dimanche 16 novembre 2025

Granger des Ursulines

Ainsi donc Louis CLEMENT, vous avez quitté Montmeyran votre paroisse, pour devenir granger des religieuses de Sainte-Ursule de Chabeuil en 1715, vos plus jeunes enfants y sont nés, et hélas votre épouse Madeleine REBOUL s’est éteinte trop tôt vous laissant avec de jeunes pousses, vos parents âgés l’ont suivie de peu dans l’au-delà.

Appartenant à une famille de récents catholiques dits nouveaux convertis et anciens protestants, j’avoue avoir trouvé inattendu votre nouveau statut de granger auprès de respectueuses religieuses, vous deviez remplir les conditions, avoir des recommandations ou être le seul postulant.

Dans ce coin du Dauphiné, où le couvent de Chabeuil a été fondé en 1602, les Ursulines s’occupent de l’instruction des jeunes filles, des soins aux malades et des nécessiteux et ce jusqu’à la Révolution.

Le destin, où les hasards des actes notariés numérisés par les Archives de la Drôme, et me voilà sur un petit nuage : je le tiens le contrat de grangeage de notre ancêtre Louis CLEMENT rédigé par Maître Bérenger.

Portail de l'ancien couvent des Ursulines de Chabeuil - Wikipedia

Regardez notre lointain aïeul, aux sabots nettoyés, vêtements dépoussiérés, laboureur à Montmeyran, il s’engouffre dans une ruelle étroite de Chabeuil, flanqué d’un compère Jacques Gensel laboureur à Beaumont.

Une fois passé le portail et franchi l’enceinte du couvent, là dans le parloir du dévot monastère de Sainte-Ursule, l’après-midi du 25 février 1715, Louis CLEMENT se retrouve face à Dame Elisabeth Deyriaux supérieure et dames Pernette de Costal assistante, Elisabeth Derostain zélatrice (1) et Marie Claire Malet dépositaire officiante (2).

Ces dames religieuses « baillent à titre de grangeage et à moitié fruits à honnête Louis Clément laboureur, ici présent et acceptant, à savoir le domaine qu’elles possèdent au mandement de Chabeuil appelé Chaliar : terres, prés et vignes, bois, chaussées et généralement tout ce qui en dépend et les mêmes dont Pierre Parmingeat jouit à présent à même titre de grangeage, de tout quoi ledit Clément a dit être bien certain, et pour le temps et terme de quatre années qui prendront leur commencement à la prochaine fête de Toussaint et à la veille de semblable jour finissant ».

« Les deux parties ne peuvent renoncer au bail que dans la seconde année, à condition de s’avertir trois mois à l’avance ».

Gallica extrait carte Cassini sur Chabeuil et le domaine

Notre ancêtre Louis CLEMENT « fera sa résidence avec sa famille dans le domaine, qu’il conservera ensemble les fonds d'iceluy soit pour les cultures forces et autres choses en véritable père de famille, le rendra le tout en fin de terme, au même état qu'il aura trouvé, dont il se chargera à faire à son entrée dans le domaine par inventaire et encore de ce qui lui sera remis par les Dames en cheptel, ou autrement.»

« Les semences seront fournies en commun belles et bien criblées, et il sera permis aux Dames de mettre en semence celles qu’elles ont payées à charge au granger de les nourrir (dans le sens de les faire pousser)».

« Le granger donnera toutes les cultures nécessaires à la vigne du domaine, les sarments seront ramassés aux frais des Dames et leur appartiendront en entier, et notre Louis sera tenu de leur faire tous charrois nécessaires (3) ».

« A premier requis, tous les fruits qui se récolteront seront également partagés, après avoir été prélevés chaque année par les Dames cinq setiers de blé et froment sur le monceau (4), le gros bétail servant au labourage sera mis en commun, aussi bien que les charrettes et tombereaux nécessaires ».

« Quant au menu bétail, les Dames bailleront pour une fois au granger la somme de cent cinquante livres que celui-ci emploiera à l’achat de moutons ou brebis. Et sur le profit que le granger pourra faire sur tout le bétail, il paiera annuellement aux dames religieuses la somme de cinquante livres à chaque fête de la Sainte Madeleine (5) et à sa sortie du domaine, il sera aussi tenu de leur rendre la somme de cent cinquante livres ».

« Le berger qui sera pris pour la garde du bétail sera nourrit et payé par ledit granger qui peut avoir dans le troupeau quatre moutons en son propre ».


Notre Louis CLEMENT « plantera chaque année dans les fonds du domaine six douzaines à plançon (6) aux endroits nécessaires, plus quatre autres douzaines d'arbres fruitiers qui lui seront fournis par les Dames ».

« Les fagots que le granger fera annuellement sur les biens appartiendront auxdites Dames, excepté la feuille (7) qui sera donnée au bétail, feuille qui sera baillée par les dames au granger ». 

« Chaque année, le granger donnera aux Dames deux lapins de cinq livres, quatre paires de chapons et sept paires de poulets, comme aussi vingt œufs pour chaque poule, des vingt-cinq qui lui seront remises avec un coq ».

« Il sera permis auxdites Dames de mettre à leur propre frais pendant l'été, et au cours du présent grangeage, dix-huit moutons ou brebis dans ledit domaine pour y être engraissés, lequel bétail elles prendront à leur volonté ».

« Il a été convenu que si les Dames voulaient faire quelques ouvrages de maçonnerie ou réparations audit monastère les charrois de matériaux et attraits (8) seront fait par moitié par le granger et par celui de leur domaine de Lapasas ».

« De plus, lorsque les Dames voudront faire quelques réparations le long de la rivière de Véore pour la conservation des fonds du domaine de Chaliar, ledit granger sera tenu de s'y aider de sa personne et encore pour les charrois qu'il convient d'y employer ».

Notre lointain grand-père n’a pas le droit de faire un charroi de bestiaux pour une personne étrangère du domaine, ni de couper aucun arbre mort ni vif sans le consentement des Dames.

AD 26 Notaires extrait bail de Louis Clément 1715

Les parties déclarent que les biens étaient affermés au départ de la somme de cent cinquante livres, et promettent et jurent observer les clauses, à peine de tous dépens et dommages.

Fait audit parloir du monastère, lu et récité par notre sympathique notaire Bérenger en présence de noble César de Murinais et sieur Jean-Baptiste Eynard praticien, notre aïeul Louis CLEMENT ne sait pas signer contrairement à son père, et Jacques Gensel laboureur, et potentiel parent, paraphe le bail.

Intéressée et émue à découvrir les clauses détaillées de ce bail de grangeage qui lie Louis avec les Dames religieuses et le mène à s'installer avec les siens dans le domaine de Chaliar. Et si l'inventaire pouvait encore exister ? 
 


Retrouver Louis CLEMENT et sa famille 


N.B 
1 - zélatrice : religieuse chargée de l'accompagnement des novices
2 - dépositaire officiante ou sœur officiante : chante et récite l'office pendant une semaine,   le notaire a écrit dépositaire officiensée !
3 - charroi est le transport par charriot ou charrette 
4 - monceau : équivalent de tac ou vrac 
5 - la Sainte Madeleine est fêtée le 22 juillet
6 - un plançon est une branche de saule, de peuplier ou d'osier que l'on sépare du tronc pour  la planter en terre et en faire une bouture
7 - la feuille, dans le sens de fourrage 
8 - attrait ou attirail : tout ce qui sert à bâtir ou réparer une maison (terme de coutume)

Source 
AD 26 Notaires de Chabeuil Me Bérenger 
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