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samedi 23 mars 2024

Un acte d'hiverne

Le ciel est bleu, l’herbe verte, mais pas toute l’année, mon ancêtre Jean Vernier feu Hugues est préoccupé et me fournit une archive insolite pile poil dans le généathème de mars de l’association Geneatech.

Direction la belle Maurienne en Savoie et le village de Montvernier au début octobre de l’an de grâce 1701, Jean Vernier manque de place dans son étable pour une de ses vaches, soucieux du bien-être animal et de son capital, il veut lui trouver un hébergement pour l’hiver.


Jean Vernier a barjaqué, enfin causé avec un dénommé Pierre Durieu feu Michel qui dispose de place pour la vache, et lui jure qu’il fera tout comme pour les siennes et lui propose de toper dans la main en guise d’acquiescement.

Mais mon ancêtre Jean Vernier, tatillon et prudent, préfère que l’affaire soit conclue devant le notaire avec un acte d’hiverne.

« Acte d’hiverne pour honnête Pierre feu Michel Durieu l’an mille sept cent et un le second octobre par devant moi Notaire ducal soussigné, et présents ci-après nommés et personnellement établis

honnête Pierre feu Michel Durieu de Montvernier lequel de son gré pour lui et les siens, déclare et confesse tenir, et promet tenir à honnête Jean feu Hughes Vernier dudit lieu présent et acceptant pour lui et les siens, savoir une vache poil rouge d’environ trois ou quatre veaux en hiverne

et icelle promet de nourrir pendant tout l’hiver jusqu’à la Saint Claude prochaine comme les siennes propres

et icelle promet rendre audit Vernier à la Saint Claude en bon état.. »

Maître Bonivard ajoute des formules de réserve pour les impondérables, et recueille entre ses mains les serments des deux parties à l’acte d’hiverne. Non mais c’est sérieux tout cela, deux témoins sont présents bien sûr.

Jean Vernier mon aïeul est rassuré sa vache rouge passera la mauvaise saison dans un lieu propice sous bonne garde jusqu’au 6 juin en principe. La terminologie « vache de trois ou quatre veaux » donne une indication de l’âge de la bête, 4 ou 5 ans a minima. 

La généalogie, les archives et la vie montagnarde avec ses us et coutumes. 




Source 
AD 73 Tabellion Saint Jean de Maurienne
1701 2C 2446 vue 466

samedi 16 mars 2024

Les pépites d'un partage

Là dans l’hiver, ils ont décidé de régler cette histoire de partage, allées et venues entre maisons, hommes qui se déplacent et lorgnent le bâti, gestes des bras et hochements de tête approuvant ou déniant, tant des intéressés que des intermédiaires.

Bref le rendez-vous ancestral se déroule à Montvernier en Savoie le 27 février 1708, en présence du précieux notaire local Louis Dupré, l’acte de partage est à la fois une chronique généalogique et une tranche de vie,



Dès le préambule mes yeux papillonnent « étant ainsi que par les partages verbaux entre feu Révérend Messire Rémy Vernier, Jean Vernier et François Vernier et feu Philippe Vernier tous frères et enfants de feu Hugues Vernier, et encore François feu Jean Cosme Vernier fils audit feu Hugues Vernier… »

Apportée su plateau, voilà une fratrie de cinq frères, tous fils de feu Hugues Vernier, dûment estampillée par le notaire.

Notre ancêtre Jean Vernier est bien entouré, dans ce partage il intervient pour le compte de son fils Rémy déjà marié, face à son neveu François Vernier feu Jean Cosme, tous deux sont cohéritiers de leur frère ou oncle Révérend Messire Rémy Vernier.

Le notaire souligne « qu’il reste encore à partager les bâtiments de feu Rémy Humille avec le jardin devant lesdits bâtiments. » Tiens voilà encore un Rémy, à situer dans l’arbre généalogique.



- Oui confirme Jean Vernier, il me revient le quart pour mon fils, et les trois-quarts concernent mon neveu François.

Mine interrogative de Maître Dupré, donc avec l’entremise d’amis communs vous avez négocié ce partage, précisez moi bien ce que vous avez convenu. Je vous écoute afin de formaliser l’acte.

