jeudi 28 septembre 2017

Généathème : Barjaquer patois ou français

Mes aïeux savoyards barjaquaient-ils patois ? Papotaient-ils seulement en patois, ou aussi en français ? Honnêtement,  je n’aurai pas abordé ce sujet de généathème, sans la proposition de Sophie du Blog « La Gazette des Ancêtres ».
 
C’est en terre de Savoie que la chaîne de mes ancêtres remonte le plus loin dans le temps : des gens de la terre, de la montagne, sauf trois notaires ducal et aussi un bourgeois ! Terrain défriché en partie par des passionnés de généalogie de longue date, dont je bénéficie car il s’avère fiable.
 
Comment parlaient tout ce petit monde d’hommes, de femmes, et d’enfants, voire écrivaient ?

Pour commencer juste un petit rappel : non ne vous sauvez pas ! Le patois savoyard, resté assez proche du latin, appartient au groupe linguistique appelé bizarrement « franco-provençal ». Ce n’est pas tout à fait du français, et pas du tout du provençal.

Lexilogos - carte détail

Le français, langue des autorités et des notables
 
Se poser la question du parler usité, à mon sens, conduit à se demander qui parle quoi et quand ?
 
Initialement  sur les terres du Comte de Savoie, tous les actes administratifs ou notariés étaient rédigés en latin. Puis, le Comte Vert Amédée VI de Savoie (1343-1383) s’est dit qu’il serait plus commode de gouverner un pays dont la langue administrative serait plus compréhensible pour lui qui parlait le patois savoyard, que le latin des clercs.
 
Le Comte Vert a appris la langue du Roi, du Roi de France, c’est-à-dire le français et l’a imposée à son secrétariat ! Soit dit en passant, Amédée VI en épousant Bonne de Bourbon, fille de Pierre 1er de Bourbon et d’Isabelle de Valois, est devenu le neveu du Roi de France Philippe VI de Valois. Il n’y a pas eu de pression de celui-ci trop occupé avec les Anglais à cette époque.
 
Avec ce choix linguistique libre du Comte Vert, la langue française unitaire a été adoptée au château comtal de Chambéry. A partir de la fin du XIVe siècle, il y eu un engouement pour la langue et la culture française sur les terres du Comte, puis du Duc de Savoie. Les familles aristocratiques et les familles bourgeoises des professions juridiques adoptèrent le français comme langue domestique.
 
Le XVe siècle a été l’époque de l’installation du français en Savoie : mouvement social pacifique. Les actes d’archives révèlent que le français a remplacé assez rapidement le latin, sans passer par la transition d’un dialecte local. A l’exception des jugements qui restèrent en latin jusqu’à son abandon, par les cours de justice, après l’Ordonnance de Villers-Cotterêts en 1539. A cette époque en effet, les troupes françaises occupaient la Savoie qui était gérée comme une province française…
 
Lorsqu’il eût retrouvé son fief héréditaire, le Duc Emmanuel-Philibert de Savoie, par lettre patentes de 1561, impose le toscan – c’est-à-dire l’italien au Piémont – et le français à la Vallée d’Aoste et à la Savoie. Il justifiait le choix de ces deux langues, par la langue qui était la plus proche du patois que parlaient les gens de chaque région. La Savoie n’a jamais été administrée en italien. 

Le bilinguisme du peuple : langue du dimanche et langue de tous les jours
 
Et le patois dans l’histoire ? Les familles de notables n’ont pas abandonné ce patois qu’elles devaient bien connaître pour parler avec l’ensemble des gens.
 
Et le peuple dans tout cela, c’est-à-dire mes aïeux ? Il a évidemment continué à parler patois, puisqu’il a parlé couramment jusqu’à la fin du XIXe siècle.


Sauf que les Savoyards sont devenus, à partir des XV et XVIe siècles, bilingues. D’abord bilingues passifs, comprenant le français mais ne parlant que le patois ; puis bilingues complets.
 
L’Eglise a joué un grand rôle : au cours du XVe siècle, les sermons dominicaux commencèrent à se faire en français. Au XVIe siècle, des évêques donnèrent l’ordre aux curés de prêcher en français même dans les plus petites paroisses. Tout le monde parlait patois et le dimanche faisait un effort pour comprendre le français du sermon. Le catéchisme était enseigné en français aux enfants, les vieux ex-voto étaient en français.
 
