Milieu du mois d’octobre 1869 en Savoie, je profite du rendez-vous mensuel avec mes ancêtres pour rallier Saint Georges d’Hurtières et prendre le chemin du hameau de Froide-Fontaine pour la première veillée automnale.
Je suis attendue chez François GERVASON (SOSA 20) et son épouse Jeannette LANDAZ (SOSA 21) cultivateurs, mes arrière-arrière-grands-parents ! Je croyais avoir grimpé rapidement, cela ne doit pas être le cas. Deux silhouettes me précédant, dont l’une avec une lanterne, m’ont aidée à trouver la maison. Je m’engouffre, collée à leurs basques.
De nombreuses personnes sont déjà rassemblées. Parmi les adultes, il y a peut- être Claudine Landaz la sœur de Jeannette qui habite le village ? Parmi la troupe enfantine, lesquels sont les petits du couple ? Bon, je joue au fantôme, ou je me présente ?
Jeannette LANDAZ s’avance avec dans les bras une gamine de 2-3 ans :
« assieds-toi là ! La petiote c’est Marie-Philomène, tiens voilà aussi Liduvine-Franceline (4 ans) et la grande Marie-Angélique (8 ans). Le bébé Jean-Marie est dans le berceau, à côté de la grand-mère Josèphte FORAY. »
« bah, je sais que celui qui t’intéresses, il est avec les hommes : Moïse Séraphin (10 ans) bien grand et costaud déjà. Le père François mon homme, non plus, il a pas compris qui tu étais, mais comme çà t’es pas seule ! » Ledit François s’étant rapproché, opine du bonnet.
Et me voilà installée au bout d’un banc, avec la petiote sur les genoux, mon hôtesse ayant fort à faire. Un pas en avant, un pas en arrière, François GERVASON ouvre la bouche pour m’asséner :
« Comme t’es une étrangère tu sais pas que le pays des Hurtières est plus riche dans la profondeur de la terre que sur le sol, y a des trous, des mines quoi ! On est pas que des gratteurs d’un sol pauvre ! »
Soudain un homme ajoute : «les mines de cuivre et de fer depuis la nuit des temps, on les creuse, du bon minerai, tiens l’autre jour l’instituteur y a dit qu’on a fait ici la belle épée du nom de Durandal pour un Roland de Roncevaux ! »
François mon aïeul, désigne un autre homme et d’une voix forte : « bon ben, pour tout le monde, raconte comment on fait au début d’une mine, et bien : la dame, elle connaît pas, et puis les gamins ils aiment bien réentendre »
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Le conteur réquisitionné, enlève son chapeau, se gratte le crâne, comme pour se mettre en condition, me lorgne et se lance :
« Côté paperasses, bien sûr le notaire sur un beau papier timbré, il note tout : l’endroit de la mine, le nom de celui qui va creuser la mine et d’autres choses. Mais le plus important, le notaire, l’autre personne, et les témoins, ils vont tous à l’entrée de la mine.
Le nouveau possesseur - qu’on dit- il se mouille l’index, et trace une croix sur le roc, puis se signe, pose la main droite sur la croix, et après la lecture de l’acte dit: « je le jure, amen ».
« Tout ça c’est important pour éloigner les dangers dont les mineurs sont souvent victimes dans leurs travaux, cette cérémonie c’est pour se protéger des esprits qui habitent les profondeurs des galeries. »
Petite pause, le conteur ajoute :
« parmi ces esprits, le plus méchant par ses malices et ses espiègleries est le farfadet, aux longues ailes de chauve-souris. Caché dans les coins les plus sombres, il se livre à toutes sortes de gentillesses d'un goût douteux. Il en sort à l’improviste, tord l’épinglette dans le trou de la mine, mouille la mèche, et pour cela, procède d’une façon fort inconvenante. »
« C’est quoi l’épinglette ? » questionne Moïse Séraphin, très attentif.
« Une tige de fer utilisée pour percer la cartouche introduite dans un trou de mine avant d'y mettre la mèche. Et ce filou et cruel farfadet va quelquefois jusqu’à allumer le grisou.
Gare à l’explosion ! Il en est souvent la première victime, il s’y brûle les ailes, mais cela ne le corrige point, et le lendemain, il reprend le cours de ses gamineries ordinaires. »
« Oh là là c’est grave ! » murmurent de jeunes voix.
François GERVASON conclut : « comme les enfants, le farfadet invente des tas de bêtises, et certaines sont très dangereuses pour ceux qui travaillent dans les galeries ».
Et le conteur après un regard circulaire sur l’assemblée souligne :
« Il y a une autre cérémonie importante contre les mauvais esprits pour le nouveau propriétaire d’une mine des Hurtières. Pour se débarrasser des importunités du farfadet, il doit déposer chaque soir à l’entrée de la mine, un petit panier de provisions. Le lendemain matin, bien sûr il n’y a plus rien dans le panier. »
Ou comment se concilier le farfadet de la mine … et conjurer le sort ...
Peut-être y-a-t-il dans le panier des châtaignes grillées, comme celles que viennent de préparer Jeannette et sa belle-mère Josèphte.
Qui suis-je pour prétendre ébaucher la vie de mes ancêtres dans une commune où la culture et l’élevage était le parent pauvre, et les entrailles de la terre faisaient des paysans également des mineurs de montagne. Le tout était d’avoir de bons muscles : gratter le sol l’été, creuser la terre l’hiver, taper dans les filons, double activité nécessaire pour vivre, voire survivre.
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C'était peut-être le cas pour François GERVASON, qui n’était pas né dans la commune, et qui se déclarait cultivateur. Paysan-mineur, c’était sûrement le cas de ses voisins, et apparaît là toute l’importance de la légende du farfadet.
Sources :
Famille : Archives Départementales Savoie
Légende : Gallica Antony Dessaix Légendes et traditions populaires de la Savoie 1875
Pour aller plus loin sur la mine de Saint Georges d’Hurtières :
Ca fait plaisir de lire un récit qui se situe aux Hurtières, en Maurienne. Je ne sais pas si tu es déjà venue par ici mais le coin mérite un coup d'oeil. Les mines y étaient en effet nombreuses et je t'invite à découvrir Le Grand Filon qui organise des visites passionnantes.
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