- Oh pour moi, énonce Jean notre ancêtre, me revient le grenier de pierre et son serre-tout qui jouxte ma grange. Puis au-dessus du plancher de ce grenier de pierre, le grenier de bois revient à mon neveu, car il fait partie de sa grange.

- Oui, oui opine ledit François neveu.

- Ensuite, ajoute notre aïeul Jean, pour le jardin me reviennent trente toises selon les bornes mises du côté de mon pré, le reste de jardin est pour François. La haie au-dessus du jardin m’appartient.

- Là François souligne que son oncle ne peut pas planter de noyer et qu’ils ont décidé de limiter la hauteur des haies à quatre pieds.

De plus j’ai droit à la moitié des fruits d’un poirier qui est à la tête du jardin sur la part de Jean mon oncle, qui ne doit pas couper les branches tant qu’il y a des fruits.

Sourcil relevé du notaire, sa patience diminue-t-elle ?

- Faut inscrire, ajoute Jean notre ancêtre, « moi et les miens conservons toujours le passage libre par devant les bâtiments pour s’en servir comme bon lui semble, et comme par le passé les ruelles demeurent communes. »

Régler les droits de passage j’adhère, mais je m’étonne face à l’exigence de Jean de laisser pendant sa vie une cuve qu’il a dans le serre-tout de son neveu.

- Ledit François n’est pas en reste, car il tient à pouvoir bâtir sur le grenier de pierre de son oncle « sans poser des emportes sur les angles des murailles dudit grenier pour faire voûte, si bon lui semble, sans qu’il puisse néanmoins endommager le couvert de la grange dudit Jean. »

Sacrebleu qui est le plus tatillon, et le plus exigeant ?

Bon ce n’est pas tout, les biens partagés s’avèrent de valeurs inégales, au détriment de notre ancêtre, François pour sa soulte donne à son oncle sa part d’un pré situé à La Bachillière qui vient de l'aïeul Hugues.

Ouf, les modalités du partage sont bouclées, la plume du notaire court encore un bon moment pour noter cette chronique familiale et patrimoniale.

François Vernier le neveu, chez qui l’acte est passé, sait signer contrairement à Jean Vernier notre ancêtre. Cette scène villageoise, outre le patient notaire, s’est déroulée en présence des témoins et amis communs Michel Humille Gonnet et Joseph feu Antoine Dussuel.

Pas si anodin ce partage qui fourmille de pépites, donne un indice avec Révérend Messire le frère et oncle : un prêtre vu la qualité déclinée, celui dont les livres à connotation religieuse figurent dans le surprenant inventaire de son neveu Rémy. 

 


Retrouver cette famille

Qui êtes-vous Jean Vernier

Le temps des épreuves

Un surprenant inventaire

En la salle capitulaire 

Révérend Rémy Vernier chanoine 



N.B. le serre-tout est une pièce de débarras


Sources

AD73 Tabellion Saint Jean de Maurienne 

1708 2C 2460 vue 126

Relevé GénéMaurienne

Généanet arbre pseudo lepontin

et arbre pseudo montvernier 

 



vendredi 8 mars 2024

Un surprenant inventaire

En quarante-huit heures Dominique Humille notre aïeule s’est retrouvée veuve de Rémy Vernier feu Jean, et désignée tutrice de trois garçons, il lui reste encore à subir l’épreuve d’un loyal inventaire.

Pour tout généalogiste, l’inventaire après décès est un acte notarié particulier, un temps suspendu où on pénètre en catimini dans la maison de ses ancêtres, découvre la configuration des lieux, les meubles et objets du quotidien, les immeubles, voire les dettes ou les créances.

Là-haut à Montvernier en Savoie, le 11 juin 1725, débarque Maître Dupré à sept heures du matin en la maison des hoirs de Rémy Vernier, dûment muni d’encre, de plusieurs plumes d’oie et de feuilles de papier. L’inventaire détaillé se poursuit le lendemain et comporte quatorze pages et demie du minutaire notarial, feuillets dépassant le format A4 contemporain et flirtant avec le format A3. 


