samedi 21 septembre 2019

Louis Arbessier un homme organisé

Au lendemain de la signature de son contrat dotal, Benoîte Durieu-Trolliet fille de feu André et de Jeanne Montaz-Rosset avait quitté son village natal de Montpascal, son trousseau soigneusement rangé dans son coffre dont les précieux tabliers de velours et de satin, pour rejoindre la paroisse d’Hermillon de son futur époux. 

M’était parvenue la rumeur de son mariage avec Louis Arbessier  - fils de feu Louis et de Marie Buttard - célébré le 12 mai 1721 en l’église Saint-Martin, un jour bien printanier pour démarrer une nouvelle vie. 

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Catapultée je ne sais comment dans le village de Savoie de mes ancêtres, un peu perplexe de me retrouver face à deux silhouettes disons la soixantaine, visages accueillants, regard en coin de l’homme, mais air plus réservé de la femme. 

- Oui tu es bien au chef-lieu d’Hermillon dans ma maison et oui je t’ai entendu tourner des pages de nos registres paroissiaux et aussi des papiers de notaire. Ne me demande pas comment je le sais c’est ainsi, et même que parfois tu étais perplexe et t’interrogeais sur la signification de mots ou de formules tarabiscotées. 

- Alors quel bilan, autant vérifier puisqu’il s’agit des affaires de notre famille. Assois-toi ! 

Fichtre, après ce préambule de Louis Arbessier, prendre son souffle, on doit être vers 1760 a priori, et se lancer. 

- Oh, je suis heureuse d’être parmi vous, et un peu intimidée : j’essaie d’exprimer mes sentiments à découvrir les actes de baptême de 4 filles avant la naissance d’un petit Martin prénommé comme son oncle qui ne vivra que 9 années. 

- Mon pauvre Martin chuchote mon aïeule, après j’ai eu 2 autres fils Michel. 

- Me tournant vers celle-ci : vous savez j’ai eu du mal à dénicher votre petite Marie mon ancêtre directe, le prêtre devait être fatigué à rédiger les actes : il vous a nommé Benoîte Gallix ou au lieu de Durieu comme pour vos autres enfants. 

- Mais ma petite elle, c’est ma cousine, comme moi du village de Montpascal. 

- Et quoi d’autre formule Louis Arbessier bien campé sur son banc ? 

- Le recensement pour la gabelle du sel de 1758 m’a révélé que votre feu d’habitation comprenait votre couple et Michel votre fils avec son épouse. Vous aviez alors 6 génisses, 2 veaux, 1 mouton et 6 chèvres. 

- Tout juste, mais tu as sauté des années assène mon aïeul. 

- Effectivement je n’ai pas encore tout lu Louis. (Il m’est difficile de lui dire qu’avec l’été, les promenades dans la nature, les moments familiaux et amicaux, l’assiduité avec les grimoires diminue).

Mais j’ai découvert les contrats de mariage d’Anne avec Antoine Buttard et de Marie avec Jean-François Deschamps , les noms de proches comme témoins dénotant les liens entre les membres de la famille. Vos gendres savent signer. 

- Et oui ma curieuse descendante, tout comme mon fils Michel a signé son contrat de mariage avec Marie-Thérèse Bordon. On s’était déplacé à Sainte-Marie de Cuines, le fils et les gendres, pour tout régler. 

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J’ai promis « de nourrir et vêtir, entretenir les époux et leurs enfants qui devaient travailler à mon profit, et au cas où ils se sépareraient, je leur prêterai un bâtiment comprenant une cuisine, une cave, un sertour avec une grange et une écurie ». Tu vois je sais que parfois au bout d’un moment les jeunes veulent être chez eux ! 

Là Louis prend la main de son épouse Benoîte et ajoute :

Même que cette année 1761, comme pour marquer 40 années de vie conjugale, lucide sur mon âge avancé mais encore sain d’esprit, je suis descendu à la cité de Saint-Jean de Maurienne en la maison en banche de Maître Simon-Joseph Dupré notaire royal et collégié pour lui dicter mon testament. (1)

Ma chère épouse est désignée comme usufruitière tandis que mon fils Michel est mon héritier universel, mes deux filles Anne et Marie déjà dotées auront chacune 100 livres payables en 2 fois après mon décès et après celui de Benoîte. 

Tristesse à constater que seuls 3 enfants sur une fratrie de 8 sont arrivés à l’âge adulte. 

Du beau monde comme témoins cet après-midi là le 2 mai 1761 chez le Notaire : dont un procureur au bailliage, un commissaire au terrier, un étudiant en philosophie, passaient-ils par là ou étaient-ils parfois en relation avec le testateur ? Le mystère demeurera. 

- Bon tout cela reste entre nous, n’est-ce pas ? On te raccompagne au bas du village histoire de s’assurer qu’une voiture vient bien te récupérer et de montrer aux gens qu’on est ouvert vers le lointain. 

Benoîte m’a glissé en cachette dans mon pochon de coton bio un fromage de chèvre local donc bio. 

Tranche de paperasses, tranche de vies, en attendant de poursuivre avec Marie Arbessier et Jean-François Deschamps originaire d’un autre village. 



