J’ai l’esprit vagabond à rebrousse-temps jusqu’à la fin du 17ème siècle, un peu en catimini je tente une rapide visite et une rencontre fragmentaire pour aborder une âme oubliée.
Côté étoffes du velours cramoisi, une peluche de soie couleur ponceau pour attirer le chaland aisé, des rubans de soie pour plaire à la fille du châtelain ou la coquette épouse d’un avocat, ces étoffes, je les imagine présentes dans la boutique de Jacques Barnier marchand-drapier à Chabeuil en Dauphiné.
Ce lointain ancêtre, né vers 1635 environ, exerçant en homme avisé son activité, veille à proposer à ses clients du douillet moleton blanc utilisé pour tailler les gilets, du cordillat rouge ou blanc en laine très fine qui fait la réputation de la cité, sans oublier du cadis, ce solide tissu de laine qui sert à la confection des vêtements populaires.
Gallica échantillons de tissus |
Prévoyant, Jacques Barnier détient aussi le camelot d’Amiens de grand usage et la calemande rayée de Lille employée pour les gilets ou l'ameublement.
Combien d’aunes d’étoffes a-t-il commandé et installé sur les rayons de sa boutique ? Mystère faute de détenir son livre de comptes ?
Et puis, revoilà mon aïeul Jacques un jour de printemps, le 6 mai 1683 !
Ce jour-là, à Chabeuil, le notaire royal s’affaire pour un acte concernant Maître Jean Béranger avocat au Parlement (sous-entendu celui de Grenoble) habitant audit lieu. Ledit avocat vend, cède et remet à perpétuité, irrévocablement à mon aïeul marchand-drapier, qui achète et accepte, une pièce de vigne, pour la somme de centre trente-huit livres versée en louis d’or.
Jacques Barnier fait-il un placement des fruits de son négoce ou souhaite-t-il pouvoir récolter, sur un terrain bien exposé, un peu plus de vin nécessaire au quotidien des siens, sachant qu’en son temps on évite de boire de l’eau ? Interrogation là encore.
Grand merci en tout cas au notaire consciencieux qui recueille les signatures de tous les protagonistes dont celle de mon aïeul, précieux témoignage d’un temps lointain.
AD 26 extrait acte d'achat de 1683 |
Des nuages dans le ciel du royaume de France deux ans plus tard avec le gong de la Révocation de l’Edit de Nantes en 1685 par le roi Louis XIV, et l’interdiction de l’exercice de la religion protestante. A Chabeuil, cité prospère favorable aux échanges et ouverte aux nouvelles idées, des indices me chuchotent que la famille de Jacques Barnier appartient à ceux qui durent abjurer leur foi, dénommés nouveaux convertis.
Et puis je retrouve toute la famille de mon ancêtre, sous un ciel sombre et tourmenté un jour de 1693, le 31 août précisément dans la demeure de Jacques, où s’est déplacé le notaire royal pour recueillir les dernières volontés du testateur amoindri.
AD 26 extrait du testament de 1693 |
Maître Guyremand pour ce testament nuncupatif, donc oral, se doit d’utiliser les formules habituelles, et mentionne que Jacques « a fait le signe de la Sainte-Croix et recommande son âme à Dieu le Père et supplie humblement de lui faire pardon et miséricorde pour ses fautes ».
Autour de Jacques sont réunis fort inquiets sa femme Catherine Métiffiot, ses fils : Pierre l’aîné, Abraham mon aïeul et Jean, et aussi Mabile sa fille. D’une certaine manière, propre à une descendante curieuse de ses racines, je les vois tous et j’entends les dispositions énoncées par Jacques, et filer la plume du notaire qui accroche sur le papier.
« Donne et lègue par institution particulière à honnête Catherine Métiffiot sa femme la moitié de leurs biens et immeubles en payant au mieux les charges »
« Donne et lègue à Abraham et Jean Barnier ses enfants naturels la somme de deux cent quinze livres payables en deux parts égales au choix de son héritier, savoir la première à l’âge de vingt-cinq ans et l’autre au bout d’une année »
« Donne et lègue à Mabile sa fille la somme de deux cent cinquante livres payables aussi en deux parts égales, la première lorsqu’elle aura vingt-cinq ans et l’autre une année après, ou la moitié dès lors qu’elle se sera établie en légitime mariage, suivie de l'autre moitié un an après »
« Nomme et institue son héritier universel Pierre son autre fils naturel et légitime »
Mon esprit vagabond manque de concentration, et ne saisit pas d’autre formules ampoulées, mais il sursaute lorsque le notaire stipule « qu’en raison de la faiblesse de son bras qui le lâche le testateur n’est pas en mesure de signer. »
Le temps de Jacques Barnier est compté, deux jours plus tard le 2 septembre 1693 il s'éteint âgé d’environ soixante années, il est enseveli le lendemain dans un linceul de toile du pays.
A Jacques, son fils Abraham mes ancêtres, tous ses parents, juste une confidence, partir à votre rencontre m'a donné l'occasion de retourner à Chabeuil où il m'est arrivé de passer, et surtout de plonger dans le savoir-faire de la draperie et d'aborder les étoffes anciennes.
Pour retrouver cette famille
N.B
la peluche est une étoffe veloutée
couleur cramoisie : rouge foncé tirant sur le violet
couleur ponceau : rouge vif foncé
l'aune est une ancienne mesure de longueur d'environ 1,18 mètres
Sources
AD 26 BMS Chabeuil
AD 26 Archives notariales en ligne
Me Gueyremand 2E 19620 vue 44
Me Gueyremand 2E 19625 vue 112
Indices Geneanet pseudo charignonphil1
j'ai entendu la plume gratter sur le papier cela m'a fait grincer les dents. J'ai appris beaucoup de vocabulaire, dont ponceau !
RépondreSupprimerCes testaments des temps si reculés sont vraiment fabuleux pour bien connaître nos ancêtres.
RépondreSupprimerBeaux échantillons de tissus pour un RDVAncestral réussi.
RépondreSupprimerMerci @Briqueloup
SupprimerUn rendez-vous très réussi. Tu m’as embarquée à la (non) signature de ce testament. Précieux document 🤗
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