Le notaire royal collégié rappelle en préambule que l’inventaire après décès est effectué au bénéfice des enfants mâles mineurs et pupilles Michel âgé de quatorze ans, Joseph âgé de douze ans, et Dominique âgé de huit ans (mon ancêtre).

La mère désormais tutrice déclare ne rien cacher et dire tout ce qui est vrai.

Maître Louis Dupré cite trois témoins tous honorables :
- Jean feu François Tronel
- Joseph feu Jean Louis Deschamps (bonjour lointain grand-père)
- Jacques feu Jean Louis Roux.

De même, il intervient avec l’assistance des plus proches agnats et affins tous honorables ;
- Joseph feu Michel Humille oncle maternel
- Pierre fils de feu Philippe Vernier cousin germain
-Jacques et Pierre frères enfants de feu Michel Durieu cousins germains dudit feu Rémy.

Excellente idée de préciser les parentés et précieux indices qui vont permettre d’avancer dans mon arbre.

La visite commence dans la cuisine avec pour mobilier
- un buffet à deux portes de bois blanc tout à fait usé,
- une tablette de noyer avec ses montants de bois blanc et un tiroir, le tout de peu de valeur,
- deux bancs de bois blanc de peu de valeur
- une arche de fayard contenant environ 30 quartes (un coffre)
- une forme de lit de bois blanc,
- deux petits chenets de fer et un petit soufflet,
- une crémaillère à trois jambes et sept boucles.

Côté déco : un petit bénitier en étain commun et un chandelier en laiton, ainsi que deux lampes.

Pour préparer les repas et s’alimenter :
- une poêle à feu et deux poêles à frire,
- un grand mortier de pierre,
- deux poches dont une percée de fer (louche)
- un seau de bois à tenir l'eau et son bassin assez bon,
- un bronzin de cuivre, et un bronzin de métal,
- deux chaudrons, et deux marmites ont une avec son couvercle,
- deux pots à feu de métal,
- neuf plats d'étain commun et huit assiettes,
- trois salières d'étain, deux pots d'étain, huit colliers d'étain,
- huit tranchants, huit écuelles de bois et un couteau,
- un faissellier et une faisselle, deux pots de terre à tenir le beurre.

Mais encore des objets divers :
- un récipient de bois blanc contenant environ 24 quartes,
- deux petits achons et un gros,
- une caisse assez bonne de cuir,
- deux paires de cordes et un filet,
- une faux, deux faucilles, et une pelle assez bonne,
- un petit joug avec ses courroies et un joug collé ferré,
- un van et un crible. et aussi un marteau. 

 © Photos Musée Savoisien

Sur les talons du méticuleux notaire, l’inventaire se poursuit dans la pièce dite le poêle en Maurienne avec pour mobilier :
- une grande table de noyer avec son montant de bois blanc,
- un banc de bois blanc,
- une chaise rapetassée et tout à fait usée et quatre sièges de noyer,
- une forme de lit de bois blanc,
- une garde-robe de noyer à quatre portes et deux tiroirs, lesdites portes fermant à clef,
- trois coffres en bois blanc fermant à clé de différentes contenances dont un appartient à la veuve Dominique Humille.

Côté objets, j’ai sourcillé sur :
- un tableau sans cadre à l'effigie de Saint Rémy,
- un poids à peser l'or et l'argent, et un compas,
- une marque de famille : objet pour apposer une initiale ou un sigle sur les bêtes qui partent à l’alpage,
- un « baptisé » qui est en indivis entre tous les consorts Vernier, linge qui entoure le nouveau-né conduit à l’église pour son baptême.

Morceaux choisis du linge des coffres :
- deux nappes de toile ciré usées,
- deux nappes à grain d'orge mi-usées,
- deux pendants de lit mi-usés, et une vieille couverte de Catalogne,
- dix chemises du défunt mi-usées,
- douze draps de lits assez bon, dont sept appartenant à la veuve,
- quatre draps de couture neuf ou assez bon,
- sept serviettes et trois nappes assez bon.

Des espèces à savoir : trente-huit livres en argent de différentes monnaies provenant de la vente de froment et c'est pour servir au paiement des différentes tailles et usages de la maison.

