samedi 8 mars 2025

Les secrets d'un partage

Cap sur le Duché de Savoie, pour retrouver François Porte un grand-père à la 8ème génération, qui tient à mettre au clair ses affaires après la disparition de son père en 1755, d’autant qu’il est arrivé à s’accorder avec son beau-frère Honoré Porte sur différents points.

Entre Avrieux et le bourg de Modane, cinq kilomètres à pied, une broutille pour mes solides montagnards, ils débarquent vers midi dans l'étude de Maître Jean Pierre Ratel le 3 mars 1756 pour finaliser le partage de feu Vincent Porte.



Et dès le préambule du notaire toute une chronique familiale et patrimoniale défile, par besoin d’inventer, tout est noté dans l’acte.

Maître Ratel a en main un acte d’émancipation signé du greffier Larive, stipulant qu’honnête Vincent Porte a émancipé son fils honnête François Porte le 21 juillet 1752.

Bon une émancipation du patriarche vis-à-vis de son fils, je prends note et découvre ensuite les raisons avec un fort étonnement.

Vincent Porte le père s’est trouvé dans une mauvaise passe : « se voyant extrêmement chargé de dettes ne pouvant par conséquent payer les censes qu’il se trouvait être débiteur par le moyen de la rente de ses biens qui sont de petit prix et de son travail,

et voyant que son dit fils ayant fait quelques épargnes en France pouvait payer une partie de ses dettes. »

Stupeur à lire cet énoncé, et le notaire de mentionner :

Ce qui a déterminé Vincent Porte le père à vendre à son fils « une partie de ses biens, ainsi qu’il se voit par acte du 10 août 1752 dudit Clappier notaire auquel ils y sont amplement détaillés pour et moyennant la somme de 877 livres 16 sols 8 deniers, lequel François Porte s’est chargé de payer aux créanciers de son père. »

Donc le patriarche a cédé des biens à son fiston correspondant à la valeur des dettes réglées par ce dernier. Tiens, tiens !

 
Profond respect filial de mon François Porte, mais le décès du père ab intestat le 3 juillet 1755, le laisse avec sa sœur Barbe dans une situation complexe.

L’hoirie paternelle se trouve encore chargée de quantité de dettes, outre celles qu’il a déjà satisfait, mon ancêtre s’est encore vu obligé de payer plusieurs sommes empruntées par ledit feu Vincent Porte son père.

Et le minutieux notaire de détailler les six créanciers du défunt, les sommes honorées par le fils et les dates des quittances, soit une seconde ardoise de 427 livres 2 sols 8 deniers.

Là entre en scène le beau-frère, Honoré Porte à feu Jean Pierre, en qualité de mari et constitutaire général à Barbe Porte, consent à ce que François Porte mon ancêtre prenne des biens de son père pour se payer de la somme (de la seconde ardoise sous-entendu).

Quant aux dettes qui peuvent encore rester ledit Honoré Porte a offert de se charger de payer ce qui peut être dû par ledit feu Vincent à deux autres créanciers, ainsi qu’à l’école de Modane (sic).

Pour le surplus de dettes, les deux hommes ont offert de payer la moitié chacun. Ouf, mais que d'arrangements en amont. 

AD 73 Tabellion St-Michel 1756 extrait

Après ces préliminaires financiers, et pour éviter les difficultés qui peuvent survenir à l’avenir sur ces biens qui leur ont été délaissés tant par ledit feu Vincent Porte que par Marie Bertrand feu Jacques leur mère, mes solides montagnards procèdent au partage du reste de l’hoirie paternelle et de l’hoirie maternelle.

Et le consciencieux Notaire Royal Collégié, de se lancer dans la description des deux lots et d’user plusieurs plumes d’oie j’imagine.

