samedi 16 mai 2020

Sur le chemin de Charmaix

Eveillée ou en songe, peu importe lorsqu’on remonte le temps pour rencontrer ses ancêtres. Sur le chemin de Charmaix je dois me rendre en ce mois de mai 1858, et en Savoie je suis avec les proches de François-Benjamin Eard et son épouse Marie-Marguerite Long. Cette dernière, après moultes réticences et recommandations, a toléré que trois de ses filles m’accompagnent après avoir exigé que je me dote d’une coiffe d’emprunt. 

Avec moi Marie-Adélaïde récemment mariée, Marie-Rose mon aïeule de 24 printemps, et aussi Marie-Sylvie bien jeunette, toutes quatre comme tout pèlerin, nous allons emprunter à pied le chemin des oratoires jusqu’à la Chapelle de Charmaix. 

- Normalement c’est le 8 septembre que les pèlerins prennent ce chemin pour la procession solennelle, jour de la Nativité de la Vierge : assène l’aînée ! 

Après avoir laissé l’église de l’Assomption, et pris la direction du Pâquier, première chapelle et premier oratoire, je lorgne là-haut la montagne du Charmaix à plusieurs lieues de Modane, vaguement inquiète de l’ascension qui m’attend. 

Modane Le Pâquier - Delcampe
- Comme vous n’avez pas l’habitude, on va prendre notre temps pour monter, formule doctement Marie-Adélaïde. Tout au long du trajet s’élèvent des oratoires, liés au mystère du Rosaire, je vous expliquerai. 

Sentier pierreux, qui zigzague pour tenir compte de la pente, forêt de sapins et de mélèzes aux branches entrelacées, Marie-Rose mon ancêtre me donne le bras lorsque le chemin s’élargit, écarte des branches, tandis que la cadette prend de l’avance. 

L’aînée veille à mon instruction : le 3ème oratoire Botonnier est celui de la Nativité, suivi de ceux du champ des pins, et de l’entrée des bois. Les appellations me plaisent comme Fongelune, l’oratoire dit "du lacet 6" donne l’occasion de nous recueillir et surtout de reprendre souffle et d’admirer le paysage. 

Air doux et pur, odeur des arbres, tapis d’épines parfois ou cailloux-pièges à chevilles… 

Curieuse de l’origine de ce pèlerinage de Charmaix à une des vierges noires savoyardes, je m’entends raconter que les habitants de Modane placèrent d’abord la Vierge, protectrice des dangers de la route et des éléments naturels, dans une anfractuosité du rocher, puis ensuite l’abritèrent en construisant une chapelle. 

Marie-Rose la réservée m’a relaté « que François fils de Pierre Bertrand de Modane éprouva d’une manière particulière la protection bienveillante de Marie. Depuis l’âge de cinq ans jusqu’à douze, époque de sa guérison merveilleuse, il était non seulement boiteux, et ayant les pieds tordus, mais il était tellement faible des jambes qu’il ne pouvait faire un pas sans être appuyé sur deux béquilles. 

Un jour son oncle lui dit d’aller à la montagne du Charmaix et en passant devant la chapelle de Notre-Dame de jeter ses béquilles dans le sanctuaire et les offrir à la Sainte-Vierge et de les garder auprès d’elle, et dès lors sans secours il se dresse, fort et vigoureux, se met à marcher sans peine et va retrouver sa mère dans les champs, il vécut jusqu’à 66 ans. » 

Après une constante montée et marche de près de deux heures, arrivée à hauteur du 13ème oratoire, je suis frappée par un bruit sourd et lointain difficile à définir. Soudain à un brusque détour j’aperçois dans une gorge étroite et profonde une chapelle audacieusement suspendue à la paroi quasi perpendiculaire de la montagne. 

Chapelle du Charmaix  © OT Haute Maurienne-Vanoise 
Muette, figée à découvrir ce site, ce lieu de recueillement avec en soutien Marie-Rose Eard, une aïeule invisible et présente à la fois, comme tant d’autres ombres et feuilles de mon arbre ancestral. 

Le bruit est celui de l’impétueux torrent dont le lit accidenté précipite ses eaux en de nombreuses cascades, un solide pont de pierre comme suspendu à la cime de deux rochers qui servent d’appui permet à notre quatuor de passer sur la rive opposée et d’approcher la chapelle de Notre-Dame de Charmaix incrustée dans le flanc de la montagne. 

Ce modeste édifice comporte une galerie en bois, et une sorte de porche-narthex assez spacieux pour accueillir des pèlerins, l’entrée du sanctuaire est fermée par une grille. Marie-Rose m’invite à pénétrer dans la chapelle dont l’autel est composé de colonnes torses et d’ornements en bois sculptés et dorés. 

- Regarde là sur le piédestal c’est la statue miraculeuse de la Sainte Vierge qui tient notre Sauveur, observe la fine chape dorée et les têtes surmontées de couronnes aussi dorées, me chuchote encore Marie-Rose. 

Ses sœurs m’observent à la dérobée, il faut avouer que je me suis bornée à joindre les mains, ma façon de me concentrer, de me recueillir en quelque sorte. 

Touchante statue de Marie qui est l’œuvre d’un artiste local, de 45 centimètres environ, travaillée dans l’albâtre roche claire et transparente et peinte jusqu’à mi-corps en noir tandis que l’Enfant est entièrement noir. 

Mes « parentes » ne peuvent me révéler ce qui est caché par la chape, me souligner que la Vierge porte l’enfant Jésus sur le bras gauche presque à hauteur d’épaule et que ce dernier tient dans sa main une boule représentant le globe terrestre. 

Elles ne savent peut-être pas que la Vierge, sous cette chape, a le bras droit replié sur sa poitrine et tient un petit miroir à l’énigmatique symbolique : représente-t-il la pureté et la fidélité de l’amour ? Pas si anodine cette statue. 

- Comment sais-tu ? murmure Marie-Rose.

Et si dans ce lieu mystérieux, nos pensées parvenaient jusqu’à nos ancêtres ? 

Dans un site sauvage, où rugit un torrent au fond d’une gorge profonde, après avoir cheminé jusqu’à Charmaix, à la croisée de la généalogie, des croyances, de l’histoire, de l’art … 



Pour aller plus loin
Site du Sanctuaire de Charmaix



3 commentaires:

  1. Superbe promenade, on a l'impression d'y être en lisant le récit.

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  2. RDVAncestral très agréable à lire et on aimerait pouvoir faire le même pèlerinage au bras de nos ancêtres... même si la pente est rude.

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  3. Ce pèlerinage est un ravissement, je suis sûre que tu as eu beaucoup de plaisir à le rendre aussi vivant.

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