samedi 16 janvier 2021

Grand oral avec Moyse Durand

Distanciel, vous avez formulé distanciel ? Le nez plongé dans les registres en ligne de mes chères archives pour pister mes ancêtres, j’écarquille les yeux ou fronce les sourcils selon l’écriture du prêtre, du notaire, de l’agent recenseur, des dates ou délais. Tantôt étonnée ou mécontente, je barjaque à voix haute avec l’ordinateur. A ce stade, une coupure s’impose, avec une autre formule. 

Présentiel, rien ne vaut une petite dose de présentiel : chic voilà le samedi du mois où on peut partir à la rencontre de ses ancêtres : les voir, les écouter, les toucher. 

Géoportail  Montmeyran-La Baume

Petit passage à vide, frissons, des mains précautionneuses viennent de déposer sur mes épaules un châle au touché d’une matière authentique mais un peu rugueuse, je suis assise dans une pièce où les flammes crépitent dans la cheminée. La lumière chaude révèle deux silhouettes. 

- Quelle idée d’être dehors par ce temps épouvantable d’hiver, mon épouse Isabeau Arnoux vous a rencontrée à deux pas de notre porte et incitée à la suivre, vous avez sursauté et grelotiez. Je me nomme Moyse Durand et vous reçoit volontiers en toute simplicité. Vous allez mieux ? 

Moyse, Moyse ? Pas étonnant hier soir j’ai « sauvegardé la petite famille » de mon hôte en fermant mon logiciel de généalogie. Au vu des visages ridés de mes hôtes nous sommes vers 1730-1735. 

- Merci infiniment de m’accueillir : alors je suis en Dauphiné à Montmeyran, et comment résumer nous sommes un peu parents… certes avec plusieurs générations de décalage Quelle coïncidence vous savez, je suis émue d’être là avec vous. 

- Bizarre je n’ai pas souvenir de vous avoir croisée au village, comment sommes-nous liés ? 

- C’est tout simple par votre fille cadette Anne qui est ma lointaine grand-mère ! 

Isabeau est maintenant assise à côté de Moyse sur le même banc : à leur tour d’écarquiller leurs yeux et de froncer les sourcils. 

- Mais dites-moi Moyse si je connais votre filiation c’est grâce à votre premier mariage en 1689 à Montmeyran avec Marie Mourat ; vous avez grandi dans la paroisse voisine de La Baume Cornillane avec Claude Durand et Judith Petit pour parents. 

- Mouais marmonne l’ancêtre. 


AD 26 Montmeyran BMS 1689


- Votre signature Moyse sur cet acte, lors des baptêmes de vos premiers enfants à l’église de Montmeyran, tout comme sur l'acte de remariage avec Isabeau Arnoux en 1699 m’a beaucoup aidée : tristesse à découvrir la fragilité des vies des petits enfants ou de leur mère. 

- Ah bé ! pour l’un. Oh muet de l’autre. 

- Ensuite avec Isabeau, vous aurez quatre autres enfants pour éclairer vos jours, mais seules deux filles grandiront Gabrielle et Anne désormais mariées si je ne fais pas erreur. 

Silence, Moyse a pris la main d’Isabeau : je sais, je sais, compte tenu des paperasses pour leur dispense de 3ème degré d’affinité leur 1er enfant était disons assez prématuré. Ce côté-là me les rend sympathiques et humains, je me le garde dans ma tête et ne l’évoque pas. 


AD 26 Montmeyran BMS 1699

- Ben dit moi chère parente, tu as planché sur notre famille. Cela me fait bizarre de t’entendre évoquer ces événements de ma vie, de nos vies, nous modeste famille. 

Ce basculement au tutoiement me plait. 

- Vous savez nous sommes plusieurs à partir sur les traces de nos ancêtres, à penser que toute vie mérite de sortir de l’oubli. Je vous ennuie avec mon radotage peut-être ? 

- Pas du tout, qu’as-tu encore noté ? 

- Les témoins choisis ou les parrains et marraines lors des cérémonies à l’église : on croise Me Néry le notaire, son épouse Gabrielle Banc fille d’Antoine Banc le châtelain de Montmeyran ou Benoît Charles procureur d’office, personnages liés au fonctionnement de la communauté villageoise. Que d’éléments à approfondir. 

Ciel, la nuit est tombée, il est tard, le couvre-feu est de rigueur, comment vais-je faire ? 

- Tu fais erreur, nous ne sommes pas en 1721 lorsque circulait de village en village la rumeur de la peste qui décimait une grande ville, Marseille je crois. A cette époque, Montmeyran comme d'autres villages établit une clôture rigoureuse avec une garde veillant aux portes, après des mois d’anxiété l’épidémie n’atteignit pas le Dauphiné 

On est actuellement en 1734, tout cela est loin, je ne comprends pas ta réaction. De toute façon on ne te laisse pas partir ce soir, on te garde, nous sommes seuls depuis le mariage de nos filles. 

Entre temps Isabeau s’est levée, activée.

Après la soupe épaissie par du pain, et une tisane odorante à la verveine, savourée avec Isabeau et Moyse en silence, sous l’éclairage vacillant d’une chandelle, juste des regards échangés, des pensées qui vagabondent, j’ai atterri dans un des lits de la maisonnée lovée sous un chaud édredon. 

J’ai oublié de demander son métier à Moyse. 
J’ai oublié de demander les noms de ses parents à Isabeau ou de ses frère et sœur. 
Mais qu’a mis dans la tisane Isabeau en plus de la verveine, de la passiflore ? 
Dans les bras de Morphée je suis, malgré la paillasse qui me gratouille. 
J’ai fait un rêve. 

Isabeau et Moyse décédés en 1735 et 1744 seront ensevelis en terre profane, indice révélateur des nouveaux convertis après 1685, date-couperet de la Révocation de l’Edit Nantes pour les protestants.



 


Dialogues imaginaires 
selon les principes du RDVAncestral
 mais personnes liées à ma généalogie 




Sources
AD 26 Montmeyran BMS
Relevés EGDA 


3 commentaires:

  1. Tu as bien failli les décontenancer, mais ils ont vite repris le dessus !

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  2. Toujours aussi bien enlevé et agréable à lire...

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  3. Présentiel, ou comment passer la nuit dans un lit douillet, et se sentir bienvenue dans la maison de ses ancêtres. Trop forte Fanny-Nésida !

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