samedi 20 octobre 2018

Chez Messire le Chanoine Louis Claraz

Enigmatique billet à la belle écriture cursive, au style châtié, qui a attisé ma curiosité puisqu’il était question des proches du rédacteur. Celui-ci m’enjoignait d’être présente  à Aiguebelle en Savoie le 5 août 1698 en début d’après-midi, ce qui nécessitait de faire étape à Chambéry ville pourvue de bonnes auberges : signé Louis Claraz.
 
Voilà donc tout trouvé le sujet de mon nouveau Rendez-Vous Ancestral, sauf que les Claraz qui me trottinent dans ma tête ne sont pas d’Aiguebelle !
 
Par une journée d’été ensoleillée mais non caniculaire, je me retrouve donc sur la route entre Chambéry et Aiguebelle, avec seulement deux relais de poste pour l’ultime étape. Les  balancements de la diligence, voiture tirée par quatre chevaux, constituent une nouveauté, mes compagnons de trajet trouvent la chaussée en bon état (mouais si on veut).

Pixabay
Déjà à cette époque la paroisse d’Aiguebelle était traversée par une voie rectiligne, et de l’autre côté de la rivière Arc se trouvait le Chapitre de cette petite cité.
 
- Gente Dame vous êtes arrivée, me claironne le postillon en ouvrant la portière, cela doit être pour vous le religieux à côté de la carriole !
 
- Peut-être, on devait venir me chercher …

Je suis dubitative, mais impossible de rebrousser chemin. Me revoilà dans une carriole, nous empruntons une allée bordée d’arbres, avant de passer un pont, et sur l’autre rive découvrir des maisons agglutinées autour d’une église.
 
- Voilà c'est ici, énonce soudain le religieux, je dois vous introduire chez Messire le Chanoine Louis Claraz qui demeure dans l’enclos du Chapitre d’Aiguebelle.
 
Avoir bonne contenance : ce Chanoine est-il le frère d’un autre Louis Claraz père d’une Marguerite tous originaires de Fontcouverte ? En pénétrant dans une salle fraiche, j’esquisse à tout hasard une vague révérence devant l’assemblée.
 
- Très chère parente, je suis fort aise de voir revoir en ce jour particulier pour ma nièce et de vous être déplacée. Marguerite venez saluez notre parente qui nous arrive de la grand’ville.
 
Maître Michel, notaire ici présent a commencé à rédiger le contrat de mariage d’ Antoine GAY-ROSSET sosa 704 fils de feu Pierre de Montgilbert et de ma nièce Marguerite CLARAZ sosa 705  fille de mon regretté frère Louis et de feu Balthazarde BUISSON-CARLES de Fontcouverte.

Mes neveux Louis et Benoit sont ici, tout comme Claude Gay-Rosset oncle du futur.
 
Si je situe les deux premiers, ce n’est pas le cas du dernier quidam. Tous ces messieurs ne comprennent pas trop ma présence, vu leur air particulièrement étonné.

Tiens donc voilà pourquoi Marguerite a délaissé sa paroisse natale et s’est établie dans le petit village de Montgilbert à côté d’Aiguebelle plus en aval, son oncle le Chanoine a du œuvrer en ce sens et chercher un bon parti.
 
Non, non, ami lecteur ne fuyez pas, le contexte de ce contrat est différent, il m’éclaire sur l’entourage des futurs époux et leur condition !
 
Le notaire a déjà noté le trossel ou trousseau de la future :
« dix chemises de toile mêlée moitié de bonne valeur et autre moitié  mi-usée,
douze tabliers tous moitié usés,
douze coiffes rondes toutes toile de ville, moitié neuves, moitié mi-usées,
douze autres coiffes grandes toutes aussi en toile de ville, moitié neuves moitié mi-usées,
huit gorgières (1) de  toile moitié neuves moitié mi-usées,
un habit complet brassière et jupe en drap façon d’hollande de bonne valeur,
trois cotillons (2) en toile de drap l’un neuf, les autres de peu de valeur,
une paire de bas d’estamet (3),
une paire de souliers neufs,
un coffre bois noyer mi-usé fermant à clé,
six linceuls de toile mêlée mi-usés,
»
 
 
Gallica
Chère Marguerite vous pourrez donc mettre vos cotillons et nombreuses coiffes dans le coffre en bois de votre pays, mais une seule paire de souliers, c’est bien peu. Sachez que j’ai noté la référence à la toile de ville et le drap façon d’hollande, donc des tissus achetés à des marchands-colporteurs.