On a un témoignage indirect de ce partage des langues dans certains noëls qui mêlent les strophes en patois et d’autres en français. Comme le curé parle en français dans sa chaire, la Vierge et les anges parlent français, tandis que les bergers parlent en patois.
 
Un autre instrument de francisation fut le théâtre religieux. Au XVIe, on a beaucoup joué de mystères dans les Alpes, et  en Savoie les textes étaient en français. Des mystères furent joués à Chambéry, Montmélian, puis le centre de cette activité s’est déplacé en Maurienne.
 
L’évêque de Saint-Jean de Maurienne, qui avait ouvert un collège de langue française, favorisait la représentation de mystères dans ses paroisses. Il faut avoir à l’esprit, ce qu’une telle représentation, impliquait à l’échelle d’une paroisse. Tous les acteurs – ou presque – devaient être choisis dans la population locale. Celle-ci devait fournir un effort considérable pour apprendre les rôles et les immenses tirades en français. Les représentations de mystères religieux furent des auxiliaires du français dont on disait qu’il était la langue du dimanche.
 
Dans bien des paroisses de Maurienne, il y avait des écoles où les gamins pendant l’hiver apprenaient à lire et à écrire en français.

Le patois restait évidemment la langue de tous les jours.

Les patois des villages avaient des différences, mais ils avaient surtout des ressemblances, nombreuses, discrètes et essentielles qui permettaient à tous les gens de se comprendre.
 
Loin de moi l’idée de vous infliger un glossaire, ou une ribambelle d’expressions, sauf à préciser que barjarquer correspond à bavarder, faire des commérages. Il m’arrive d’utiliser ce verbe, j’en ignorais l’origine.
 
Je préfère prendre l’option des mots savoyards dans le français parlé en Savoie, mots d’autrefois qui correspondent à une réalité montagnarde, ou donnent aux propos une pointe de malice, ou sont plus expressifs.
 
Mots choisis savoyards
 
Concernant la flore, l’expression bizarre de pomme de pin est remplacée par le nom savoyard une bovate ou povote. Au moment de la cueillette des myrtilles, on va ramasser des embrunes ou des embrosales !
 
Concernant les végétaux, en Savoie la carotte rouge est l’appellation de la betterave rouge à salade, et notre carotte jaune reste parfois encore appelée pastenaille.
 
Côté cuisine : un diau ou diot est une saucisse. Le décapa-diau est un grand gars, sec et maigre, comme pour le français dépendeur d’andouille.
 
Un seau est un zibelin, la louche : une pauche, et l’écumoire : une cuillère-percée. La pignote est un bidon pour aller chercher le lait. Un petit morceau de nourriture porte le nom de bocon : viens manger un bocon de tomme.
 
Justement côté montagne : si un de nos ancêtres avait deux montagnes, il n’était pas Crésus, mais avait deux alpages, chacun ayant son chalet, ses prés et ses pâturages. La montagnette est un alpage de basse altitude. Emmontagner, c’est monter le troupeau à l’alpage, et démontagner c’est le faire redescendre.
 
Il y a tant d’autres mots susceptibles d’éclairer le quotidien de nos ancêtres et leurs activités, matière à d’autres billets, à des rendez-vous avec un ancien ou une aïeule. Je garde donc certains mots pour une autre fois.
 

Sources : Lexilogos
- Comment parlaient et écrivaient les Savoyards au cours des siècles par Gaston Tuaillon - Romaniste et dialectologue savoyard -  Conférence de 1996
- Survivances du patois savoyards par Gaston Tuaillon - Cahiers de civilisation alpine 1983

samedi 16 septembre 2017

Le manuscrit de Coucy le Château

Posé devant ma porte, par une main anonyme et mystérieuse, j'ai eu la surprise de trouver un rouleau de papier de couleur crème, entouré d’une cordelette de chanvre. Etonnée, je m’empare de ce document, dénoue le lien, le déplie. 

Sur ce manuscrit,  d’une belle écriture penchée,  je repère une devise : « Roy, ni prince ne suy,  Ni duc, ni comte aussy, Je suis le sire de Coucy ». Oh, que cela est étrange !

Une fois le manuscrit  complétement déroulé, consigne m’est donnée de me rendre au bailliage de Coucy  le 1er janvier 1722  - pour mon prochain RDVAncestral -  afin de découvrir des énigmes liées à mes ancêtres.
 
Point de département de l'Aisne en ce temps-là, puisque le Roi Louis XV régnait sur les sujets du Royaume de France.
 
