samedi 14 janvier 2023

Révéler et assumer

En une chaude journée d’été, le 4 août 1714, au mitan de l’après-midi, Maître Bérenger notaire royal de Chabeuil en Dauphiné est installé dans la maison de Jean Imbert et Louise Lambert des lointains ancêtres pour établir un contrat de mariage. L’atmosphère semble tendue.

Hans Sebald Beham © Musée du  Louvre

La fiancée Eve Imbert, un peu rondelette, vingt-cinq printemps peut-être, dont le prénom signifie « vivante » se tient en retrait à côté de son frère Philippe.

Le fiancé Abraham Barnier drapier, fils de défunt Jacques Barnier, gaillard d’une trentaine d’années environ, dont le prénom signifie « père de multitude » est accompagné de sa mère Catherine Metiffiot et de son beau-frère Antoine Charas.

Tout ce petit monde, qualifié par le notaire d’honnête, c’est-à-dire connu de lui, demeurent à Chabeuil. « Lesquelles parties réciproquement stipulent, acceptent, décident et interviennent, ledit Barnier, de la permission et du consentement du fait de sa mère, et ladite Imbert, sous l’autorité, permission et consentement de son père et de sa mère ».

Certes ces formules sont ampoulées, mais toujours est-il que les fiancés promettent « de se prendre pour époux l’un l’autre à requête en légitime mariage en face de notre Mère et Sainte Eglise apostolique et romaine ».

« Et, selon la coutume, la future épouse constitue en dot et verchère, pour elle à son futur époux, ses biens meubles et immeubles présents et à venir, et établit son futur époux procureur ».

« Ledit futur, pour augment, a donné à ladite future épouse en cas de survie le tiers-denier de tout ce qu’il recevra, lequel augment appartiendra aux enfants à naître du présent mariage. Lesdites parties déclarent la valeur de tous leurs biens à la somme de 100 livres ».

Voici les éléments habituels d’un contrat et rien de bien tangible, pas de versement d’espèces sonnantes et trébuchantes, plus intéressante est la suite. Comme gravé dans le marbre, enfin mentionné dans l’acte notarié, on découvre qu’Abraham et Eve ont batifolé ensemble !

« Et ladite Imbert a présentement déclaré en ma présence être enceinte du fait et œuvres dudit Barnier son futur époux depuis environ quatre mois. »

AD 26 extrait contrat mariage
Voilà donc un contrat de mariage valant aussi déclaration de grossesse, que les parties principales ne signent pas, faute de savoir le faire, mais le très sérieux notaire recueille les paraphes du Sieur François Gastaud drapier et d’honnête Jacques Didier travailleur, autres témoins. 

Les parents d’Eve Imbert sont soulagés, un début de « régularisation » de cette situation embarrassante. Il reste à prendre son courage à deux mains pour aller voir le prêtre en vue de la publication des bans.

Cinq semaines plus tard est célébré le mariage religieux le 11 septembre 1714, suivi deux semaines après du baptême d’un petit Mathieu, un grand prématuré cet enfant !

Le couple accueille ensuite Françoise une petite étoile née le jour de Noël 1716, Philippe trop vite disparu, et Pierre au destin inconnu.

Abraham Barnier drapier, grâce à son métier, assume sa nouvelle vie avec les siens, et Eve Imbert veille sur les enfants et gère le quotidien.

***

Le temps file si vite, Françoise Barnier a grandi et notre ancêtre se marie à l’église de Chabeuil en 1740, tandis que son frère Mathieu s’établit plus tard en 1758 et fait bénir son union par un Pasteur au Désert selon la formule consacrée.

Le temps est parfois compté, et le curé note, comme agacé, sur le registre paroissial « le 5 février 1748 il est venu aussi à notre connaissance qu’Abraham Barnier est décédé il y a environ 8 jours, après avoir professé toute sa vie la religion prétendument réformée, et qu’il n’a jamais fait son devoir de catholique et ne nous a pas fait appeler dans sa dernière maladie. »

De même le parcours terrestre d’Eve s’achève et là encore le prêtre de Chabeuil inscrit « ce jour aussi 26 janvier 1753 il est venu à notre connaissance qu’Eve Imbert veuve d’Abraham Barnier, âgée de 75 ans, est décédée sans avoir fait son devoir de catholique ainsi j’atteste ».

Ce que révèlent des actes, ce que nos ancêtres ont assumé dans leur for intérieur, selon leur conscience.

Rassurez vous, Abraham a eu le temps de m’expliquer le savoir-faire du drapier, mais si, mais si ! 
A bientôt donc.

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Sources
AD 26 BMS Chabeuil
AD 26 Archives notariales : 
Me Berenger Jean Joseph 2E 19663 folio 182 vue 490
Indices Geneanet pseudo charignonphil1
Filae indexations

3 commentaires:

  1. Tu as raison, on sent bien l'énervement de Monsieur le Curé sur les actes de décès des parents Barnier ! :) J'aime beaucoup ton style d'écriture, ces quelques tranches de vie sont très agréables et intéressantes à lire.

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  2. Merci à M. le curé, qui nous plonge, sans équivoque, dans l'atmosphère du moment.

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  3. J’adore ce récit du début à la fin. Tu sème les indices : la fiancée rondelette, Abraham futur (hum ?) père, les enfants à naître, etc.
    Il est étonnant que Françoise se marie à l’église…

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