vendredi 12 septembre 2025

En rase campagne

Frêle et silencieuse Marie CLEMENT, une très lointaine grand-tante, naît vers 1676 à Montmeyran dans la Drôme actuelle.

Quatrième enfant d'une fratrie de huit, ses parents  Louis CLEMENT et Marie GENSEL sa seconde épouse sont mes ancêtres à la dixième génération. Son baptême a du intervenir dans la paroisse voisine de Beaumont où un Pasteur officie. Vu la graphie et les surcharges du registre paroissial concerné, l’acte de baptême se cache désespérément.

Les parents sont acquis aux idées de la Réforme et tous les enfants de Louis CLEMENT tisseur de toiles sont baptisés protestants, y compris les quatre enfants de sa première union avec Anne ARNOUX.

Marie grandit dans une famille nombreuse et recomposée, où les aînés aident le père dans sa tâche, et les filles œuvrent pour le quotidien, filent la laine ou le chanvre et par-là secondent la maîtresse de maison selon le schéma de l’époque.

Wikipedia Allex Lithographie Delabelle

Peu à peu le père établit ses enfants, Marie convole ainsi un beau jour de septembre 1704.

La famille a parcouru une dizaine de kilomètres pour se rendre dans la paroisse d’Allex, a passé la porte du Tuilier, entrée principale depuis le Moyen-Age, pour se rendre à l’Eglise Saint-Maurice. Depuis la Révocation de l’Edit de Nantes, Marie CLEMENT et les siens sont des nouveaux convertis et donc catholiques.

A la date du mercredi 24 septembre 1704 ma lointaine grand-tante unit sa destinée à un maréchal-ferrant Jean ALISSY fils de Paul et Jeanne URTIN.

Pour Marie, le bruit du métier à tisser paternel est remplacé par le bruit de la forge, du marteau sur l’enclume, le rouge du foyer et du métal, les odeurs du charbon de bois et de la corne des animaux.

Elle met au monde cinq enfants dont des jumeaux, Jean ALISSY le dernier petit en 1713 a pour parrain et marraine Louis CLEMENT son oncle et Madeleine REBOUL sa tante venus de Montmeyran (sosa 464 et sosa 465).

Cela devait être pratique pour Marie de se faufiler dans un des andrones (1) du village, étroit passage couvert pour piétons de 25 à 40 centimètres entre les maisons, et ainsi se déplacer plus rapidement.

Alors veuve, elle est sortie du village une fin octobre, avec des tâches à accomplir ou des idées sombres, on ne saura jamais.

AD 26 Allex BMS vue 158

Le prêtre dans le registre a inscrit :

« Le premier jour de novembre 1726 Marie Veuve de Jean Alissy a été trouvée morte sur le grand chemin allant à Rochemore étant tombée d'un mûrier, étant nouvelle convertie n'ayant jamais fait son devoir pascal, elle a été enterrée en rase campagne comme il m'a été déclaré. »

Inhumée en terre profane une fois de plus, comme tant d'autres ancêtres ou collatéraux, nouveaux convertis du bout des lèvres, et pas vraiment assidus aux offices religieux.

Frêle et silencieuse collatérale qui laisse une seule enfant : Marie ALISSY qui s'établit en 1731.





N.B. Une lectrice drômoise suggère " que Marie pouvait être sur une échelle pointue qui tournait facilement, en train de cueillir des feuilles de mûriers, pour nourrir ses derniers vers à soie qu'on alimentait de mai à fin octobre" 

(1) l'androne est un mot occitan dérivé du grec andron qui était la pièce destinée aux hommes, puis a désigné un corridor entre deux cours et ensuite un espace entre deux maisons, ce type de passage se rapproche de la traboule de Lyon.


Sources AD 26 
BMS Montmeyran Beaumont les Valence
BMS Allex 1696-1731 
Mémoires d'Allex 


13 commentaires:

  1. Une petite invisible fort bien contée ... et un nouveau mot à mon vocabulaire : androne

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  2. "Andron" , j'en ai entendu parler, récemment dans un reportage sur un petit village du sud de la France.

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    1. merci Christiane, un terme usité en effet en Occitanie

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  3. C'est sympa de retrouver dans la Drôme ce mot pour désigner une rue étroite en Provence.

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  4. Oh j'ai des collatéraux GENSEL à Montmeyran sur ma branche protestante, mais beaucoup plus tard

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  5. C'est terrible mais en même temps si poétique d'être enterré en "rase campagne"... Bravo pour cette évocation, Marie semble si réelle !

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  6. C'est terrible et à la fois si poétique d'être enterrée en "rase campagne".
    Bravo pour cette évocation, Marie semble si réelle...

    (Je n'avais pas vu que j'étais anonyme. Pardon pour le doublon.)
    Françoise

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  7. Je croyais connaitre Allex (la lithographie de Wikipédia est très ressemblante) pour y avoir des ancêtres mais je ne connaissais pas le terme d' "androne".
    Mais, il fallait être très mince pour se faufiler dans un espace de 25 à 40 cm !
    Votre récit est très proche de ce que j'ai pu trouver concernant les nouveaux convertis.

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  8. Il y a des andrones en Nouvelle Aquitaine, ainsi, à Bordeaux la bien connue rue de la vache dans le quartier Saint Pierre, dans laquelle, dit-on, une vache se serait coincée... Je suppose que c'est une "rue" car passage public, mais ce n'est qu'un étroit passage pour piétons, une androne, effectivement. Les andrones permettaient aussi, ici, de séparer les maisons les unes des autres pour limiter -un peu- la propagation des incendies.

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    1. Intéressantes précisions merci

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    2. "inhumée en terre profane" ... La pauvre femme n'avait pas eu droit à l'ensevelissement en " terre chrétienne", sous entendu dans le cimetière catholique, puisqu'elle n'avait pas reçu avant sa mort les derniers sacrements. A noter que le clergé pouvait ne pas tenir compte desdits ultimes sacrements si le défunt ou la défunte avait participé de son vivant à la messe de Pâques, la plus importante pour le culte catholique. Or, Marie "étant nouvelle convertie /n'a/ jamais fait son devoir pascal", écrit le curé dans son registre des décès de la paroisse.

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    3. Tout à fait, mansuétude du clergé si le paroissien avait" fait ses Pâques" mention rencontrée dans le cas d'un décès par coup de fusil tiré par un mauvais homme

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