dimanche 23 février 2025

Etienne Eard un ancêtre alibi

Me voilà extirpé du fond d’un vieux tiroir, sans me demander mon consentement, sous prétexte que j’ai été baptisé un vingt-trois février, voici un certain temps, en 1706 à Modane.

« Stephanus filius Joannis Michealis Eard et Dominica Long baptisatus est die 23 feb patrini sunt Stephanus Long et Joanna Paraz »

Quoi vous ne lisez pas le latin ? c’est tout simple, je suis le fils de Jean Michel EARD et Dominique LONG, je porte le prénom de mon parrain Etienne Long, ma marraine s’appelle Jeanne Paraz.

Photo Pixabay

Ma lointaine descendante qui essaie de piloter « La Ronde des Ancêtres » et discipliner sa troupe, s’est résignée à déchiffrer peu ou prou les actes en latin des registres tenus par le clergé dans le Duché de Savoie. Chut elle s’avère être « addict » aux actes notariés en français pour tenter de nous mettre en valeur.

Je suis un « ancêtre alibi » pour marquer l’anniversaire du blog mis sur orbite un certain 23 février 2017.

Dans un tiroir sont entassés 166 billets publiés, un autre comptabilise plus de 740 commentaires sans oublier les mots sur les réseaux sociaux ou les petits cœurs. Deux ou trois tiroirs contiennent des pense-bêtes, des références, de quoi plancher sur nous, ombres du passé.

Ma vie, qu’en dire ? Moi Etienne EARD un vaillant gars, j’épouse en premières noces une payse Marie ARMAND en 1740, le sort s’acharne sur nos 4 enfants et leur mère, et je me retrouve veuf en février 1756.

Dynamique et optimiste quinquagénaire, je me remarie dans la foulée le 1er juin 1756 avec Marie Françoise BERNARD une jeunesse qui cousine avec ma défunte. Ce qui fait qu’un autre acte intervient le 20 février 1757, une fois les papiers de dispense vraiment en mains par le curé pour l’histoire de 4ème degré d’affinités.

Si, si, une réhabilitation en somme, comme a inscrit ma secrétaire dans son logiciel. C’est dans le texte en latin sur la même page du registre paroissial. Ah ces paperasses !

Le premier enfançon en route naît dès le 11 avril suivant « mon » François, les autres suivent Antoine, Catherine et Marie-Josèphe, chut j’ai presque 60 ans alors.

Je suis laboureur avec des terres et des prés, un alpage, et mon bétail compte 1 veau, 6 vaches, et 2 moutons lors d'un recensement de la gabelle en 1758.

Je rejoins le ciel de mes ancêtres soit en 1769, soit en 1772, que voulez-vous le curé pressé se borne à de sommaires listes pour les inhumations. Marie-Françoise BERNARD veille sur les enfants, je la charge de tarabuster ma secrétaire pour qu’elle s’occupe de mes actes notariés avant la fin de votre siècle.

Extrait d'arbre - cliquer pour agrandir


Je retourne dans mon tiroir me reposer après cet intermède et papoter à l’occasion avec d’autres invisibles de « La Ronde des Ancêtres » de Savoie ou du Royaume de France.

J’ai failli oublier de vous rappeler que François EARD mon fils est le père de François-Benjamin EARD mon petit-fils en tête de l’affiche en 2020, passez le voir.


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Sources 
AD 73 Modane BMS
Indices Geneanet 
pseudo arcval et maurienne1

 

samedi 15 février 2025

A bâtons rompus

Noir et blanc de registres paroissiaux, d’actes notariés, puis noir et blanc d’une photo ancienne d’Avrieux en Savoie qui révèle l’habitat groupé, les petites parcelles de jardin, plus loin les champs, à l’arrière-plan des cultures en terrasse, sans oublier plus haut les alpages.

