Brume matinale, d’autant que la veille j’ai abusé du registre paroissial de Barisis aux Bois, terre picarde, et début de rendez-vous ancestral, puisque me parvient l’écho d’une discussion de deux commères.
- Tiens la matrone est passée très tôt ce matin et à toute vitesse !
- Qui a les douleurs de l’enfantement ?
- Peut-être la Marguerite Tellier, elle s’est tant arrondie cette fois !
- La femme d’Antoine Lefort le marchand-chanvrier ? Alors elle est passée par là avec ses premières couches, plus de cinq fois au moins.
- Oui mais tu sais avec les complications ou les instruments de la sage-femme, si l’enfant est trop gros, s’il se présente mal, si la mère faiblit.
Une des femmes se signe, l’autre hausse les épaules d’un air entendu.
Solidarité féminine et souvenirs de parturientes à une époque, où chaque grossesse et enfantement, rime avec inconnu, inquiétude, risque d’issue fatale de la mère et de l’enfant.
AD 02 Barisis BMS 1766 |
Bon, pour me faire expliquer le métier de chanvrier par mon aïeul, il ne faut pas y compter, mais plutôt réciter une prière à Sainte Marguerite la patronne des femmes en couches pour ma très lointaine grand-mère.
Passe une troisième commère, pliée en deux sous le poids d’un fagot, qui crie aux précédentes bavardes : j’ai croisé l’aîné de l’Alexis qui est allé prévenir notre curé pour le baptême.
Planquée dans une étroite venelle entre deux maisons, je frissonne en ce court jour de novembre 1766, où tout devient grisaille, avec une atmosphère humide très pénétrante. Il est tard.
Et dire que les autorités de l’Eglise insistent sur l’ondoiement du nouveau-né à la maison par la sage-femme en cas de péril, pour assurer son salut spirituel, et de prévoir à peine sorti du sein de sa mère son baptême, et par là, le confronter au monde extérieur quel que soit le temps et les distances.
Soudain des bruits de sabots sur la rue empierrée, car un groupe débouche : les silhouettes de trois hommes, deux femmes tenant précieusement deux petits paquets bien emmaillotés, deux gamins et une petiote à la traîne qui pleurniche.
AD 02 Barisis |
En ce 12 novembre 1766, le prêtre officie avec diligence pour introduire dans le monde chrétien deux petits êtres fragiles, tout noter correctement selon les indications du père sur le registre et recueillir les signatures.
Deux garçons jumeaux pour mes ancêtres : l’un prénommé Louis reçoit pour parrain Médard Soyer de Saint-Gobain et Marie Jeanne Prévot une tante maternelle pour marraine.
Le second prénommé Cosme François est tenu sur les fonts baptismaux par Antoine Nicolas Mignot et Marie Jeanne Jonquoy. Je soupçonne le Sieur Mignot être le chirurgien de Deuillet, proche paroisse, dont un fils a été prénommé Cosme ! A-t-il été appelé au chevet de la parturiente en renfort de la sage-femme ?
Le premier jumeau trop faible s’éteint en février 1767.
Le second grandit et se marie en 1787 avec la fille d’un marchand-verrier, mais décède à peine trentenaire.
Invisible Marie Marguerite Tellier en tant qu’accouchée, tu ne peux être présente aux baptêmes de tes enfants à cette époque, huit tout-petits pour sept grossesses, qui seront suivies de trois autres, dont un enfant ondoyé par la sage-femme.
Onze enfants, dont seulement cinq arrivent à l’âge adulte.
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Es-tu résignée comme toutes tes contemporaines face à toutes ces maternités, ces douleurs physiques et morales ? As-tu souhaité un meilleur pour les rameaux solides qui ont poursuivi cette dynastie Lefort à laquelle tu as contribué, avant de rendre ton dernier soupir en 1791 à soixante ans ? Je l’espère lointaine aïeule.
Courageuse Marie Marguerite et un peu moins invisible qui sait,
Toute une vie dans le village de Barisis aux Bois.
Dialogue imaginaire en lien avec mes ancêtres
dans ce Rendez-vous Ancestral mensuel
Retrouver cette famille
Sources
AD 02 BMS Barisis
AD 02 Iconographie
ha les naissances gémellaires ... Souvent les deux nourrissons passaient avant l'heure ... Triste Rendez-vous
RépondreSupprimerBeau RDV , un peu triste , mais comme on dit, c'est la vie !
RépondreSupprimerUn billet très émouvant sur un moment de vie bien trop rencontré pour mes ancêtres...
RépondreSupprimerj'adore le style, je vis avec toi dans le lieu et l'époque
RépondreSupprimerPère de jumelles, je ne peux qu'être touché par cette histoire.
RépondreSupprimerGrossesse gémellaire, naissances à hauts risques
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