samedi 30 mars 2019

Apprenti-chirurgien en 1697

Plus de trois siècles nous séparent de ce jour de timide printemps en Savoie, où Honnête Mathieu Porte  soucieux d’établir convenablement son fils cadet Jean-Baptiste signa un contrat d’apprentissage pour celui-ci.
 
En ce 15 avril 1697, il quitta sa maison avec le futur apprenti et aussi son fils Dominique, pris au passage Pierre Porte feu Nicolas et Pierre Dupuy. Tous habitants d’Avrieux, petite paroisse de Haute-Maurienne, ils se dirigèrent vers le logis d’Antoine Bertrand  notaire royal dudit lieu.
 
Le notaire avait déjà commencé à préparer le contrat d’apprentissage qui devait avaliser les conditions verbales précédemment négociées avec Honorable Jean Bertrand maître-chirurgien d’Avrieux, mais à présent Bourgeois de la Cité de Saint-Jean de Maurienne.
 
 
Le docte chirurgien absent, est représenté par son frère Honnête Jean-Baptiste Bertrand. Il s’engage à enseigner à l’apprenti son art et profession - tant en  dedans que dehors la ville - sans rien lui cacher de ce qui touche et regarde ledit art de chirurgie.
 
La formation commencera le lendemain 16 pour finir le même jour deux ans après, étant promis que le chirurgien nourrira à sa table l’apprenti. Mathieu Porte le père, en récompense dudit apprentissage et nourriture de son fils Jean-Baptiste, s’engage donc à payer au chirurgien la somme de 225 florins à la fin de l’année et 100 florins au terme.
 
Voilà pour le principe, mais il convient d’être prévoyant : si le jeune apprenti quitte le chirurgien sans cause légitime ou par caprice, son père est tenu de payer la somme promise. S’il advenait que l’apprenti  trépasse ou soit accablé de longue maladie, dans ce cas de force majeure,  son père ne devra les frais qu’au prorata.

Si le chirurgien oblige son apprenti à le quitter par caprice ou sans cause légitime, il ne sera payé aussi qu’au prorata.

Jean-Baptiste Porte l’apprenti promet de se munir de tous outils requis et nécessaire pour l’exercice de l’art de chirurgien (frais donc à prendre en charge par son père). Il promet de servir assidument et fidèlement le chirurgien Jean Bertrand sans qu’il participe à aucun profit de la boutique dudit Bertrand pendant son temps d’apprentissage. Rien de bien nouveau sous le soleil, comme apprenti il ne peut être rémunéré…

Le notaire Antoine Bertrand précise que toutes les parties et témoins ont signé l’original de ce contrat d’apprentissage en date du 15 avril 1697, indication précieuse.

Jean-Baptiste Porte a donc quitté son village pour s’en aller suivre sa formation dans la cité de Saint-Jean de Maurienne. Il est un frère cadet de Dominique Porte second époux de ma lointaine aïeule Dominique Floret (Sosa 571).

Un petit tour sur les arbres en ligne sur Généanet m’a permis de noter que le chirurgien Jean Bertrand était décédé en 1701 dans la cité dont il était Bourgeois, originaire d’Avrieux il y avait épousé une Dominique Porte … Moultes branches Porte, plusieurs baptisés ou baptisées Dominique : de quoi pimenter les recherches et faire travailler les neurones …
 
Juste une petite tranche de vie. Promis si je croise l'apprenti-chirurgien je vous tiendrais au courant.


Sources
- AD 73 : Tabellion Termignon
1697 2C 2316 vue 365/503
- Image : David III Ryckaert le Jeune
Musée des Beaux-Arts de Valenciennes
 

samedi 16 mars 2019

Télescopage temporel sur la grand'place

Brume matinale et brume de l’esprit, rêveuse ou réveillée ? Me voilà apostrophée par une voix inconnue …
 
Oh heureusement que ma fille Marguerite vous a retenue lorsque vous trébuchiez, vous étiez distraite par la merveille que l’on aperçoit au loin !
 
Excusez-moi je me présente Michel SOREL du village de Saint-Gobain, je suis avec mon épouse Antoinette MACADRE et nous rejoignons dans la ville de Saint-Quentin  notre fils Servais dont le mariage doit être célébré demain. Outre Marguerite à votre droite, ma fille Anne m’accompagne avec son époux Jean JAMART.
 
Brume de l’esprit éloigne-toi, afin que je réalise pleinement ma chance de me retrouver en terre picarde avec les protagonistes de mon nouveau Rendez-Vous-Ancestral. Sacrebleu, il s’agit de l’an de grâce 1679 si je ne fais pas erreur, soit 340 années de décalage.
 