© Musée Savoisien - Avrieux 

Avrieux, village à 1100 mètres d’altitude sur un versant ensoleillé, avec 500 âmes environ, s’est révélé être un nid d’ancêtres dans la haute vallée de la Maurienne, pas étonnant d’apercevoir en grisé des silhouettes s’activant, d’entendre des sons assourdis : des rendez-vous ancestraux somme toute.

Vincent Porte y accueille en novembre 1747 sa bru Marie-Françoise Parmier venue du village voisin du Bourget pour fonder une famille avec son fils unique François Porte, heureusement la dot est convenable et le trousseau garni. Agé de 64 ans, veuf de Marie Bertrand, Vincent le père a besoin d’être aidé par le nouveau couple pour tous les travaux, d’autant que sa seule fille Barbe a convolé l’année précédente avec Honoré Porte (et oui une autre branche Porte).

Cahin-caha, Marie-Françoise s’adapte au caractère de son homme, de son beau-père, prend ses marques dans la maison, ses repères dans le village, fraternise avec la parenté. Un premier cri d’enfant est poussé, le 29 août 1748, par une petite Marie aussitôt baptisée, Marie Parmier une cousine de la maman en est la marraine, et le parrain son oncle Honoré.

Les saisons se succèdent, comptent double pour Vincent le grand-père, les intempéries ou le trop grand soleil se répercutent sur les récoltes, et puis toutes ses charges à s’acquitter, que de souci, et en plus pas d’héritier mâle chez son fils. Echanges vifs en famille, espérances déçues avec des fausses-couches, comment savoir.

Affaibli, Vincent Porte le grand-père s’éteint le 4 juillet 1755 entouré des siens à 71 ans, silence et recueillement,

© Musée Savoisien boite à sel
La roue tourne, François Porte, courageux de tout temps, est désormais chef de famille comme en atteste le recensement de la gabelle en 1758 avec Marie-Françoise son épouse et la petite Marie. L’agent a inscrit pour le bétail : 3 vaches, 3 brebis, 2 chèvres et 1 veau à saler.

Pour cet impôt qui va dans les caisses royales, impopulaire tant en Savoie que dans le Royaume de France, François va devoir acheter 8 livres de sel par personne, 6 livres par vache, un peu moins pour les autres animaux.

Et puis en plein hiver, le 17 février 1762, effervescence au logis, espoir et inquiétude, la matrone du lieu officie, les femmes de la proche parenté s’agitent et encouragent Marie-Françoise pour une naissance gémellaire. Epuisée, la maman admire Joseph le fils tant attendu et une petite Anne pas très vaillante. Une sœur de la parturiente, une tante et un oncle, un parent prénommé Joseph tous pressentis comme marraines et parrains des jumeaux foncent à l’église proche pour le baptême comme de coutume et ramènent vite mettre les enfants au chaud. 

A-t-elle pu nourrir les deux nouveaux-nés ma Marie-Françoise, pas de trace de la petite ensuite, le petit gars a résisté.

Bienvenu à mon lointain grand-père Joseph Porte qui grandit avec Marie sa grande sœur, 14 années d’écart. L’un et l’autre sont envoyés à la petite école du village : catéchisme, calcul, lecture, écriture au programme, entre la Toussaint et Pâques, parce que les autres mois les gamins aident aux champs ou gardent les bêtes à l’alpage.

La roue tourne, Marie l’aînée de François Porte s’établit, sa mère a veillé au trousseau, laissé choisir la dentelle ou le fichu d'indienne à la future, le père méditant sur les parcelles à donner. Grand merci au notaire pour sa belle écriture dans le contrat dotal du 26 novembre 1771 entre Marie Porte et Jean-Baptiste Corrand et toutes ses précisions dont les noms des mères. 

Dans les morceaux choisis du trossel de Marie je note un petit crucifix d'argent, de ceux que l'on noue autour du cou avec un ruban, quatre coiffes de deuil parmi les nombreuses coiffes, un chaudron avec sa anse pesant 13 livres de ceux que l'on pose sur trépied dans la cheminée. Les pères, le futur et la future et les deux témoins signent, sauf les mères qui font leur marque. Contente de découvrir que François a permis à sa fille Marie d'avoir des rudiments d'instruction. 

