Après avoir brossé le lieu de Chabeuil en Dauphiné, évoqué l’union d’Abraham Barnier drapier avec Eve Imbert en 1714, mon esprit continue à rêvasser autour du monde de la draperie, univers d’un savoir-faire incontestable des hommes.
Abraham est-il drapier-drapant celui qui fabrique le drap, ou vend-il le drap comme son père marchand-drapier ? Le dilemme demeure, faute de le résoudre et à force d’avoir feuilleté et farfouillé dans une célèbre encyclopédie pour me documenter, ma vue se brouille.
Draperie Lavage de la laine |
Une présence à mes côtés, celle d’Abraham Barnier mon lointain ancêtre drapier, mon air dubitatif l’incite à débuter des explications :
- C’est l’époque du lavage de la laine dans leur suint, pour ôter cette matière grasse du mouton, qui se fait à l’eau tiède dans des cuves, attention l’eau trop chaude amollit la laine et risque de la faire rétrécir et feutrer.
Regardez le laveur a bien serré la laine entre ses mains, la met dans une grande corbeille d’osier, et la porte dans l’eau courante de la rivière pour la faire dégorger. Un autre ouvrier a déjà plongé une corbeille dans l’eau qui pénètre de partout la laine, il va la relever, presser la laine et la remuer, cette manœuvre ôte la mauvaise odeur et achève de nettoyer la laine.
- Vous suivez étrange personne venue d’ailleurs et je ne sais quel siècle ?
-Tout à fait je suis très attentive, ensuite que se passe-t-il ?
Draperie Pilotage de la laine |
Et Abraham d’ajouter : pour être honnête, on recommence parfois cette opération, dite alors le pilotage, dans un baquet la laine est remuée à nouveau dans l’eau tiède avec du savon cette fois pour obtenir une laine plus blanche. Cela se produit ainsi lorsque le fabriquant veut une étoffe plus légère tel le molleton ou la flanelle.
Là constatez l’étendage sur des claies pour l’égouttage et le séchage de la laine.
- Pas trop embrouillée ?
- Oh, non Monsieur ! Je suis très curieuse de ce savoir-faire, et me renseigne pour un jeune parent qui doit faire un stage.
- Bon je vous mène à l’atelier à deux pas d’ici.
Mon interlocuteur, de bonne composition, diminue ses enjambées pour s’adapter à mon rythme.
- Voyez cette personne assise, elle s’affaire au triage des laines sèches, distingue les différentes qualités, sépare la laine-mère, qui est celle du dos, d’avec celle des cuisses et du ventre, qui ne sont pas également propres à toutes sortes d’ouvrages.
Draperie Triage de la laine |
Ensuite le trieur sélectionne les laines les plus longues des laines les plus courtes, les premières sont destinées aux chaînes des étoffes, les secondes aux trames. Il doit être attentif à en rejeter les ordures qu’il rencontre sous ses mains. Si les laines lavées non triées se vendent par toisons, celles qui sont triées se vendent au poids.
- Et là que font ces deux personnes juchées sur deux petites plateformes ?
- Il s’agit du battage des laines triées, on les porte par petites portions sur une espèce de claie, formée de cordes tendues où on les frappe à coups de baguette. La manœuvre des deux batteurs vise à ouvrir la laine en écartant les brins les uns des autrès, et à chasser la poussière.
Draperie Battage de la laine |
Mais l’opération du battage n’expulse que la poussière, et laisse après elle les pailles et autres ordures, succède alors l’épluchage.
Cette étape confiée à des personnes minutieuses, et parfois à des enfants, nécessite un tri, brin par brin de la laine, sans la rompre pour ôter toute ordure, et ainsi éviter les nœuds et grosseurs des étoffes.
- Je suis sidérée de toutes ces étapes de transformation de la laine en préliminaire au tissage
- Oh mais attendez, impatiente dame, je vous signale le droussage !
Drousser la laine c’est l’imbiber d’huile d’olive par petites portions et ce pour les draps fins, l’huile de navette (1) est utilisée pour les draps plus grossiers.
Ensuite intervient le cardage de la laine courte, cardage au chevalet par deux fois avec une grande carde, regardez il s’en trouve un juste là, et cardage une fois sur les genoux avec une carde plus fine.
Draperie Chevalet pour carder et carde |
Prenez et soupesez cette carde, planchette en bois recouverte de cuir, hérissée de pointes de fer, petites et un peu recourbées, elle rompt la laine qui passe entre les dents qui ressort en parcelles très menues. Le cardeur négligent laisse des flocons durs et s’il a la main lourde la laine est brisée et l’étoffe aura moins de force.
La laine longue fait l’objet d’un peignage au travers de peignes de plus en plus fins qui permet d’obtenir un fil plus doux.
Après cette dernière opération, la laine sort en forme de petits rouleaux d’un pouce de diamètre, sur environ douze pouces de long, qui se nomment loquets, ploques ou saucissons, suivant l’usage du pays, et se filent au grand rouet sans le secours de la quenouille.
Draperie Peignes et grand rouet |
Juste derrière vous un grand rouet et un dévidoir, le fileur est absent, revenez pour une démonstration du filage de la laine et du dévidage. Là encore expérience et concentration sont de rigueur.
Pensive, admirative, je remercie vivement mon cicerone et ancêtre pour toutes ces explications qui je l’avoue me paraissent seulement les prémices avant la confection de l'étoffe. .
Draperie Dévidoir |
- Revenez avec votre jeune protégé, un pupille peut être, susceptible de devenir apprenti. Curieuse personne venue d’un autre temps, vêtue d’une indienne de coton, en quête d’une approche du monde de la draperie, vous vous doutez désormais que d’autres étapes restent à découvrir.
Après le filage et le tissage de la laine, le drap n’est pas tout de suite sur l’étal du marchand-drapier, c’est que nous drapiers de Chabeuil tenons à la qualité de nos draps qui font la réputation de notre cité.
Rendez-vous ancestral du mois
en lien avec mes ancêtres et leur profession
Retrouver cette famille
(1) Huile de navette :
La navette est une plante cultivée en France dès le 17ème siècle pour ses graines oléagineuses dont la production disparaît pratiquement après la Seconde Guerre mondiale, son huile a un goût de choux et de navet
Sources
Images et informations extraites de l'Encyclopédie de Diderot et d'Alembert
Version numérique ENCCRE
Article Laine et draperie
superbe billet très documenté
RépondreSupprimerBravo pour ce reportage !
RépondreSupprimerUn vrai "tutoriel" pour devenir drapier-drapant... ne manque plus que la pratique...
RépondreSupprimerNous apprenons tout du métier de drapier avec ce billet ! Bravo
RépondreSupprimerComme toi, je suis très curieuse de ce savoir-faire. il m'est arrivé de rencontrer des tisseurs à drap, des cardeurs à laine, etc.
RépondreSupprimerGrâce à ton ancêtre, tu te drapes dans le savoir-faire ;-)
RépondreSupprimerTrès bon article sur la profession de votre aïeul. De mon côté, du côté de ma famille maternelle, beaucoup d'entre-eux exerçaient la profession de tisserand.
RépondreSupprimerPassionnants tous ces détails sur la profession de ton ancêtre 🤗
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