***

Ensuite le notaire grimpe à l’étage et entre dans une chambre au-dessus du poêle, il repère deux coffres fermant à clé en bois blanc et en noyer. De même il répertorie des mesures de plusieurs contenances réservées soit au froment et au seigle, soit à la laine.

Puis dans les caves, Maître Dupré note un mauvais bachat à tenir du fromage (seau), un entonnoir pour baril, énumère des tonneaux et des barils de différentes contenances, avec deux ou un grand cercle, de peu de valeur. Il fatigue et je me déconcentre un tantinet.

Enfin à l’étable se trouvent :
une mule âgée d'environ deux ans, un bœuf, un petit bœuf, une vache d'environ huit veaux, une génisse d'une année, une chèvre et deux brebis.

***

Fin du premier acte pour la docte assemblée, et début de second acte avec l’inventaire des biens immeubles poursuivit courageusement par le notaire :

Donc à Montvernier, la famille de Rémy Vernier notre ancêtre habite au lieu-dit La Place dans un bâtiment consistant en la cuisine, le poêle et une chambre au-dessus, un galetas, avec deux caves, et au-dessous de la maison : un jardin et un peu de verger, une grange et une étable, tout cela au chef-lieu de la paroisse.

Tant au levant qu’au couchant, sont précisés les noms des propriétaires riverains.

Côté bâti plus haut, à Montbrunal au lieu-dit Mollaret, Rémy Vernier possède une grange et étable et sa part d'une maison, le tout tombant en ruine.

 

.***


Avec encore un peu de force, le notaire se lance dans l’énumération des terrains, et recense des parcelles de vignes mesurées en toises, avec chaque fois la précision des propriétaires riverains. A priori une bonne douzaine de parcelles dans les hoirs de feu Rémy Vernier notre ancêtre.

Ne soyez pas étonnés de la présence de vignes, bien qu’en altitude la paroisse est bien exposée.

Là se termine une dure journée.

Le lendemain dès six heures cette fois, en présence de la même équipe, Maître Dupré démarre, frais et dispos, la litanie des parcelles de terrain, trois quartellées par-ci, quatre quartellées par-là, confinée par etc etc etc  …. Il noircit plusieurs pages, comment fait-il pour se souvenir de tous ces terrains, aidé par les témoins et les membres de la famille certes.

A ce stade j’ai décroché, malgré tout l’intérêt que je porte à cette branche d’ancêtres, et faute d’avoir un stagiaire sous la main à faire trimer pour un beau tableau, vous échappez à l’ultime énumération.  

Rassurez-vous l’inventaire a été bouclé avec les formules adéquates et les signatures de ceux qui peuvent apposer leur griffe. Dominique Humille la veuve est soulagée de cette longue et pénible formalité, rejointe par ses trois fils, elle va assumer le quotidien. 


Cela vous dit deux bonus tirés des coffres : une friandise (enfin pour les généalogistes) et une énigme ?

D'un un coffre a été extrait un sac de titres contenant les actes notariés passés par Rémy Vernier ou son père Jean Vernier, pas moins de quarante-deux cottets, énumérés et cités dans le détail par notre professionnel notaire. Logiquement d’autres pans de vie devraient pouvoir être dévoilés.

Dans un autre coffre était planquée toute une bibliothèque, vingt-deux livres au total, je suis restée bouche bée à la lecture des titres édifiants. Juste un extrait et vous laisse méditer :
- le guide du pécheur,
- un antiphonaire,
- le catéchisme du Concile de Trente,
- le notaire parfait.

Dois-je me noyer un peu plus dans les registres du Tabellion pour éclaircir éventuellement certains mystères ? 
En attendant je m'esquive sur la pointe des pieds. 


A suivre 

Retrouver cette famille 


N.B
Un agnat est issu d'une même souche masculine
Un affin est un parent par alliance 
La toise est une mesure de longueur
La quartellée est une mesure de surface
Le grain d'orge est une étoffe croisée avec un dessin imitant le grain d'orge 
Le cottet est une numérotation utilisée en Savoie pour lister les actes notariés 

Source 
AD 73 Tabellion Saint-Jean de Maurienne 1725 
2C 2495 f 511 vue 558/586 et Relevé GénéMaurienne