Extrait d'arbre - cliquer pour agrandir

Journée chargée pour les mariés et les parents puisque le même jour, le mariage est célébré dans l'église d'Avrieux. Quel fichu d'indienne a été choisi par ces dames pour réchauffer leur robe verte ou violette, qui a aidé au repas de noces, les messieurs ont-ils été prévenants, empressés, point trop portés sur la dive bouteille ? Mystère. 

Joseph Porte le petit frère de presque 10 ans, a-t-il remarqué à cette occasion une cousine de son âge. En tout cas François son père et son défunt grand-père Vincent m'ont réservé des surprises, et j'envisage de vous les révéler prochainement. 


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Sources
AD 73 Avrieux BMS
AD 73 Tabellion Termignon 1771

samedi 1 février 2025

Les accordailles

Le Bourget est le fief de Jean-Baptiste Parmier, de son père Dominique maître-bâtier, lointains grands-pères, de leur parenté Buisson, ce village fut un relais important sur la voie reliant la Maurienne à la vallée de Suse en Piémont par le col du Montcenis.

Lieu de passage qui justifie son développement, cité par des récits de voyageurs, comme celui de Jacques Lesaige, marchand de draps de soie de Douai, se rendant à Jérusalem en 1518 qui écrivit :

« de Saint-André au Bourget il y a deux grandes lieues et pénibles chemins de pierre, et monts et vallées, et toujours neige d'un côté et de l'autre. Il nous fallut passer plusieurs eaux. Nous demeurâmes au diner au dit Bourget qui est un village, et portent les femmes des alentours rouges chapeaux, et je dépensai cinq gros. Du Bourget à Termignon, il y a trois grandes lieues et tels chemins que devant".

Eglise Le Bourget ©Wikipedia Florian Pépellin

Là dans ce coin du Duché de Savoie, sur la rive droite de l’impétueuse rivière Arc, versant ensoleillé à 1200 mètres d’altitude, Jean-Baptiste Parmier bâtier vit du passage des voyageurs, avec Marie Ratel son épouse. Confection et réparation de bâts pour les mulets, réparations de sangles, ou de la selle d’un cavalier avant le passage des Alpes, voire de roues de carrosses de doctes personnages et gentes dames en route pour la cour installée à Turin, tel s'avère le quotidien du chef de famille.

Les maisons s’adaptent à la déclivité du terrain, et communiquent par des passages couverts, l’idéal pour les parties de cache-cache des enfants.

Ma chère Marie Ratel si elle n’a pas de belle-mère à supporter, se trouve sous la coupe de sa moitié certes, mais aussi celle du patriarche son beau-père, deux beaux-frères à servir avant qu’ils ne s’établissent, et des belles-sœurs qui ont pu l’aider avant de convoler. Bref la vie regroupée de l’époque…

Après Anne, le couple accueille une petite Marie-Françoise (sosa 129), baptisée le 5 août 1717 dans l’église Saint-Pierre aux Liens du Bourget, en une chaude journée estivale, bonjour chère aïeule.

Débarquent ensuite une autre petiote Marguerite, suivie d’un petit ange Etienne, encore une fille Anastasie, et enfin un héritier costaud Etienne.


Extrait arbre cliquer pour agrandir

Le temps passe, le patriarche Dominique Parmier s’affaiblit, prend ses dispositions entres ses sept enfants, et se réfugie dans le « pélo » ou « pléchotte » « poêle » dans les actes notariés. Cette pièce est tempérée par la grande cheminée de la cuisine attenante.

Marie-Françoise âgée de 9 ans perd son grand-père paternel en 1726, et à presque 18 ans voit disparaître coup sur coup Marguerite Lathoud sa grand-mère maternelle et sa pauvre maman en 1735.

