Atmosphère glaciale à l’extérieur, atmosphère pesante dans une maison en Savoie, où le chef de famille a fait quérir le notaire. Là, près de l’église à Montvernier, se sont engouffrées sept silhouettes : parents et amis qui sont les témoins en ce jour d’hiver 1756, l’après-midi du 10 février exactement.
Dans la pièce, où flambe un feu dans la cheminée pour lutter contre la froidure, Joseph Deschamps feu Jean-Louis décline, il a longuement échangé avec Maître Simon Joseph Dupré sous les regards inquiets de Jeanne Marie Laurent sa belle-fille, et de ses petits-enfants Jean-François un grand gaillard, Rémi huit ans tout juste qui se cache derrière sa sœur Thérèse gamine de treize ans.
Gallica estampe D Vinant-Denon |
« Lequel de son gré, sain de ses sens et paroles, présent d’esprit et en bon jugement quoique détenu de maladie corporelle a fait son testament nuncupatif et dispositions de dernière volonté nuncupative sans écrire - bien que par moi notaire ici y soit rédigé à sa réquisition - et à ses fins, en bon chrétien, il soit muni du vénérable signe de de la croix …
Et recommande son âme à Dieu le créateur. Qu’il soit intercédé auprès de sa divine majesté pour obtenir la rémission de ses péchés et le salut de son âme. »
Pause de Maître Dupré qui reprend : votre sépulture se fera au tombeau de vos parents prédécédés et le jour de votre enterrement un luminaire honorable sera fourni, vos funérailles et obsèques seront faites du mieux qu’il sera possible selon la coutume du lieu.
Geste faible de Joseph.
- Rassurez-vous formule le notaire, j’ai bien noté tous vos souhaits :
« A être ledit jour de l’enterrement célébrées deux messes chantées et une à basse voix, autant à la fin de la neuvaine, et autant à la fin de l’an de son décès, toutes pour le repos de son âme. Veut que lors dudit enterrement, pendant la neuvaine et aussi pendant l’année de son décès, soient faites des offrandes.
A la fin de l’an de son décès devra être fait un service avec une aumône à tous les pauvres qui se présenteront en pain vin et potage. »
« Donne et lègue à la vénérable confrérie du Saint Sacrement et pour une fois trois livres, et à chacune de celle des Carmes et du Rosaire deux livres payables dans l’année de son décès. »
AD 73 Tabelllion St-Jean 1756 extrait |
En homme pieux, Joseph Deschamps tient à instituer pour son salut éternel plusieurs messes annuelles et perpétuelles.
« Plus donne et lègue à la vénérable Confrérie du Saint Sacrement la somme de cent vingt livres payables en argent ou en créances moyennant quoi il charge ladite confrérie, soit les administrateurs, de faire annuellement deux services pour le repos de son âme et à perpétuité : le premier dans l’octave de la commémoration des trépassés et le second dans l’octave de Saint Joseph.
Lors de ses dits services, les prieurs et recteurs de ladite confrérie devront, le dimanche le plus prochain desdits jours, faire avertir tous les confrères et même le peuple d’assister audit service et chanter les vêpres des morts avec les prières accoutumées. Ils devront le jour des services dire l’office et y assister. Pour ses messes et vêpres, le curé sera rétribué vingt-quatre sols et six sols annuellement et à perpétuité, le surplus restera à la confrérie pour la maintenance ».
« Plus donne et lègue à la confrérie des Carmes et Rosaire quarante livres pour faire une messe annuelle à perpétuité dans l’octave de la fête de la Conception lequel service sera célébré en une grande messe ».
Plus veut qu’il soit célébré le plus tôt après son décès la quantité de cinquante messes par les révérends pères Capucins de Saint-Jean (1) pour la rétribution desquelles il sera payé la somme de trente livres ».
« Au cas, que la paroisse prenne la dévotion de faire une procession à Notre-Dame de Charmaix, (2) le testateur veut qu’il soit payé six livres qu’il lègue en faveur de ladite chapelle pour une fois seulement. »
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Cher Joseph, très respectueusement, j’ai écouté Maître Dupré, ressenti la présence anxieuse et attentive de votre entourage, discerné de votre part une sorte de soulagement à l’énoncé de vos dispositions pour l’au-delà, témoignage de votre profonde foi.
