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samedi 17 avril 2021

Cousine Mathilde racontez-moi

Voilà que la silhouette entrevue se fond dans l’opacité du temps, et s’esquive. Discrétion, manque de temps, ou côté taiseux, j’ai tout juste un signe de dénégation de la main. S’agissait-il vraiment de Jean Pierre Arnoux mon arrière-grand-père époux de Noémie Lagier, pourtant cet ancêtre dans un souffle m’a suggéré : vas voir Mathilde.

Mathilde, serait-elle bavarde, disponible ?
Cousine Mathilde, pour ne rien vous cacher.

En ce jour de rendez-vous ancestral, je me dirige un peu plus loin dans le hameau des Dorelons à Montmeyran.

Sur le pas d’une porte, comme guettée, un signe de main d’invitation de ladite Mathilde m’enjoint à pénétrer, très avenante, un petit bout de femme d’une bonne soixantaine d’années, tout est bien ordonné dans le logis, un calendrier des postes au mur m’indique que je suis en 1924.

- Je vais faire du café, là pas loin de la cuisinière et de la fenêtre on sera bien pour papoter m’énonce mon hôtesse. Un rêve récent - encore en mémoire - me laissait entendre que quelqu’un s’était intéressé à Marie Arnoux ma belle-mère et à son époux fontainier. Qui êtes-vous, enfin qui es-tu si nous sommes parentes ? Non prends plutôt la chaise avec le coussin, et expliques moi tout.

- Pour faire court et simple, je suis une petite-fille d’Isabelle Arnoux et je vous ai rencontrée lors de son mariage en 1912 avec Emile Mercier, où vous étiez témoin en tant que cousine, sous le patronyme de votre époux Henri Edouard Deffaisse.
Si j’osais, racontez-moi, racontez-vous.

Convaincue ou pas de se livrer ma chère cousine Mathilde, Lambert de son patronyme de naissance, elle tourne et vire autour de la cafetière, sert le breuvage, s’installe, hésite.

- Originaire d’Aouste-sur-Sye à 20 kilomètres d’ici, je m’y suis mariée avec mon pauvre Edouard en 1902, un jour d’hiver, son père souffrant n’a pu se déplacer, j’avais déjà 40 ans et nous n’avons pas eu d’enfants, je me suis retrouvée seule en 1910, il m’a fallu recourir à une personne pour exploiter les terres.

- Mais tu le sais bien il y a tant eu de malheurs avec la dernière guerre, tant de douleur autour de nous, et partout dans le pays. Moi qui avais assisté au mariage de tes grands-parents tous deux instituteurs, c’était une belle journée, journée d’espoir.

- Regardez Mathilde la copie de l’acte, les signatures à la fin, celle de mon arrière-grand père paraît hésitante ce jour-là, peut-être l’émotion ou des problèmes de vue.
Vous-même, comme Isabelle Arnoux, signaient de votre nom d’épouse, mon grand-père a une signature nerveuse tout comme celle de son beau-frère René Picard époux de tante Nésida !
Faute de photo de la noce, je ne peux que me rabattre sur ce témoignage d’un jour de bonheur.
Racontez-moi Mathilde, souvenez-vous, si seulement …

- Mon petit doigt, m’a dit que tu as écrit sur tes grands-parents instituteurs à Braine où avec le conflit Isabelle s’est retrouvée seule pendants 4 longues années avec sa petite Jeanne. Emile ton pauvre grand-père disparu à Verdun, sa petiote était chétive lors de son arrivée ici : tout son entourage était soucieux.

Hé oui, dans notre village on a eu des réfugiés de l’Aisne dont les maisons étaient détruites, venus de Barisis il y avait tes arrière-grands-parents paternels, on a gardé des liens depuis qu’ils sont rentrés dans leur région dévastée.

Silencieuse d’un coup, très pensive mon interlocutrice, dont les souvenirs remontent à la surface et se bousculent : seul le tic-tac de la pendule dans la pièce.

Oserai-je sortir de ma pochette, une carte rescapée des hasards des transmissions, précieuse carte d’un vieil album de mon arrière-grand-père paternel Jean-Baptiste Adolphe Mercier ?

Une carte du 9 janvier 1925 écrite dans le Diois par cousine Mathilde qui séjournait chez des amis, elle répond à une lettre de vœux et s’excuse pour le retard lié à un rhumatisme du bras qui s’est estompé après une bonne friction. Cette carte est le dernier témoignage de son auteur, dont je perds la trace ensuite, adressée à Barisis dans l’Aisne, elle a plusieurs cachets, car elle a été réexpédiée chez M. Lescouet à Saint-Michel, donc un beau-frère chez qui mon arrière-grand-père devait séjourner à ce moment-là.

Modeste correspondance entre les personnes, modeste souvenir, des séquences en sépia qui défilent dans l’esprit de Mathilde, de son destinataire, de sa collatérale ou descendante et détentrice : exploiter le moindre indice pour sortir de l’opacité du temps, l’espace de quelques minutes.


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Sources 
AD 26 EC Montmeyran et Aouste-sur-Sye
Document familial 

4 commentaires:

  1. J'aime beaucoup ces petits témoignages qui en disent long sur la vie de nos ancêtres.

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  2. Le prénom ne pouvait que m'interpeller ;-)

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  3. Un rdv joliment rédigé, j'ai l'impression de vivre la scène à la lecture... et de sentir l'odeur du café ;)

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  4. C'est un rendez-vous très vivant, tu as bien fait d'aller rendre visite à Mathilde!

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