Poussière de la route au passage de cavaliers et des charrettes qui côtoient de nombreux voyageurs à pied. Mon nouveau cicérone - alias un aïeul de la 11ème génération – assez loquace, après m’avoir invitée à poursuite mon chemin avec les siens, me signale qu’on se rapproche des remparts et qu’au fond  le fier vaisseau de pierre est celui de la vaste collégiale gothique.
 
Saint-Quentin -  la collégiale
 
Alors vous ne connaissez pas cette magnifique cité picarde très commerçante ? Tous les paysans de ses environs viennent apporter des toiles brutes et les vendent aux commerçants qui les font blanchir et apprêter : ensuite le linon part dans tout le royaume et même dans des pays étrangers.
 
La jeune Marguerite SOREL, un plus de vingt ans, est très excitée de ce déplacement et me chuchote que c’est la première fois qu’elle quitte sa paroisse. Antoinette sa mère fronce un peu les sourcils !
 
Mais que c’est agréable de cheminer « en famille » somme toute.
 
Michel mon cicérone me signale qu’on emprunte le grand pont sur l’Isle et qu’après le petit pont sur la rivière, on suivra la rue de la Grianche jusqu’à la Grand’Place. Pas besoin de plan ou de GPS, je vais rester collée aux basques des « miens ».
 
Allez ne pas bouder mon plaisir de me plonger dans Saint-Quentin et son histoire, d’autant que nous débouchons non sans mal sur cette Grand’Place : vaste, animée, encombrée.
 
Saint-Quentin - la grand'place et l'hôtel de ville

Comme Marguerite j’ai les yeux écarquillés en direction de la façade gothique de l’Hôtel de Ville où siègent les échevins et les jurés de la cité.
 
L’édifice me donne l’impression de reposer sur les 6 piliers qui découpent l’espace du rez de chaussée en 7 arcades, puis je décèle une frise ouvragée soulignant  l’étage noble où s’ouvrent 9 fenêtres.
 
Là approchez et observez souligne Michel SOREL : regardez la profusion de petites sculptures : le maire est représenté et aussi le bouffon, ici le maître-tailleur, puis le tonnelier. Marguerite et moi-même sommes admiratives devant cette bande-dessinée sculptée.
 
Bon avec mon épouse nous allons déposer nos affaires, je vous laisse avec mon gendre pour faire le tour du marché ou Markiet comme on dit ici !
 
Bras-dessus, bras-dessous avec Marguerite nous sommes bousculées, apostrophées, mais cornaquées fièrement par Jean JAMART au milieu de la cohue.
 
Là regardez, cette croix est un point important du Markiet, on y fait les proclamations officielles, on la nomme aussi la croix au blé, car dans ce secteur se vend le blé. Voyez cette diversité de produits les céréales, mais aussi le vin, le pain et le beurre ainsi que les fruits et les volailles, sans oublier les herbages et le bois de chauffe. Pour chaque marchandise les vendeurs se regroupent et occupent des secteurs définis.
 
Sachez que pour garantir la qualité des produits, les échevins ont confié la vérification à des eswardeurs ou esgardeurs, sorte d’experts reconnus par leurs pairs.
 
Et au fond questionne Marguerite ?

Ce sont des boutiques d’artisans, tiens dans celle-ci le marchand déroule une batiste, et celle qui est plus claire et plus fine c’est du linon.

Ma petite dame, lorgnez cette belle sayette, comme cette toile de laine est légère mêlée avec des fils de soie ! Allez laisser  vous tenter !  Le monsieur va bien accepter !
 
Si j’avais la bonne devise j’achèterai bien quelques aunes de cette sayette pour Marguerite mon aïeule vu son air rêveur.
 
Et là dans ce coin de la Grand’Place ? C’est une des nombreuses halles de la cité, il faudrait du temps pour découvrir la Halle aux poids, la Halle aux laines, la Halle aux chausses. Là donc est construite la Halle pour la boucherie …
 
Donc ce bâtiment avec la grande porte ?

Pas de réponse, silence … Avec ma manie de vouloir détailler l’architecture …
 
Oups je n’ai plus mes compagnons de route et de découvertes, je me retrouve dans le temps actuel avec mes interrogations.
 
Par quel mystère Servais SOREL le frère de mon ancêtre Marguerite a déniché sa promise Barbe LECLERC dans cette cité de Saint-Quentin, vraisemblablement il est chirurgien. S’agissant du métier de Michel SOREL son père je n’ai pas d’élément tangible, toutefois cette union de 1679 m’aura révélé la signature de ce lointain ancêtre. Fil ténu, fragile et chaque fois émouvant.
 