Louis Arbessier 1697-1765 Sosa 766
fils de Louis et de Marie Buttard 
x 12/05/1721 à Hermillon 
Benoîte Durieu-Trolliet 1700->1761 Sosa 767
fille d'André et de Jeanne Montaz-Rosset 

- Marie 1723
- Anne-Marie 1726
- Jeanne 1726
- Anne 1730 x 1753 Antoine Buttard
- Martin 1734-1743
- Marie 1735-1810 Sosa 383 x 1755 Jean-François Deschamps 1736-1806 Sosa 382
- Michel 1738
- Michel 1740 x 1756 Marie-Thérèse Bordon



(1) En Savoie, le notaire collégié a fait ses études dans un collège de droit, probablement religieux, mais qui n’est point ecclésiastique ni astreint à l'habit ecclésiastique.

La banche au départ est un étal, puis un comptoir comme le comptoir de change, et aussi un pupitre d'écrivain, ensuite un local où on écrit, bureau, devenu l'étude pour les notaires. 


Dialogues imaginés
mais personnes liées à ma généalogie 
selon les principes du RDVAncestral 

Retrouver la famille de Benoîte 




Sources 
AD 73 BMS Hermillon
AD 73 Tabellion St-Jean de Maurienne et la Chambre 1753 1755 1756 1761
Relevés GénéMaurienne

samedi 7 septembre 2019

Acte d'émancipation de Jean-Pierre Sibué

Sur le thème je suis un homme et veux être autonome et les natifs de Fontcouverte ont du caractère, je vous embarque sur le sujet de l’émancipation en Savoie au 18ème siècle, ses subtiles formalités et son cérémonial quasi- moyenâgeux, avec de lointains collatéraux de ma généalogie.

Les protagonistes principaux : Jean-Baptiste Sibué - le père - la bonne cinquantaine, laboureur demeurant à Fontcouverte et Jean-Pierre Sibué - le fils – âgé de 34 ans et marié qui est installé depuis plusieurs années à la grande rue de la ville de Saint-Jean de Maurienne où il a des affaires. 

Le fiston semble-t-il a souvent prié et supplié son père de bien vouloir l’émanciper et le mettre hors de ses biens et puissance paternelle, afin de disposer de ses épargnes et pouvoir plus facilement gérer son commerce. Le patriarche de guerre lasse a déposé une requête en ce sens. 

Là entrent en jeu, les autres intervenants, et pas les moindres, Monsieur Brunet Juge-Mage de la province de Maurienne flanqué de Maître Jean-Antoine Viallet Notaire et Greffier

Imaginer sur le coup de six heures du soir, le 9 décembre 1782, les doctes Brunet et Viallet, requis par les sieurs Sibué, et devant se transporter dans la maison d’habitation de Jean-Pierre le fiston qui se trouve alité à cause de sérieuse maladie, le père lui il doit avoir la santé ! 

Le Juge-Mage enregistre que Jean-Baptiste Sibué veut bien accorder – dans le sens d’acquiescer à la supplique de son rejeton, sauf qu’il entend ne point se départir, mais au contraire se réserver, tous les fruits des biens de l’Antoinette Buisson-Carles sa feue femme et mère dudit Jean-Pierre. Magnanime le père condescend à relâcher son fiston pour tous les biens meubles et immeubles qu’il a acquis depuis qu’il est séparé d’avec lui. 


Monsieur Brunet Juge-Mage adhérant à ces propositions :
« fait asseoir, sur une chaise à côté de nous ledit Jean-Baptiste Sibué, son chapeau sur la tête, ledit Jean-Pierre Sibué, le fils s’était remué comme il a pu de son lit, se mettant devant son dit père,
avant icellui les mains jointes entre celles de son dit père, qui les lui a ouvertes et fermées par trois différentes fois, en lui disant à chaque fois : 
« Mon fils, je vous émancipe et vous mets hors de mes liens et puissance paternelle » avec pouvoir qu’il lui a donné de tester, contracter, ester en jugement et de faire tous les actes et contrats que peuvent faire les personnes libres et dûment émancipées, de quoi ledit Jean-Pierre Sibué a remercié son dit père en nous requérant acte par lequel il nous plût de le déclarer libre et émancipé.» 

Dès lors il ne restait plus à l’autorité judiciaire qu’à valider cet acte d’émancipation en le signant, à recueillir le contreseing du notaire qui avait aussi pour mission de l’insinuer à l’office du Tabellion de Saint-Jean de Maurienne après avoir récupéré trois livres auprès du nouvel émancipé. 

Ce petit article déniché sur Gallica souligne la gestuelle symbolique de l’acte d’émancipation en pays de droit écrit sous l’influence du droit romain (et non pas seulement propre à la Savoie). 

Avant le décès du père c’est le seul acte qui permet à l’enfant quelque soit son âge de s’affranchir de la puissance paternelle et d’obtenir la pleine capacité juridique. Les gestes entre le père et son fils sont tout autant importants que les phrases échangées et symbolisent la rupture du devoir d’obéissance, la fin de la soumission à son ascendant. 

Dans le lien vers un article d’Histoire-Généalogie sur l’émancipation, ICI l’exemple cité pour la Drôme révèle que les fils doivent se mettre à deux genoux devant leur père également assis sur une chaise. 

Au cours de vos lectures ou recherches avez-vous eu connaissance de ce type d’acte ou avez-vous des ancêtres ou collatéraux émancipés ? 





Sources
Gallica Revue Société d’Histoire et d’Archéologie de la Maurienne
Généanet
Image Théodore Géricault Musée de Bayonne

Pour aller plus loin