jeudi 7 décembre 2023

Gasparde guérisseuse ou sorcière

Surprenant, s’avère être, le fil de vie de Gasparde Romollon, fille de Claude Romollon et de Marie Mellurin mes ancêtres à la 11ème génération, et sœur aînée de Claudie Romollon épouse de Thadée Clappier, couple précédemment mis en valeur dans un billet intitulé Un aïeul mentionné aveugle.

La famille habitait en Haute Maurienne à Modane dans le Duché de Savoie à la fin du XVIIème siècle, et faisait partie des rescapés de l’épouvantable épidémie de peste qui avait sévi dans la vallée en 1630 et 1631.

Gasparde Romollon, lointaine collatérale, lors de son baptême le 19 décembre 1632 à Modane, reçut le prénom de sa marraine épouse de Jacques Romollon le parrain, des proches donc.

Hans Sebald Beham-Musée du Louvre
En ce temps-là, dans une société montagnarde et paysanne qui luttait pour sa survie, on craignait Dieu, les éléments, les épidémies, les sortilèges et maléfices, car on était désarmé face aux maladies des gens mais aussi du bétail, désarmé face aux calamités naturelles.

Le parcours singulier de Gasparde est retracé dans l’ouvrage de Jean et Renée Nicolas sur « la vie quotidienne en Savoie aux XVII et XVIII èmes siècles » et évoqué dans un article de la Société d’Histoire et d’Archéologie de la Maurienne de Michèle Brocart-Plaut.

La matière leur a été fourni par un procès conservé aux archives départementales de Savoie « ma » Gasparde apparaissant dans une affaire jugée par le Sénat en 1686 pour un type de délit : sortilèges et maléfices.


Stupeur de ma part lors de cette découverte, et grande curiosité surtout !

Gasparde Romollon était considérée pour être une fameuse guérisseuse, elle qui fut une élève pendant douze années auprès d’un médecin de La Grave en Dauphiné, et la rumeur lui prêtait de réels talents.

« Entre autres cures, appelée pour un petit enfant « enflé » elle le frotte d’une certaine huile et fait aller chercher trois "babies" c’est-à-dire des crapauds, qu’elle enveloppe dans du linge, et pendants trois nuits fait coucher le petit enfant dessus pour qu’ils attirent le venin. Ailleurs elle prescrit l’herbe de la " rotaz" pour faire décailler le sang, ou encore un emplâtre pour les ruptures, coupures, et catarrhes ».

« L’herbe de l’encombre, dont elle use aussi, est bonne à ôter les maléfices ; il faut la cueillir à jeun le matin, ou plutôt la veille de la Saint-Jean car elle agit ainsi avec beaucoup plus de force. »

« Elle lève aussi les sorts aux bêtes, vaches ou poules dit-on. 

Tout cela pour un salaire modeste, sa nourriture tant qu’elle est là, une place à l’écurie, une quarte de pommes ou de noix quand elle s’en va. »

Requise par le cordonnier Arnaud de Termignon, dont l’épouse souffrait de mille maux et avait fait des pèlerinages, Gasparde s’installa à demeure chez le couple pour préparer ses drogues et exorcismes, désigna une coupable mais ne réussit pas cette fois à lever le sort.

Pour lever ledit sort, Gasparde désignait l’ensorceleur, le faisait venir et utilisait le cérémonial suivant :

« Elle dépose un vêtement sale du malade, bien imprégné de ses sucs, dans un chaudron neuf, avec une livre de sel béni. Après l’avoir posé sur le feu, elle fait jeter tous les liquides contenus dans la demeure, fermer toutes les fenêtres et même le trou de la serrure, car, dit-elle, là ou peut se tenir une mouche il y entre un heregoz soit une forme de sorcier. 
Puis elle prend l’une après l’autre cinq petites verges d’osier composées chacune de neuf brins et en bat le cul de chaudron de la main droite, jusqu’à usure des brins. Dans le même temps, elle maintient le chaudron avec un bâton de frêne béni tenu de la main gauche, et remarque au passage que, si l’on prend de l’eau bénite avec le doigt, on lui ôte toute sa vertu. »


La corde est raide entre guérir et désensorceler vous vous en doutez-bien, les curés trouvent à redire à ses manèges, des bruits courent sur sa mauvaise influence et Gasparde fut dénoncée par ceux-là mêmes qu’elle a soignés et parfois guéris.

Gasparde Romollon feu Claude de Saint Julien-Montdenis a la cinquantaine au moment de son procès vers 1687. Les juges ont renoncé à la cataloguer sorcière, le Procureur Général du Sénat ayant souligné « ses remèdes ont presque toujours eu un heureux succès. » Toutefois le bruit qui se fait autour d’elle indispose la justice qui finalement la condamne au bannissement à vie.

En cette fin du XVIIème siècle dans les Etats du Duc de Savoie la mort par le feu des sorciers ou sorcières n’existait plus, et le bannissement des états du Duc de Savoie, fut reconnu comme la peine maximale. Au préalable les condamnés devaient subir  une peine humiliante et afflictive, conduits à tous les carrefours de la ville, pour y être battus jusqu'à effusion de sang, ils devaient payer une lourde amende, assortie quelque fois de la confiscation de leurs biens.

Je ne sais si ma lointaine collatérale bannie (mais pas sorcière) eut à subir l’ensemble de ces procédés, pensées à elle enfuie dans une région inconnue, morte au bord d’un chemin ou dans une hutte abandonnée …

Pour ma part Gasparde Romollon figure dans mon arbre comme guérisseuse. 


Sources 
AD 73 BMS Modane 

11 commentaires:

  1. Oh ! Quelle vie ! Il ne faisait pas bon de guérir son prochain en ces temps lointains !

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  2. Pauvre femme ! Il ne faisait pas bon être guérisseuse

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  3. Source inestimable pour retracer le parcours de la malheureuse...

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  4. C’est incroyable d’avoir découvert tant de détails sur cette tante merveilleuse !
    Guérisseuse, c’est plus sympa que sorcière, et beaucoup plus utile.

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  5. Il y a fort à parier que si ce fût un homme, la vision que ses contemporains en avaient eut été différente

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    1. Oui, malheureusement. Triste destin, alors qu'elle sauvait des gens.

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  6. Quelle belle opportunité d’avoir croisé le récit de ce procès ; la petite feuille de Gasparde entre ainsi dans la ronde 🤗

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  7. Histoire ô combien intéressante à différents titres ! Passionnant à lire !

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  8. elle connaissait les vertus des plantes et aussi leur dangerosité mais dans un siècle ou l'obscurantisme est de mise elle a dû payer le prix fort

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  9. Le XVe siècle fut le siècle de la démonomanie. Les théologiens sont persuadés de la réalité démoniaque des maladies mentales. Les tribunaux ecclésiastiques gardent la démonomanie sous leur juridiction exclusive. Alors que les cas de “possession” passive relevaient de l’exorcisme par un prêtre, ceux de “possession active» ou sorcellerie dont les aveux étaient arrachés par la torture, relevaient de l’autodafé c’est à dire du bûcher purificateur. La dernière « sorcière » brûlée en France en 1731 fut Catherine Repond.

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