 
Droite et fière, en l’absence de vos parents, Marguerite vous constituez vous-même votre dot à savoir outre le trossel la somme de onze cents florins de monnaie de Savoie, que vos frères Louis et Benoit Claraz s’engagent à verser  au futur époux présent et acceptant cinq cents florins le jour de la célébration des noces, et les six cents florins restants savoir trois cents florins en deux années et les autres trois cents restants en quatre années. 
 
Quant à Antoine le futur époux « considérant l’amitié qu’il porte à ladite future épouse et les bons soins qu’il espère recevoir d’elle », il lui donne à cause de noce et d’avoir et augment de la somme de cinq cent cinquante florins monnaie  de Savoie. Somme qui appartiendra aux enfants du présent mariage et s’il n’y en a point restera au dernier survivant.
 
Claude Gay-Rosset l’oncle que je découvre à l’occasion de ce contrat donne six cent florins de son côté, les formulations ampoulées du notaire (dans l’attente d’un petit stage chez lui) m’échappent un peu.
 
C’est qu’il faut être précis, tout prévoir, le mariage est avant tout un contrat et un établissement : point trop de rêveries.
 
Révérend Louis Claraz, mon lointain grand-oncle, porte son regard sur l’assistance, et alors me présente les témoins au contrat qui s’avèrent être  « ses collègues » aussi Chanoines au Chapitre d’Aiguebelle : Révérend Messire Claude Buysson prêtre et curé de Monsapey et Révérend Messire Jean Pierre Allais aussi prêtre.

Maître Charles Michel, notaire et bourgeois d’Aiguebelle recueille sur la minute les signatures des témoins, de Louis Claraz le frère et surprise celle de la future épouse ! Le futur est dit illettré comme son oncle et l’autre frère.
 
Donc Marguerite est ma première aïeule savoyarde qui sait signer et dûment attesté qui plus est. Ceux qui parcourent les registres paroissiaux de Savoie me comprendront, car les actes ne comportent pas de signatures ce qui est assez frustrant.

Droite et fière après avoir apposé sa signature, Marguerite esquisse un sourire et me tend une main, Antoine s'avance à son tour comme s'il pressentait que je me suis attachée à eux et à leur lignée. 
 
Quinze jours plus tard  le 18 août 1698 sonneront les cloches de l’église de Montgilbert après la célébration du mariage d’Antoine et Marguerite, mentionnant des témoins différents des protagonistes de ceux du contrat de mariage. Union qui hélas durera moins de 10 ans avec la disparition prématurée de Marguerite, mais elle aura donné à Antoine deux fils Louis et Jacques mon ancêtre.

Vieux grimoires vous devez me celer encore d'autres secrets.
 


N.B.
(1) Gorgière ou corgerins : en Savoie col monté sur un corselet
(2) Cotillon :  jupon porté surtout par les paysannes
(3) Estamet : petite étoffe de laine
 
Sources:
AD 73 Tabellion d’Aiguebelle 1698 2C 2071 vues 99/100
AD 73 BMS Montgilbert 1698-1709 4 E 2341 vue 2/58
Généanet 3 sources

Pour retrouver les billets du #RDVAncestral mensuel permettant d'aller à la rencontre de ses ancêtres c'est ICI

samedi 6 octobre 2018

La consigne de Fontcouverte en 1718

« Il nous est tombé sous les yeux une consigne de tous les habitants de la  paroisse de Fontcouverte en Maurienne pour l’année 1718. C’est un rôle dressé conformément aux édits de l’Intendant général Riccardi. Le total des personnes est de 1427. »
 
Ainsi débute un article de la Société d’Histoire et d’Archéologie de Maurienne déniché sur Gallica - précieuse bibliothèque numérique – en date de 1924 relatif à ce recensement en Savoie. Et à 300 ans d’écart cette fois, compte tenu du ton employé par l'érudit local, j’ai eu l’impression d’avoir rendez-vous avec mes ancêtres et de rencontrer par exemple Claude Rossat et son épouse Antoinette Boisson, ou les parents de cette dernière Antoine Boisson  et  Louise Gilbert-Collet.
 
« Ce n’est pas sans intérêt mêlé d’émotion que nous avons vu défiler devant nous à deux cent ans de distance actuellement, le tout Foncouverte de 1718. Ces hommes et ses femmes, allaient et venaient, comme ceux d’aujourd’hui, arrosant de leurs sueurs les prés et les terres, que possèdent encore leurs descendants. Leur horizon allait comme aujourd’hui de l’Ouillon aux Aiguilles d’Arves, du Mont Charvin au massif de Château-Bourreau. »
 
« Voici Claude qui devise gravement des intérêts de la communauté avec Sébastien et Barthélemy, en attendant l’heure des vêpres. Georges et Sorlin discutent vivement une question d’intérêt privé.
 