En route donc pour Coucy le Château, où sur un éperon rocheux fût édifiée au 13ème siècle, une fière forteresse, dont les remparts pouvaient concurrencer d'autres citadelles de l’Occident médiéval. Au 14ème siècle, Enguerrand VII de Coucy, grand diplomate, fît du château un somptueux palais. Mais la Fronde était  passée par là, Mazarin ordonnât  le démantèlement de la forteresse et son abandon.
 
Coucy le Château - Delcampe
Sur le manuscrit, consigne m’est donnée d’entrer dans la petite cité  par la Porte de Laon,  flanquée à l’extérieur de deux grosses tours avec à l’étage une grande salle. Consigne m’est donnée de bien regarder à main droite pour trouver le premier billet glissé dans un interstice du rempart.

Effectivement après avoir un peu tâtonné, entre les pierres est glissé un papier plié en quatre. Instruction m’est faite de me diriger vers le cimetière, car Jean MARLOT mon ancêtre assiste à l'inhumation de son épouse Jeanne COLLECTE qui vient de s’éteindre à  l'âge de 53 ans.

Je me faufile, m’égare un peu entre les places irrégulières, les rues généralement étroites, tortueuses et mal pavées, avec des maisons basses de peu d’apparence.

La cérémonie vient de s'achever apparemment lorsque je pénètre dans l'enceinte du lieu du dernier repos. Je croise trois personnes pressées de rentrer chez elles, plus loin un homme est entouré  de proches qui finissent de lui présenter leurs condoléances. Cette silhouette, avec encore une cape jetée sur les épaules,  me laisse une impression de déjà vu. 

Je n'ose pas m'approcher, ce Jean MARLOT est-il le même que celui qui est l'époux d'Antoinette CHARLET ?
 
La dernière consigne du billet est de repérer une pierre tombale à proximité (et non une simple croix en bois) pour trouver un autre billet qui me guidera vers un autre lieu, un autre jour. Là je suis perplexe, je peine, la lumière baisse, Jean MARLOT part à son tour. De quoi j’ai l’air à errer dans un cimetière un jour d’hiver, qui plus est un premier janvier !
 
S’obstiner, surtout en généalogie, enfin sous un gros caillou à côté d’une pierre tombale : je déniche un autre billet, toujours plié en quatre. Consigne m’est donnée, de me rendre juste à côté, à l’église Saint-Sauveur de Coucy le Château le 17 février de la même année, soit 6 semaines plus tard,  pour un mariage cette fois !
 
Et magie d’un rendez-vous avec ses ancêtres, je suis aussitôt propulsée dans l’église voisine, le jour prévu, à la bonne heure.

Rapide coup d’œil au portail de la seconde moitié du 12ème siècle, qui se comporte d’un petit porche en saillie, décoré de trois rangs de colonnettes, supportant un nombre égal de torses, dont seule la première présente des sculptures.
Coucy le Château - Delcampe
Il me faut un moment pour m’habituer à la faible lumière de la nef, mais je suis arrivée à temps pour la bénédiction nuptiale de Jean MARLOT (mon SOSA 820) et Antoinette CHARLET (mon SOSA 821) et entendre le prêtre égrener les qualités des mariés. Comme souvent en cas de remariage, le prêtre ne mentionne pas la filiation de l'époux : Jean  est dit veuf et point final.

Mais je découvre qu'Antoinette est la fille de feu Jean Baptiste CHARLET et de défunte Anne BOUDERLINE, et vient de la paroisse Saint-Martin de Chauny.

Tout cela a été rondement mené, veuf éploré que nenni !

Ils se sont donc unis à Coucy mes deux tourtereaux, parents de Jean-Baptiste ! Antoinette a environ la trentaine, Jean un peu plus a priori, et certainement pas la cinquantaine comme sa première épouse.

Vais-je suivre le cortège jusqu'à leur domicile pour repérer leur maison ? Leur fils Jean-Baptiste a-t-il été baptisé aussi dans l’église Saint-Sauveur ? Et là puisque je suis dans une autre époque puis-je consulter le registre du prêtre dans la sacristie ou le lieu de dépôt ?
 
Réfléchie un peu pauvre distraite et impatiente si tu vas formuler cette demande auprès du prêtre,  il va te prendre pour une dérangée. Il vient tout juste de célébrer le mariage, il n'y a pas eu mention d'une reconnaissance d'enfant. Antoinette et Jean n'ont pas forcément fêté Pâques avant les Rameaux.