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Moment de silence, et le notaire poursuit :
« Le testateur donne et lègue à Thérèse sa petite fille, issue de feu Claude Deschamps son fils, la somme de sept cents livres payables en monnaie de Savoie et une vache ou la somme de trente livres au choix de ses héritiers,
et quant à ladite somme payable la moitié lors son établissement et l’autre moitié lors de son trois années après celui-ci, sans intérêt, et à défaut d’établissement la totale somme sera payée en cas de séparation d’avec ses héritiers, ci bas nommés, et qu’elle cessera d’habiter avec eux, »
« Plus lui donne et lègue six draps de lit, quinze chemises, une nappe et deux serviettes et un coffre de noyer avec aussi toutes les robes, linges, effets qu’elle se trouvera avoir,
et à cet effet, jusqu’à son établissement ou en cas de séparation, le testateur veut qu’elle soit nourrie vêtue et entretenue suivant son état et travaillant au profit des héritiers moyennant tout le dessus il la prive et l’exclue de son hoirie. »
Joseph, selon l’usage de ce temps, prévoit la dot de sa petite-fille qui devra travailler pour les siens, en attendant de se marier ou une décohabitation hypothétique.
« Le testateur donne et prélègue à Rémi son petit-fils, issu de feu Claude Deschamps son fils, en second lit, la somme de cent livres qui sont dues par le Sieur Dominique Deschamps de la Cité, et la somme de cent vingt livres dues par Michel Vernier pour être lesdites sommes prélevées sur son hoirie. »
Ensuite les regards se portent sur Jeanne Marie Laurent.
« Le testateur donne et lègue à sa belle-fille veuve de dudit Claude Deschamps, les fruits et revenus sur la part d’hoirie qui échoira à Rémi son petit-fils, et la fait maîtresse et gouvernante de cette portion, en l’utilisant pour vêtir, nourrir et entretenir ledit Rémi son fils suivant son état, et ce pendant qu’elle tiendra sa vie de veuve chaste et honnête, au nom de son feu mari, et à la charge qu’elle habitera toujours au présent lieu.
La nommant aussi tutrice et administratrice dudit Rémi son fils en supportant les contraintes de la confection de l’inventaire à faire pour ledit pupille. »
Joseph Deschamps, en grand-père organisé, « si Rémi son petit-fils a de l’inclination pour les études, veut que Jean-François son autre petit-fils et cohéritier le fasse élever et faire des études aux frais communs de l’hoirie mais seulement toujours suivant son état et condition pour qu’il ne puisse pas abuser.»
L’instruction est prise en compte par mon ancêtre, du moins pour les garçons, mais hors de question d’être un étudiant éternel !
Maître Dupré, sur un ton docte, énonce :
« Enfin le testateur, sur ses autres biens dont il a ci-dessus non disposé ni ordonné ni créé de droit, institue de sa propre bouche et nomme pour ses héritiers universels spéciaux et généraux lesdits Jean-François et Rémi ses petits-fils, issus de feu Claude son fils, par parts égales, et si ce dernier venait à mourir en pupillarité lui substitue son frère Jean-François ».
Et notre notaire royal de certifier, qu’il s’agit du seul et dernier testament de Joseph Deschamps feu Jean-Louis, et de recueillir les signatures des témoins, enfin de certains.
Face à une assemblée pensive et inquiète, le testateur est souffrant et affaibli, son temps est compté, quelques lacunes des registres paroissiaux ne permettent pas de connaître la date précise de son passage de l'autre côté.
Que son âme repose en paix, ses petits-fils ont repris le flambeau, avec encore des descendants porteurs du patronyme sur la même paroisse, et attachés à leur racines.
(1) il s'agit de la Cité de Saint-Jean de Maurienne, proche de la paroisse
(2) la chapelle de Notre-Dame de Charmaix, proche de Modane, est un important lieu de pélerinage
Billet rédigé dans le cadre d'un RDVAncestral
qui permet d'aller à la rencontre de ses ancêtres
et aussi du thème mensuel de Geneatech sur nos ancêtres et la religion
Retrouver cette famille
Sources
AD 73 Tabellion St-Jean de Maurienne 2C 2569 folio 157 vue 238
Généanet arbre pseudo Montvernier
Un beau RDVA ... et des dispositions testamentaires bien fournies ... bravo
RépondreSupprimerBeau travail de transcription de ce testament. Cela en vaut la peine, car la description des legs est intéressante. Voilà un grand-père qui se soucie de l’éducation de ses petits-fils. En ce qui concerne sa bru, elle n’a pas son mot à dire, et doit rester fidèle à son défunt mari.
RépondreSupprimerLa transcription de ce testament nous fait entrer dans l'intimité de la famille et nous montre un grand-père qui sait garder la tête sur les épaules et qui se soucie de l'avenir de ses petits-fils.
RépondreSupprimerCe qui me saisit le plus ce sont les nombreuses dispositions religieuses, pour le salut de son âme
RépondreSupprimerJoli coup double :)
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