Les trois aînées de Jean-Baptiste, désormais veuf, élèvent les plus jeunes, s’affairent pour l’intendance de la maisonnée, s’occupent des quelques bêtes, travaillent aux champs, sans oublier le filage du chanvre.

***
Rêve-t-elle un peu Marie-Françoise à son avenir, en tout cas le père ne « lâche » pas vite ses filles, qui dit mariage dit dot, qui dit mariage dit servante en moins.

Comme toute fille de cette époque, elle pense à son trousseau et, auprès des marchands qui transitent au village, a retenu de la toile de Cambrai pour ses coiffes, un lin très fin, et aussi un lin plus basique. Elle en confectionne plus de 24, certaines coiffes sont ajourées, toutes sont bordées de dentelle et de même elle coud 24 coiffes de toile prime de pays qui sont ornées de dentelle.

Pour agrémenter sa vêture et jeter sur ses épaules, Marie-Françoise peut choisir entre 4 mouchoirs d’indienne, autant de soie dont 3 multicolores et un vert, son mouchoir de gaze ou se contenter d’un de ses 2 mouchoirs de coton.

Bref vous vous doutez qu’il y a eu des accordailles pour ma petite Marie-Françoise Parmier (sosa 129) à 30 ans révolus son mariage se précise. L’heureux élu, François Porte (sosa 128) fils de Vincent Porte habite le village voisin d'Avrieux, il a fait la route de quelques lieues avec Maître Jacques Girard le notaire, son père et ses témoins Honoré Porte et Pierre Mulinier pour l’établissement du contrat dotal.

Grand jour ce 15 novembre 1747 pour acter les tractations antérieures entre le père Jean-Baptiste Parmier et François Porte le futur époux, le notaire royal et collégié s’applique et connaît les formules par cœur.

AD 73 Tabellion Termignon 1747 extrait

Pour contribuer aux charges du mariage, Marie-Françoise apporte en dot une pièce de terre  de trois quartellées située près de la chapelle Sainte-Apollonie, d’autres parcelles de terre et de pré toutes situées et délimitées avec précision, ainsi qu’une chènevière où pousse le chanvre en milieu humide, et une quote-part de montagne c’est-à-dire des prés en alpage.

Selon la coutume de Savoie, François donne à sa belle un augment de 180 livres.

Toutes les pièces du trossel de mon aïeule sont détaillées selon leur état : neuf, presque neuf, mi-usé, selon le tissu. Elle détient plusieurs foudelles (tabliers) de ratine verte, de drap violet, de drap de pays violet, sans oublier 4 robes dont une de drap blanc avec un corsage violet, une robe couleur vin.

Pour se réchauffer, ma promise dispose de 4 paires de bas fait à l’aiguille en laine de pays et pour se chausser de 4 paires de souliers neufs.

Dans la liste, figure une note touchante : 2 baptisés soit une pièce entourant les nouveau-nés lors de leur baptême et 4 bonnets pour enfants à la mamelle, et une note de coquetterie : une bague et une petite croix. Tout le trousseau doit tenir dans le coffre de sapin fermant à clé.

Pour les 4 livres d’étain commun (vaisselle ?), les 12 quartes de seigle, la quarte de froment, et 4 livres de méteil soit une association de céréales, des sacs doivent être prévus et chargés sur le bât d’un mulet.

Ma petite Marie-Françoise, détentrice du trousseau et des denrées, avec les siens, prend le chemin d’Avrieux le 21 novembre 1747 pour la cérémonie des épousailles dans l’église paroissiale du marié François Porte comme le veut la tradition en Maurienne.

Le chemin d’une nouvelle vie dans un nouveau village, et l’espoir que ce couple trentenaire se soit accordé.

A suivre 


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N.B. le gros est une pièce de monnaie d'argent 
         la livre est une unité de poids 
         la quartellée est une mesure de surface
         la quarte est une mesure pour les grains

AD 73 Tabellion Termignon 1747 2C 2369 vue 345