Premièrement est arrivé au lot dudit François Porte mon aïeul les biens et pièces suivants situés sur le territoire d’Avrieux :

- Les trois quarts d’une pièce de pré et paquage située au lieu « en montagne aux cottes » laquelle est sous les numéros 3412 et 3415 de la Mappe,
- Les trois quarts d’une grange située au même lieu sous le numéro 3401,
- La moitié d’une pièce de terre située au lieu « la Tournaz » qui est sous le numéro 4121
- Une pièce de pré située au lieu « aux Granges Neuves » contenant environ 4 modures laquelle est sous le numéro 2214
- Une pièce de terre située au lieu « au Rey » contenant environ 6 modures laquelle est sous le numéro 644 et 645
- Une pièce de choulière située au lieu « la Glaire « contenant environ demie modure sous le numéro 792,

Pour votre gouverne, une choulière est un petit jardin découpé dans les pâturages pour y cultiver des choux ou d’autres légumes.

Et rassurez-vous je ne vous inflige pas toute la liste, toutefois est arrivé au lot dudit François la moitié d’un bâtiment et d’une tannerie consistant en plusieurs membres (sic) savoir cuisine, poêle, cave, grange et écurie le tout sous les numéros 1510 et 1512 de la Mappe.

Certains terrains sont à partager entre les deux beaux-frères, pourquoi se priver de morceler dites moi !

Ensuite est arrivé au lot dudit Honoré Porte en sa qualité de mari et procureur de Barbe un bon nombre de terrains énumérés de façon précise. Vous échappez à cette liste que je n’ai pas fini de pointer.


Maître Ratel stipule que les parties ont convenu, pour regard de la contenance, de prendre les pièces telles qu’elle se trouveront être et jouxtent leurs confins portés par les cadastres, avec leurs droits, entrées, et sorties accoutumées. Les partageants en disposent selon leur volonté par testament ou autre.

Vu le contexte disons particulier, et par prudence, le notaire précise que ;

- Ledit Honoré Porte beau-frère promet laisser jouir paisible possession ledit François Porte mon ancêtre de tous les biens qui lui ont été vendus par ledit feu Vincent Porte son père ainsi qu’il se voit par contrat du 10 août 1752.

- Grand-père François Porte, attendu que son lot est de mieux value, que celui arrivé à Honoré Porte promet moyennant les biens arrivés à son lot ne jamais plus rien demander à son dit beau-frère de la somme de 427 livres 2 sols 8 deniers qu’il a payés.

L’acte de partage dûment signé par les parties, les deux témoins, le Notaire Royal Collégié, daté du 3 mars 1756 doit être enregistré auprès du Tabellion avec paiement de droits, et chaque partageant en recevra une expédition.

***

Le bilan de cet étonnant partage et des secrets de famille dévoilés : un lointain patriarche Vincent Porte criblé de dettes épongées par son fiston François Porte, pour 1305 livres environ, une émancipation, une vente fictive pour sauver le déshonneur du père et son amour-propre, un aïeul avec une épargne liée à ses affaires en France.

- Grand-père François que faisais tu en France, où étais tu, avec qui, pendant combien de temps ?

- Patriarche Vincent, vous m’avez étonnée, voire amusée, et puis l’empathie s’est installée, tant à votre égard qu’à celle de votre fils.

Je vais filer découvrir l’acte d’émancipation, la vente évoquée, afin de prolonger cette chronique familiale.

Merci à la belle écriture du secrétaire de Maître Ratel, notaire qui cite les numéros des biens inscrits sur la Mappe dite Sarde, soit le premier cadastre européen établi entre 1728-1738, à l’occasion je lorgnerai sur les documents en ligne sur le site des Archives de Savoie.

A bientôt


Retrouver cette famille 



N.B.
ab intestat : sans testament 
notaire collégié : a fait des études de droit
paquage ou pacage : terrain où l'on fait paître les animaux
modure : mesure de surface 
1 livre : salaire quotidien d'un ouvrier spécialisé non nourri 
1/2 livre : salaire quotidien ouvrier agricole non nourri 

Sources 
AD 73 Tabellion St Michel de Maurienne 2C 2813 vue 88