samedi 19 février 2022

Une quittance mutuelle

Rendez-vous imaginaire et possible, tant la présence de nos ancêtres dans de vieux papiers, est forte. Deux silhouettes s’éloignent sans un regard sur les sommets dominant ce village de Savoie, le ciel est limpide ce 4 juillet 1726.

Un couple sort d’une maison, est-ce la banche du notaire royal de Modane qui a tant œuvré pour les différentes parties, et aplanit les difficultés ? Elle, rapide coup d’œil à mon égard et s’esquive, des tâches l’attendent ; lui hoche la tête, façon d’exprimer : c’est fait !

Je hèle mes ancêtres Dominique Clappier et son second mari Claude Roche (mes sosas 301 et 300) eux seuls peuvent m’apporter des précisions sur une quittance liée à la succession de feu Etienne Clappier.

Pixabay

Rappelez-vous, en 1718 ledit Etienne s’éteint, laissant des héritiers de ses deux unions, et mon aïeule Dominique seule avec 4 jeunes enfants et la mission de curatrice.

Huit années après, Maître Martin de sa plus belle écriture boucle la délicate succession dans un intitulé fort précis :

« Quittance mutuelle et réciproque d’entre honorables Etienne et Jean Clappier frères, enfants en second lit de feu honorable Etienne Clappier,
   la Pétronille fille en premier lit dudit feu Etienne femme d’Honorable Claude Fontan,
  la Dominique Clappier leur belle-mère femme en premier lit dudit feu Etienne et à présent femme d’honnête Claude Roche de la paroisse de Montrond. »

Cher Claude, là officiellement, vous entrez dans la ligne de vie de « ma » Dominique, arrêtez-moi si je fais une mauvaise interprétation.

Vous êtes le tuteur de votre beau-fils Jean encore mineur à 14 ans et intervenez à ce titre, l’aîné Etienne âgé de 20 ans, mentionné majeur, agit de de son propre chef.

Dans les beaux-enfants de Dominique, issus du premier lit de son vieux barbon, on découvre Joseph, Pierre, Jean-Baptiste tous installés à Turin … ainsi que Charles Bellegarde demeurant en Piémont veuf de leur sœur Marguerite !

Bon les expatriés, quoique c’est le même pays, disons les quatre bourlingueurs ont passé un acte de cession devant notaire à Turin la capitale.

Une fois le papier reçu par Maître Martin, vous cher Claude et « votre » Dominique, ainsi que la dernière belle-fille Pétronille, assistée de son mari originaire d’Allemond en Dauphiné et habitant Modane, ce jour d’été 1726 vous scellez votre accord.

Acquiescement de la main de mon ancêtre Claude feu Balthazard.

En aparté, et pour ceux qui décrochent, seul Etienne et Jean sont de lointains collatéraux, car fils du premier mariage de mon aïeule, qui a été privilégiée par son vieux mari dans son dernier testament.

Donc Etienne et Jean « de leur plein gré, pour eux et leurs ayants droit, pour leur lien de paix et terminer tous leurs différents et procès ont convenu, transigé, et accordé comme suit… ». Cette formulation est fort révélatrice de tensions.

Et là mon cher Claude, j’ai tenté de m’accrocher sur l’aspect financier et dressé un pense-bête, et extirpé de ma poche un papier un peu froissé sur lequel dansent plusieurs chiffres, livres et sols, qui est créancier, qui est débiteur. 

Cliquer pour agrandir 

Là non, mon ancêtre se renfrogne et s’évanouit : on ne parle pas de questions d’argent à n’importe qui, mon rendez-vous ancestral avorte.

Pourtant Claude Roche, vous avez œuvré dans le bâtiment de ville de feu Etienne pour des réparations et des embellissements, il est normal d’en obtenir compensation. Dominique, désormais votre épouse, qui a conservé tous les meubles délaissés par son vieux barbon était en bonne place dans le testament.

Pas rancunière de votre disparition, je prévois de continuer à réveiller les âmes de votre famille.



                                                                                       Retrouver cette famille
                                                                                                 Des actes et des intérêts


N.B. la banche est l'étude du notaire en Savoie
        la cense est une redevance 

Sources
AD73  Modane BMS
AD73 Tabellion Saint-Michel 1726 2C 2771 vue 7 
Geneanet arbre jglisse 

lundi 14 février 2022

Des actes et des intérêts

Sur le thème - les délices des familles recomposées - je vous embarque à nouveau en Savoie avec le clan Clappier. Thadée Clappier mon aïeul mentionné aveugle , juste avant de s’éteindre, a pu donner son consentement au mariage de sa fille cadette Dominique.