Et ce groupe rieur qui s’avance vivement avec l’insouciance de la jeunesse ? Sans doute Antoiniz, Philippaz et Albane, à moins que ce ne soit Gabrielle, Georgiz ou Michelette. Et n’allez pas croire qu’elles ne puissent pas soutenir la comparaison avec celles d’aujourd’hui. Est-ce qu’un soldat de Paris appartenant à l’une des trois compagnies françaises cantonnées dans cette paroisse, n’a pas épousé avant de partir, il y a cinq ans, une fille de Fontcouverte Jeanne Boisson avec la permission du commandant de Mailly ? »

 
« Mais aujourd’hui, le secrétaire de la communauté Jean Gilbert, quoiqu’encore garçon, ne pense seulement pas à regarder s’il y a Michelle. Il est tout préoccupé de cet état-consigne demandé par l’Intendant général. Il en aura toute une semaine à parcourir tous les villages de la paroisse avec l’honnête Jean-Claude Claraz, l’un des syndics et Antoine Boisson « l’un des apparent et des plus informé du détail de la paroisse.
 
Tiens voilà que je découvre que mon aïeul Antoine Boisson ou Buisson, laboureur de son état, aurait aidé le quidam chargé de la consigne !
 
Puis il lui faudra encore, à lui secrétaire, une autre semaine pour dresser le rôle en deux copies ; et cela au mois de septembre, pendant que les autres font leurs semailles. »
 
« Onze colonnes à remplir :
- une pour les chefs de famille,
- une pour les enfants majeurs de 5 ans,
- une pour les mineurs de 5 ans,
- une pour les enfants encore au berceau,
- une pour les bœufs et les vaches,
- une pour les veaux,
- une pour les brebis, moutons ou chèvres,
- une pour les agneaux et chevreaux qui tètent,
- une pour les cochons
- et une pour le sel,
- et une pour les cabaretiers, boulangers ou revendeurs. »
 
« Pour les cochons c’est zéro de haut en bas. Heureusement que Monsieur l’Intendant n’a pas eu l’idée de faire compter aussi les poules. Pour le sel, il ne s’agit pas de la consommation totale de la famille, mais seulement du sel destiné à la salaison du fromage et de la viande. De la viande, il n’est pas « en coutume d’y tuer et saler aucune viande pour l’usage de la famille, sauf s’il arrive quelque accident ». Des cabaretiers, boulangers, revendeurs, point. »
 
« Mais déjà tout le monde est rentré dans l’église, où le Réverend Curé Jean-Baptiste Favier vient d’entonner le dixit. «

***
 
Un petit éclairage sur les prénoms de ces paroissiens de Fontcouverte est possible grâce au pointage de Jean-Baptiste Albert curé-archiprêtre en 1924:
 
En tête pour les hommes il y a Jean (81) Jean-Baptiste (81) Claude (55) Pierre (55) Louis (41) et également présents Gaspard, Barthélemy, Etienne, Philippe et Sébastien.
Mais on trouve aussi des Catherin  - cas rare d’un nom masculin dérivé du féminin-  Aynard, Colomban, Sorlin et un étrange Murix !
 
En tête pour les femmes il y a Marie (93) Jeanne (70) Françoise (56) Michelle (36) Antoiniz (36) mais aussi des Barbe, Amblarde, Jenette, Jacquemine, et Guigonne.
 
Dans ces prénoms féminins on note des désinences en iz ou az à savoir Antoiniz, Georgiz, Philippaz  qui se retrouvent dans des patronymes comme Claraz. Que dire sur ces désinences, élément variable à la fin d’un mot, sinon qu’elles ne se prononcent pas et que les érudits locaux peinent à trouver leur origine…
 
***
 
Sachez  Monsieur le secrétaire Jean Collet que ce fastidieux travail sur le dénombrement de tous les paroissiens de Fontcouverte n’a pas été inutile, il est précieux pour des curieux « farfouilleurs » d’archives que sont les généalogistes amateurs.


Sources
- Gallica
Revue Société d'Histoire et d'Archéologie de Maurienne 1924 Tome VI 2e partie
- Tableau le dénombrement de Brueghel le jeune (détail) Palais des Beaux-Arts de Lille