samedi 17 février 2018

Décédé à l'hôpital du séminaire

« Ça va aller, vous pouvez me laisser » Deux femmes s’éloignent en cette journée d’été 1811 : il y a tant à faire à Montgilbert. J’aperçois Anne Poti toute repliée sur elle-même, assise sur un muret de pierre, anéantie, désespérée, ratatinée par la souffrance, comme une petite vieille alors qu’elle a environ 55 ans.
 
En ce jour, Anne POTI Sosa 89 est incapable de rejoindre dans les champs son époux Denis ROSSET Sosa 88. « Ils m’ont pris mon fils, ils ont tué mon petit ».
 
Oh mon Dieu que se passe-t-il alors que j’atteins ce petit village de Savoie ?
En 1811 Montgilbert est dans le nouveau Département du Mont-Blanc depuis la Révolution et terre du Premier Empire désormais.
 
Gallica Vieille femme Henry Monnier
« Vous qui n’êtes pas d’ici, peut-être de la ville, expliquez-moi pourquoi on nous prend nos fils ? La guerre au loin, très loin. Blaise, mon petit Blaise, je ne le reverrai pas. »
 
Anne Poti me tend alors un papier officiel. Elle me relate de façon un peu décousue qu'hier le Maire Pierre David est venu les voir, car il devait noter sur son grand registre le décès de leur fils Blaise ROSSET.
 
Comme un coup sur la tête pour Anne, parce qu’en tant que mère, obstinément elle ne croyait pas à l’irrémédiable, malgré ce qu’il se murmurait, malgré l’absence de nouvelles depuis deux ans. Elle se remet à pleurer, je lui prends les mains, m’installe à ses côtés, silences, regards sur les champs en contre-bas.
 
« C’est vrai ce qu’il a dit Monsieur le Maire  ? Il ne s’est pas trompé ? »
 
En lisant la transcription faite la veille 17 juillet 1811,  je découvre qu’à même pas 19 ans Blaise ROSSET  a été enrôlé dans l’Armée en 1809 sous le Premier Empire.
 
L'année 1808 ouvrit l'ère des énormes levées de conscrits: d'importantes consommations d'hommes dans les campagnes de la Grande Armée de Napoléon, et l'ouverture du second front en Espagne, creusant des trous qu'il faut sans cesse combler. Les meilleures divisions de la Grande Armée sont jetées en Espagne, qui ne les rendra pas. En moins d'un an, l’Empereur demande trois conscriptions.
 
Que dire à une mère éplorée, que la patrie était en danger et qu’il fallait la défendre, envers et contre tout, alors que Napoléon était lancé dans des conquêtes sans fin ? Que représentaient, pour les habitants d’un petit village de la Savoie luttant au quotidien pour arracher à la terre leur subsistance, tous ces chamboulements de régimes, d’administration, d’état-civil, cette conscription pesante et rapprochée sur tous les hommes valides ?
 
Ah, ce fichu acte est précis : Blaise ROSSET - un lointain grand-oncle - était  Chasseur du Troisième Régiment d’Infanterie Léger, cela sonne bien, et signifie  qu’il mesurait plus de 1, 70 mètre, donc grand pour cette époque. Célibataire, ayant tiré un mauvais numéro, sa famille ne pouvant payer un remplaçant, il était bon pour un service militaire de cinq ans.
 
Blaise est donc entré comme conscrit le 9 avril 1809. Anne votre fils a été malade, et s’est à la suite d’une fièvre qu’il est mort à l’hôpital du séminaire le 29 avril 1809, soit 20 jours après son incorporation.
 
Ce soldat n’aura pas usé son bel uniforme et un livret à son nom a-t-il seulement établi ? Je remarque qu’il a fallu 2 ans à l’administration militaire pour transcrire le décès à Paris, et 2 mois et demi de  plus pour que la pièce officielle arrive sur le bureau du maire.
 
« C’est où cet hôpital, ce séminaire, et la ville ? Il a été enterré où mon fils ? Il y a eu une messe ? »
 
Je relis l’acte établi par le Secrétaire général du Ministre de la Guerre : si l’endroit du décès est indiqué, la commune n’est pas mentionnée. Que puis-je répondre à cette maman effondrée ?
 
Vous savez Anne, je me souviens avoir lu qu’un important séminaire à Annecy était dirigé par l’ordre des Lazaristes , ceux-ci comme bien d’autres, furent réquisitionnés pour loger une partie des troupes. Ce séminaire fut aussi retenu pour établir un hôpital pour soigner les soldats blessés ou malades de passage.
 
« Ah bon ! Au fait pourquoi vous êtes là ! Vous êtes qui ? »

J’explique à Anne que je suis une lointaine parente, et que j’aime la montagne, et comme d’autres personnes je rencontre chaque mois un ancêtre. Je dis mon désarroi devant sa peine, n’ose évoquer ses autres fils d’autant que l’aîné aussi célibataire est peut être soldat, les deux fils cadets dont mon ancêtre François-Joseph sont encore jeunes  …
 
« Faudra revenir, quand je serai moins tourneboulée et que mon homme il sera à la maison, et dans d’autres circonstances ».

D’accord Anne, je viendrai vous revoir bientôt pour un autre rendez-vous ancestral.
 

En attendant vous pouvez retrouver ici : Anne ma chère épine

 
Petit rappel, si les dialogues et descriptions sont pure fiction, les personnes citées ont bien vécues dans les lieux cités et dates évoquées. Cette façon de voir sa généalogie a été initiée par Guillaume du Blog Le Grenier de nos Ancêtres.


Sources
- AD Savoie Montgilbert
- Fondation Napoléon : La conscription sous le Premier Empire
- Image du livret militaire tirée du site de Fréderic Berjaud :
le 3e régiment d'infanterie légère
- Gallica : Chanoine C.M Rebord ;
Grand Séminaire du Diocèse de Genève Annecy Chambéry



 

1 commentaire:

  1. Je m'aperçois que je suis passée au travers de ce très touchant billet de ton dernier #RDVAncestral ! Ca s'est bousculé avec le #RMNA la veille malgré la rapidité avec laquelle Nathalie les a mis sur le site !
    Je suis moi même dans une phase active de recherches et d'écriture mais ce n'est pas une raison ;=)
    Quelle jolie rencontre entre Anne et toi même si compte tenu du cont'xte, elle est forcément triste ...

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