samedi 20 septembre 2025

Une carte de Lannion

Cap en Bretagne à Lannion dans les Côtes d’Armor, pour un modeste rendez-vous familial de couleur sépia, à plus d’un siècle d’écart l’image se colorise, les propos parviennent assourdis. Le passé se mêle au présent, conjugué à l’émotion de découvrir un peu la ville où Nésida et sa moitié ont vécu un temps. Et soudain :

Nésida ARNOUX glisse une mèche rebelle dans son chignon, tout en pénétrant dans la pièce, avec à la main une carte postale :

Lannion document familial

Tiens j’ai choisi cette carte, à ton tour d’écrire à la petite, je la pose là, il faut soutenir Isabelle vu les circonstances. 

La petite âgée de 4 ans préoccupe ses proches, tout comme Isabelle ARNOUX sa maman, hélas sans nouvelles d’Emile MERCIER le papa, soldat disparu lors des terribles combat de Verdun en juin 1916.

Tant de souffrances dans les familles avec la déflagration d’un conflit que l’on nommera ensuite Première Guerre Mondiale, Isabelle s’est retrouvée seule avec Jeanne pendant quatre ans dans l’Aisne, territoire envahi, avant de pouvoir regagner la Drôme sa terre natale. VOIR ICI

René PICARD l’époux interpellé, au visage rond aux yeux sombres, lève le nez de ses paperasses regarde tendrement Nésida, prend la carte, et lorgne la reproduction : la promenade du Léguer et le quai de la Corderie.

Leur vue au quotidien depuis que le couple s’est installé à Lannion avec sa nomination de procureur de la République au Tribunal de la ville.

Oncle René lisse ses fines moustaches, réfléchit un tantinet, comment intéresser une petiote, sa nièce qu’il ne connaît pas encore, lui qui n’a pas d’enfant, il se lance et trempe sa plume dans l’encrier.

Document familial 

« Ma chère petite Nénette » (hélas c’est l’épouvantable surnom donné à ma petite Maman)

« Je t’envoie une carte où tu verras notre maison. La fenêtre près de laquelle il y a une croix est celle de mon cabinet de travail de Tonton René, d’où il t’écrit aujourd’hui. Devant la maison c’est la rivière, mais la mer est basse et montera bientôt. Je t’embrasse affectueusement ainsi que ta maman. »
Signé Tonton René

Il restera à expliquer de vive voix à la petiote que le Léguer (Leger en breton) est une rivière qui traverse la ville de Lannion et se jette dans la Manche et se trouve donc soumise à la marée.

L’encre bleue cède à l’encre noire, et finement Tante Nésida écrit en travers et complète :

« Guéris vite. Bois bien ton huile de foie de morue et laisse-toi mettre des cataplasmes s’il le faut. Bons baisers. »
Signé Tante Nésida

En cette fin d’été 1918, on soigne et chouchoute la petiote atteinte de typhoïde et gringalette qui a gardé en mémoire les cuillerées du breuvage évoqué et le lait de poule de sa grand-mère maternelle.

Jeanne la destinataire recevra d’autres cartes de Lannion et pourra avec l’aide de sa maman se faire une idée de cette région lointaine que celle du Trégor, région qui n’a pas connu le bruit des bottes allemandes mais hébergée dans des hôpitaux militaires complémentaires de nombreux soldats blessés.

Petite Jeanne, enfin Nénette, à qui Oncle René a réclamé une photo en attendant de pouvoir la rencontrer, la remerciant de son envoi a mentionné avoir embrassé le portrait, qui a été le plus ému (e) à vous d'apprécier. 

Seule solution continuer à numériser mes petits trésors pour découvrir ou redécouvrir quelques échanges bizarrement conservés et révélateurs de liens familiaux. 


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vendredi 12 septembre 2025

En rase campagne

Frêle et silencieuse Marie CLEMENT, une très lointaine grand-tante, naît vers 1676 à Montmeyran dans la Drôme actuelle.

Quatrième enfant d'une fratrie de huit, ses parents  Louis CLEMENT et Marie GENSEL sa seconde épouse sont mes ancêtres à la dixième génération. Son baptême a du intervenir dans la paroisse voisine de Beaumont où un Pasteur officie. Vu la graphie et les surcharges du registre paroissial concerné, l’acte de baptême se cache désespérément.

Les parents sont acquis aux idées de la Réforme et tous les enfants de Louis CLEMENT tisseur de toiles sont baptisés protestants, y compris les quatre enfants de sa première union avec Anne ARNOUX.

Marie grandit dans une famille nombreuse et recomposée, où les aînés aident le père dans sa tâche, et les filles œuvrent pour le quotidien, filent la laine ou le chanvre et par-là secondent la maîtresse de maison selon le schéma de l’époque.

Wikipedia Allex Lithographie Delabelle

Peu à peu le père établit ses enfants, Marie convole ainsi un beau jour de septembre 1704.

La famille a parcouru une dizaine de kilomètres pour se rendre dans la paroisse d’Allex, a passé la porte du Tuilier, entrée principale depuis le Moyen-Age, pour se rendre à l’Eglise Saint-Maurice. Depuis la Révocation de l’Edit de Nantes, Marie CLEMENT et les siens sont des nouveaux convertis et donc catholiques.

A la date du mercredi 24 septembre 1704 ma lointaine grand-tante unit sa destinée à un maréchal-ferrant Jean ALISSY fils de Paul et Jeanne URTIN.

Pour Marie, le bruit du métier à tisser paternel est remplacé par le bruit de la forge, du marteau sur l’enclume, le rouge du foyer et du métal, les odeurs du charbon de bois et de la corne des animaux.

Elle met au monde cinq enfants dont des jumeaux, Jean ALISSY le dernier petit en 1713 a pour parrain et marraine Louis CLEMENT son oncle et Madeleine REBOUL sa tante venus de Montmeyran (sosa 464 et sosa 465).

Cela devait être pratique pour Marie de se faufiler dans un des andrones (1) du village, étroit passage couvert pour piétons de 25 à 40 centimètres entre les maisons, et ainsi se déplacer plus rapidement.

Alors veuve, elle est sortie du village une fin octobre, avec des tâches à accomplir ou des idées sombres, on ne saura jamais.

AD 26 Allex BMS vue 158

Le prêtre dans le registre a inscrit :

« Le premier jour de novembre 1726 Marie Veuve de Jean Alissy a été trouvée morte sur le grand chemin allant à Rochemore étant tombée d'un mûrier, étant nouvelle convertie n'ayant jamais fait son devoir pascal, elle a été enterrée en rase campagne comme il m'a été déclaré. »

Inhumée en terre profane une fois de plus, comme tant d'autres ancêtres ou collatéraux, nouveaux convertis du bout des lèvres, et pas vraiment assidus aux offices religieux.

Frêle et silencieuse collatérale qui laisse une seule enfant : Marie ALISSY qui s'établit en 1731.





N.B. Une lectrice drômoise suggère " que Marie pouvait être sur une échelle pointue qui tournait facilement, en train de cueillir des feuilles de mûriers, pour nourrir ses derniers vers à soie qu'on alimentait de mai à fin octobre" 

(1) l'androne est un mot occitan dérivé du grec andron qui était la pièce destinée aux hommes, puis a désigné un corridor entre deux cours et ensuite un espace entre deux maisons, ce type de passage se rapproche de la traboule de Lyon.


Sources AD 26 
BMS Montmeyran Beaumont les Valence
BMS Allex 1696-1731 
Mémoires d'Allex