samedi 17 décembre 2022

Louise Berton en pointillé

Dans un coin de Picardie, entre Barisis aux Bois et Saint-Gobain, domaine de la forêt, vaste espace où s’activent bûcherons, scieurs de long, gardes des bois, et garde-vente, j’ai croisé Louise Berton sosa 387 une lointaine grand-mère.

Millet paysanne et fillette - Musée d'Orsay
Oh Louise, à ton époque ce n’est pas le département de l’Aisne, lorsque tu pointes le bout du nez vers 1686 au foyer de Jacques Berton et de Marguerite Hery, tu es l’aînée suivie de sept frères et sœurs. Dans ta fratrie, se détachent Anne ta sœur la première à se marier, et tes frères Jacques garde des bois, et aussi Jean et Jean-François.

Temps immuable, rythmé par le soleil et la lune, et la répétition des saisons, avec un quotidien ordinaire, les temps religieux, mais un temps qui file, tu grandis sous le règne du Roi Louis XIV, dit « Roi-Soleil ».

Tu ne le sais peut-être pas, mais pour ce souverain belliqueux, dispendieux pour sa gloire, il lui faut beaucoup de bois pour construire des bateaux de guerre, du chanvre pour les cordes et encore du bois pour alimenter les fours de la Manufacture de Saint-Gobain qui produit de magnifiques glaces.

Furtive silhouette, aux traits dans l’ombre, je t’ai aperçue en 1706 tenant sur les fonts baptismaux ta nièce Marguerite Duparque dans la petite église de Barisis aux Bois, puis en 1711 pénétrant dans cet édifice religieux aux bras de ton père, pour t’unir à Louis Guerlot.

Ce premier époux, plus âgé que toi de douze ans, est deux fois veuf, avec une gamine de dix ans sur les bras, je doute que tu l’aies choisi. Tu retrousses les manches, tu t'occupes de ton nouveau foyer, pendant que Louis trime dans la forêt en tant que bûcheron.

Louis, que j'ai cru longtemps perdu dans la forêt ou écrasé par un arbre, a trépassé muni des derniers sacrements à la fin de l'an 1717, te laissant désemparée avec deux petits garçons dont les destins m’échappent.

Géoportail Barisis et St Gobain extrait carte Cassini
Et tout d’un coup, voilà que tu convoles à nouveau le 1er octobre 1720 à Barisis aux Bois avec Jean Barbençon - sosa 386 – ce lointain grand-père est originaire de la paroisse de Saint-Gobain. L’acte rédigé ce jour-là n’est pas filiatif, mais les témoins cités permettent de tisser la toile de ton parcours, ton père est présent de même que Jacques et Jean tes frères.

Ton nouvel époux, du même âge que toi, s’avère être aussi deux fois veuf, flanqué de quatre garçons cette fois. Leur mère Louise Antoinette Legrand vient de décéder, un inventaire après décès a été dressé en septembre, où Abraham Legrand leur oncle veille au grain pour préserver les intérêts de ses neveux et les biens maternels.

Il se dit que le couple - Jean Barbençon et Louise Antoinette Legrand- fait partie des « nantis » du village, mon aïeul étant garde de la forêt de Saint-Gobain.

La présence d’Abraham le beau-frère à votre remariage se comprend, ainsi que le contrat de mariage passé juste avant la cérémonie, mais toi Louise tu n’apportes rien : là aussi il convient de protéger les enfants du lit précédent.

Bon, Jean Barbençon est à nouveau pourvu d’une femme pour tenir le logis et gérer les enfants, et toi Louise te voilà mère de substitution ou servante corvéable ? Comme un souffle de dénégation de ta part à travers les siècles, il en était ainsi autrefois de la destinée d’une femme, oui je le sais, mais je ne peux m’empêcher de faire une grimace…

Un peu plus d’une année plus tard, peu après la naissance de Marie-Marguerite en 1721 à Saint-Gobain, la grande faucheuse a encore sévi emportant Jean dans la tombe en 1722 qui laisse cinq enfants orphelins.

Un nouvel inventaire après décès est dressé, toi Louise tu ne possèdes rien en propre, ton seul trésor et ton souci c’est Marie-Marguerite ta toute-petite dont tu es désignée tutrice avec Jean Delapierre comme curateur.

As-tu abandonné tout de suite le village de Saint-Gobain pour revenir vers les tiens ? Je t’imagine servante, manouvrière ou fileuse de chanvre, qui t’as aidée peut-être Antoine Dupire le parrain de ton enfant ? Que d’interrogations …


Cliquer pour agrandir - Fait avec Canva 

Je t’ai retrouvée à Barisis aux Bois un jour de 1738, présente au mariage de ta fille âgée de dix-sept printemps : Marie-Marguerite Barbençon, épouse Antoine Mercier clerc laïc, tu es soulagée la vie continue ainsi que la chaîne des générations.

Tu es moins seule avec les naissances de tes petits-fils ; Simon Mercier manouvrier et Antoine Mercier futur garde-vente, lui est mon ancêtre direct tu sais. Tu es rassurée lorsque ta fille se remarie avec le précieux Charles Dupont garde-vente qui veille sur ses beaux-fils, et rassénérée avec la naissance de ta petite fille Marie-Marguerite Dupont. Un peu de répit, un peu de douceur dans ton fil de vie, tu le mérites.

Sous le règne du roi Louis XV, qui a eu l’occasion de faire un détour à Saint-Gobain pour se faire expliquer le coulage des miroirs, un jour d’avril 1759 tu quittes le monde terrestre munie des derniers sacrements, tes proches t’accompagnent à ta dernière demeure, le cimetière juste à côté de la petite église de Barisis aux Bois.

Une vie en pointillé, une vie de labeur et de peine, quelques lignes pour sortir Louise Berton de l’opacité du temps.


Retrouver 


Sources 
AD 02 BMS Barisis et Saint-Gobain 
Eléments sur les actes notariés communiqués par une lointaine cousine 

3 commentaires:

  1. Quel bel article ! Mêlant la petite et la grande histoire, et sortant Louise de l'anonymat. C'est très réussi. Comme toi j'ai une petite grimace qui s'affiche en lisant ce parcours de vie cabossé ; j'imagine que tu lui as apporté un peu de lumière grâce à ton joli récit en forme d'hommage.

    RépondreSupprimer
  2. Joliment écrit, la lecture est fluide comme un ruisseau sans vent.

    RépondreSupprimer

Merci pour le commentaire que vous laisserez