En premières noces, mon ancêtre Dominique Clappier épouse le 1er septembre 1704 un dénommé Etienne Clappier, l’acte rédigé par le prêtre de Modane est sommaire, seule la filiation de Dominique y figure et les témoins,

Fort heureusement un contrat de mariage est signé le 7 janvier 1705, donc 4 mois après la cérémonie, le décès de Thadée peut expliquer ce décalage ou les difficultés à s’entendre sur les modalités, ou un autre motif.

Avec le consciencieux notaire, je découvre ce premier mari qualifié d’Honorable Etienne fils de feu Maître Pierre Clappier. Ledit Etienne intervient directement, tandis que ma jeunette Dominique est assistée de sa mère Claudie Romollon veuve, laquelle constitue à sa fille une dot en son nom.



Claudie donne à sa fille sur ses droits maternels et pour son mari : 5 modures (1) de terre à un endroit, et 6 autres modures un peu plus loin.

Elle donne aussi 150 florins en monnaie de Savoie, et sur 50 de ces florins, Etienne Clappier s’oblige à verser la cense (2) à sa belle-mère sa vie durant, et si elle en a besoin, en cas de maladie ou de vieillesse et nécessité urgente, il lui promet de lui rendre les 50 florins sans difficulté. Brave homme cet Etienne ou belle-mère organisée, je vous laisse juge !

Claudie Romollon promet aussi de faire sa fille héritière, et des parts égales aux enfants qu'aura Dominique, et elle verse bien les 150 florins à son nouveau gendre.

Lui, Etienne Clappier, donne 100 florins pour augment à sa moitié, conformément à la coutume, un bref inventaire mentionne 2 assiettes d’étain, des pots, 4 linceuls, et des objets dont les termes m’échappent. Il apporte plusieurs terres, une maison de ville et un logis avec une enseigne « à l’enseigne de Saint-Jean », est-il aubergiste ?

Dans le trossel (3) de la jeune épousée, on trouve une robe de drap blanc de pays ayant son corsage en bon drap, et une autre avec un corsage et des manches de drap violet. Les tissus en couleur sont plus onéreux, aussi je souligne que Dominique a aussi une foudelle de femme de ratine violette (4), et d’autres de cadis violet et rouge (5). La coquette dispose aussi d’une foudelle de soie rouge, de cinq coiffes de soie, et cinq gorgerines de lin avec des dentelles (6).

Plus prosaïques sont les deux serviettes de bonne victuaille, des poches donc de bonne contenance pour conserver des aliments, des pattes de toile grossière ou en lin neuf.

Et puis dans le trossel, et dans cet ordre le notaire énumère : trois anneaux, une bague et une croix d'argent, une paire d'escarpins de drap noir de pays, un coffre de sapin fermant à clef, une cuillère d'étain et une de cuivre.

***

Ainsi parés et équipés, la vie commune démarre. Au fil du temps, Etienne et Dominique accueillent dans leur foyer 6 enfants en 12 ans, ou peut-être 7.

   - Etienne baptisé le 7 mars 1706, le nom de sa mère est omis,
     mais des actes ultérieurs le rattache bien à Dominique Clappier
   - Françoise baptisée le 16 septembre 1707 est décédée le 27 août 1708
   - Jean baptisé le 7 juillet 1710
   - Bernard baptisé le 11 septembre 1712
   - Sébastien né vers 1714

   - Jean-Baptiste baptisé le 23 août 1716

Faut-il affecter au couple, Sébastien baptisé le 21 décembre 1704, s’il est dit fils d’Etienne, la mère est prénommée Marguerite Clappier et non Dominique ? Une erreur sur le prénom de la mère n’est pas exclue, les actes en Savoie ne sont pas rédigés en temps réel, des confusions sur l’identité de la mère se rencontrent. Si je retiens ce petit enfant, cela signifie que le premier mariage de mon ancêtre a été précipité par une future maternité !

Oh, la ligne de vie de ce jeune couple n’est pas un long fleuve tranquille, jeune-jeune, oui pour elle, mais pour Etienne au vu de cailloux semés par des passionnés j'ai comme un doute.


AD 73 1716 Tabellion 

Je n’invente rien, dans un codicille du 26 août 1716, Etienne Clappier époux de Dominique Clappier évoque les 9 enfants tant mâles que filles, dont 3 morts en bas âge, de feu Anne Col du lieu d’Aussois sa première épouse.