A tout hasard je me dirige vers la cuve baptismale et s'il y avait autour de celle-ci un autre billet sur un banc ou près d'un cierge ..... je tourne, je vire ; ce coin de l'église est très sombre.

Je sais que les fonts baptismaux romans du 11ème siècle,  sont remarquables et sculptés dans du marbre noir veiné de bleu. Je n’arrive pas à déceler les sculptures finement ciselées représentant des motifs végétaux des petits animaux, des petits personnages et de jolis visages.

Cependant, à main gauche, dans un missel oublié, dépasse un troisième billet plié en quatre comme les précédents : avec noté « même lieu le 11 janvier 1724 pour le baptême de Jean-Baptiste MARLOT». J'embrasse le billet.

Et là un peu plus de lumière,  puisque c’est un autre jour. Je vois la tante et marraine Reine CHARLET, demi-soeur de la maman, tenant avec précaution le nouveau-né et lui souriant, et Jean MARLOT le père très ému et tellement fier d'avoir enfin un héritier.

1722, 1724, 2017; enchaînement rêvé, cher à mon cœur, maillons dans la chaîne des générations.


Enchaînement qui complète une précédente rencontre dans le village de Barisis aux Bois où la petite famille s'est installée et qui est évoquée ici


Sources
AD 02 Coucy le Château-Auffrique BMS 1716-1735 vues 63, 65 et 92 
 

samedi 2 septembre 2017

Jean Bérard mendiant


En parcourant les pages du registre de la  commune de Beaufort sur Gervanne dans la Drôme, j’avais mis sous le coude un acte en raison d’une signature.

Finalement avec la nouvelle suggestion de Guillaume, du blog "Grenier des Ancêtres" d'adopter un ancêtre  #AdopteUnAncêtre,  si je vous proposais un billet pour cet "adopté" croisé en Dauphiné.

En l’an neuf de la République, le vingt deux fructidor, ou si on se rapporte au calendrier grégorien le 9 septembre 1801, était décédé à 4 heures du matin- à l’âge de 68 ans - Jean BERARD profession de mendiant.


Gallica - Les Gueux - J. Callot
 
Le défunt est dit veuf, natif de Châteaudouble et fils de Jean BERARD et Marguerite BERARD du lieu de Châteaudouble. Cette déclaration précise, recueillie par le Maire, est faite par Claude VINCENT (un très lointain grand-oncle) et par Mathieu CHAGIER maréchal ; témoins qui savent signer.

Etant intriguée, j’ai eu envie de me promener à Châteaudouble, village au pied du Vercors.

J’ai ainsi trouvé sur le registre de cette commune, que Jean BERARD était le fils d’un autre Jean BERARD et de Marguerite BERARD. Il a été baptisé le 26 février 1733 avec pour  parrain Sieur François PEYRACHE drapier et pour marraine Elisabeth GUERIMAND son épouse. Outre les signatures de ces derniers, il y a 3 belles signatures de nommés BERARD, dont une Suzette.


 
Continuant à être intriguée, après un petit tour sur Généanet, j’ai repéré le mariage des parents de Jean BERARD et découvert qu’il était l’aîné d’une fratrie nombreuse.

Jean BERARD et Marguerite BERARD se sont unis le 11 mars 1732 en l’église de Châteaudouble. Cette union fait suite à une bulle de dispense du 2e au 3e degré de consanguinité obtenue le 21 février précédent en la Vice-légation d’Avignon et délivrée par Messire Denis Drouet, Vicaire de Monseigneur l’Evêque de Valence destinataire de la bulle. Les mariés apposent leurs signatures, tout comme les 5 témoins, révélant une certaine aisance dans la famille.


Le prêtre indique que les mariés sont des nouveaux convertis, et que le dimanche d’avant, au cours de la messe paroissiale, ils avaient fait profession publique de la Religion Catholique apostolique et romaine. Le grand jeu des formalités, pour une famille qui avait dû  renoncer aux idées de la Réforme.

Là j’ai arrêté ma digression sur la famille du regretté Jean BERARD dit mendiant, qui m’a confortée dans l’idée qu’un coup d’œil sur les actes dévoile des éléments supplémentaires.

Jean BERARD était mendiant certes, seul vraisemblablement, mais connu dans le village, puisque les témoins énoncent son l’identité.


Sources Archives Départementales Drôme
EC Beaufort sur Gervanne an X1-1812 vue 92
BMS Châteaudouble 1643-1740 RC vue 260 et vue 267