 
Echange imaginé
mais personnes liées à ma généalogie
selon les principes du RDVAncestral



Pour retrouver la petite-fille de Marguerite
Le puzzle de Marie-Marguerite

Sources
AD 02 BMS Saint-Gobain et Saint-Quentin
Gallica gravures de Saint-Quentin de Tavernier

Pour admirer des photos de l'hôtel de ville de Saint-Quentin
sur le blog Aux couleurs de Marithé

Pour aller plus loin sur le site de Persée
L'histoire de Saint-Quentin



vendredi 8 mars 2019

Magdeleine l'invisible d'Alaincourt

Et si je tentais un modeste fil de vie sur Magdeleine DURY une lointaine aïeule en haut d’une branche de mon arbre,  à la 11ème  génération,  mon sosa 1789 dans le jargon de la généalogie.
Juste pour qu’elle  soit un peu moins invisible et juste pour que son village d’Alaincourt dans le département de l’Aisne soit un peu moins abstrait dans mon esprit.
Située dans l’ancienne Thiérache, la paroisse d’Alaincourt dont des terres ou prés appartiennent à l’Hôtel-Dieu de Saint-Quentin  cité éloignée de 13 kilomètres, est sur la rive droite de l’Oise.
Géoportail extrait carte de Cassini centré sur Alaincourt
  
Magdeleine, dont la naissance se situe vers 1643 et les noms de ses parents resteront à jamais inconnus,  épouse en premières noces un dénommé SELLIER dont elle aura trois fils Philipe, Jacques et Antoine nés dans les années 1663-1668.
Ensuite mon aïeule  se remarie vers 1669 avec un laboureur Pierre DOFFEMONT sosa 1788 et aura deux autres fils Nicolas et Jean mon ancêtre, leurs baptêmes en 1670 et 1673 figurent dans le registre des actes tenus par le prêtre Jean Bayart de la paroisse Notre-Dame d’Alaincourt.
Hélas en ce temps-là les vies sont brèves, et Pierre le laboureur décède en 1676, laissant veuve Magdeleine avec 5 enfants ; la même année elle s’unira avec Claude GOULIERE originaire d’une paroisse proche et lui donnera un fils Charles en 1677.
  
Un peu de répit pour Magdeleine qui verra grandir ses fils dont les aînés ont dû aider le nouveau chef de famille avant de convoler pour deux d’entre eux. 

Gallica église d'Alaincourt
Quelle pouvait être sa vie, et celle de la communauté paroissiale ? La carte de Cassini donne une approche du relief et de la végétation, et le cadastre napoléonien constitue aussi une base intéressante. L’habitat de ce petit village est assez resserré autour de l’église – dont je ne sais si le clocher était déjà en ardoise du temps de Magdeleine - pas de hameaux éparpillés.
Les noms des lieux sont évocateurs : vallée Bouvet, vallée Alain, sous les  falaises. Il y a un bras de l’Oise qui serpente, le bois Frémont, les bouqueteaux, la grande pièce, les champs à fromage (sic), quant aux champs pourris je pense à un secteur plus ou moins inondé qui servirait au rouissage du chanvre et du lin.
La dénomination du lieu les vignes est évidente, pour se rendre de la pâture grasse à la haute pâture il faut emprunter un pont sur l’Oise ; s’agissant de la pâture Le Roy son droit a fait l’objet de contestations  - comme souvent – de la part des habitants d’Alaincourt qui ont obtenu confirmation de cet usage.
De même les habitants disposaient de la banalité au pressoir du moulin du château de Moy tout proche. En contrepartie du pressurage des raisins et des pommes pour la mouture des grains, le valet du  moulin de Moy leur demandait annuellement les ratons (1) et les œufs rouges.
Mais le temps était compté pour Magdeleine DURY, elle fut inhumée dans le petit cimetière d’Alaincourt le 22 juin 1700, étaient présents son époux Claude GOULIERE, et quatre fils Jacques SELLIER, Nicolas et Jean DOFFEMONT, et Charles GOULIERE. Comptable des âmes de longues années, le prêtre Jean Bayart officiait et notait les témoins, qu’il en soit remercié.

Magdeleine DURY sosa 1789 ca 1643-1700
X ca 1663 dénommé SELLIER
X ca 1669 Pierre DOFFEMONT sosa 1788
X 1676 Claude GOULIERE


6 enfants 

- Philippe SELLIER ca 1663-1695
- Jacques SELLIER ca 1665- 1705 X Marie BRULE
- Antoine SELLIER ca 1668 X 1694 Marie TONNELET
- Nicolas DOFFEMONT 1670-1712 X 1701 Simone DELAIDDE
Jean DOFFEMONT sosa 894 1673-1736 X 1700 Jeanne GUILBON sosa 895
- Charles GOULIERE 1677-1705 X 1704 Magdeleine LESCAILLON



N.B. (1) ratons : a priori en Picardie, petites galettes ou crêpes

Retrouver Jean le fils de Magdeleine : Quelques lignes pour Jean Doffemont

Sources :
Petits cailloux de Geneanet
AD 02 Alaincourt BMS et cadastre