du Piémont, que pour catéchiser, prêcher et opérer le salut des âmes, soit au lieu de Modane que de Maurienne selon leur dévot zèle…

Nous vous demandons expressément par cette présente lettre que promptement vous ayez à leur remettre ladite maison de ladite qualité, la clef de laquelle sera remise au gardien des Capucins pour s’en servir, ainsi que les religieux encore chaque fois qu’ils le jugeront utile…

Vous ne manquerez ainsi d’observer sans difficulté. Sur ce nous prions Dieu qu’il vous ait en garde. »

Voilà une belle injonction, sauf erreur, qui bat en brèche ce qui reste d’autonomie communale.

Résigné, le conseil de Modane se réunit le 15 février 1640 pour proposer une maison avec la possibilité d’une autre alternative.

Et puis, se ravisant pour poser ses conditions, dans la maison de ville à Modane « le dimanche, quatrième jour de mars mille six cents quarante :

honnêtes François Ratel et Michel Martin syndics de Modane,

André Paraz, Dominique Moysend, André Bernard, Guillaume Charvoz, David Villet, Abraham Taburd, Michel Tournaz, Claude Long l’aîné, et Antoine Faurin, conseillers,

ainsi assemblés dans le lieu accoutumé, assistés d’Etienne Tournaz notaire,

déclarent obéir promptement au commandement de Madame Royale et disent prêter une maison pour une année prochaine aux révérends Capucins, à condition qu’ils ne feront aucune quête, autre que celle qu’ils font une fois l’an à l’accoutumée, ainsi fait et résolu.

Nul ne sait combien de temps dura cette concession révocable au gré de la commune.

Ce qui est sûr, le 4 mars 1640, sept de mes très lointains arrière-grand-pères, un syndic et six conseillers se sont penchés sur un épineux dossier.



N.B. Christine de France dite Madame Royale est fille du Roi Henri IV de France et de Marie de Médicis, veuve du duc Victor-Amédée 1er de Savoie, elle fut Régente de ses fils François-Hyacinthe et Charles-Emmanuel II Duc de Savoie

Sources 
Société d'histoire et d'Archéologie de Maurienne année 1874 page 54