Donc mon aïeule née vers 1682 a épousé un vieux barbon qui a 30 ans de plus qu’elle.

Feu Anne Col originaire d’un autre village, est décédée en 1690 à Modane, où elle a eu ses enfants échelonnés entre 1675 et 1689, son mariage aux alentours de 1675 m’oblige à vieillir Etienne né en 1651, et à voir différemment l’union et la vie de mon ancêtre Dominique.

Ce jour de 1716, sain de corps et d’esprit, quoique détenu de maladie corporelle depuis plusieurs jours, ledit Etienne Clappier souligne que les enfants de son premier lit ont hérité de leur mère qui avait 600 florins de dot et 100 florins de son augment.

Il privilégie donc ses enfants mâles Etienne, Jean, Bernard et Sébastien issus de la Dominique a feu Thadée Clappier, et soucieux de la jeunesse de ses enfants souhaite que leur mère soit désignée tutrice par le Juge-Mage de Maurienne, le moment venu (7), et qu’elle s’acquitte avec probité de cette charge.

D’autres passages de cet acte rédigé par le notaire royal, j’ai repéré qu’Etienne a emprunté 50 florins à sa belle-sœur Marie Clappier et qu’il a exigé et reçu les droits dotaux de Dominique son actuelle épouse, soit 50 florins. Ce n’est pas simple de défendre ses intérêts…

AD 73 1718 Tabellion 

Etienne époux de Dominique a vaincu ce cap difficile, et un autre jour, pris la route pour le proche village d’Aussois et, alors âgé de 67 ans et en parfaite santé, confie ses desiderata à un autre notaire Maître Girard.

Dans le testament du 12 septembre 1718, de son bon gré et volonté, le testateur donne et lègue par institution particulière à Joseph, Jean-Baptiste, Jean-Pierre, Marguerite et Pernette ses enfants du premier lit à chacun la somme de 6 livres. Ce choix limité tient au fait « qu’il n’a reçu aucun soulagement desdits enfants dans la nécessité de la vieillesse et maladie. »

De même il donne et lègue pour institution particulière à Etienne, Jean, Bernard et Sébastien ses enfants du second lit la somme de 6 livres (8) et les réduit aussi à ses droits légitimes. A tous les autres prétendants de son hoirie Etienne donne et lègue la somme de 3 sols.

Enfin et surtout il désigne héritière universelle sa seconde femme Dominique Clappier mon ancêtre, « laissant ses biens à la connaissance de notre Sainte-Mère l’Eglise (sic), cassant, et annulant tous les autres testaments et codicilles ».

Ouf, me dites-vous ! mais avec les délices des familles recomposées, les mentalités ou comportements.

Ledit Etienne s’éteint 2 mois après ses dernières dispositions testamentaires le 19 novembre 1718 à Modane.

Voilà mon aïeule Dominique Clappier veuve, avec 4 jeunes enfants sur les bras, et une succession à gérer en lien avec ses beaux-enfants qui s’annonce difficile, vu l’esprit chicaneur de chacun s’agissant d’intérêts. 

Rendez-vous au prochain billet pour retrouver le clan Clappier …


N.B. Qui dit intérêts, dit questions d'argent, et donc ces lignes correspondent au Généathème de rattrapage de décembre dernier suggéré par Geneatech, certes avec un décalage. 


Glossaire
(1) la modure est une mesure de surface en Savoie
(2) la cense est une taxe sur des terres, moulins, fours etc 
(3) le trossel correspond aux vêtements de la mariée
(4) la foudelle est un tablier et la ratine une étoffe de laine épaisse cardée
(5) le cadis est une étoffe de laine grossière et solide
(6) la gorgerine semble être un fichu noué sur le haut du corsage
(7) le Juge-Mage intervient pour les tutelles et les émancipations
(8) avec l'Edit du 17 février 1717, la Cour de Turin unifie les monnaies de compte utilisées dans ses Etats, Elle supprime l'ancien florin de Savoie pour aligner la nouvelle livre de Savoie sur celle du Piémont. Dans les faits les deux monnaies vont coexister, ce que révèle le testament de 1718. 


Sources
Image extrait tableau d'un anonyme les compteurs d'argent MBA Nancy
AD 73 Modane BMS 
AD 73 Tabellion St-Michel 1705 - 2C 2748 vue 44
            Tabellion St-Michel 1716 - 2C 2759 vue 240
            Tabellion Termignon 1718 - 2C 2341 vue 364
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