Pour tout généalogiste, l’inventaire après décès est un acte notarié particulier, un temps suspendu où on pénètre en catimini dans la maison de ses ancêtres, découvre la configuration des lieux, les meubles et objets du quotidien, les immeubles, voire les dettes ou les créances.
Là-haut à Montvernier en Savoie, le 11 juin 1725, débarque Maître Dupré à sept heures du matin en la maison des hoirs de Rémy Vernier, dûment muni d’encre, de plusieurs plumes d’oie et de feuilles de papier. L’inventaire détaillé se poursuit le lendemain et comporte quatorze pages et demie du minutaire notarial, feuillets dépassant le format A4 contemporain et flirtant avec le format A3.
Le notaire royal collégié rappelle en préambule que l’inventaire après décès est effectué au bénéfice des enfants mâles mineurs et pupilles Michel âgé de quatorze ans, Joseph âgé de douze ans, et Dominique âgé de huit ans (mon ancêtre).
La mère désormais tutrice déclare ne rien cacher et dire tout ce qui est vrai.
Maître Louis Dupré cite trois témoins tous honorables :
- Jean feu François Tronel
- Joseph feu Jean Louis Deschamps (bonjour lointain grand-père)
- Jacques feu Jean Louis Roux.
De même, il intervient avec l’assistance des plus proches agnats et affins tous honorables ;
- Joseph feu Michel Humille oncle maternel
- Pierre fils de feu Philippe Vernier cousin germain
-Jacques et Pierre frères enfants de feu Michel Durieu cousins germains dudit feu Rémy.
Excellente idée de préciser les parentés et précieux indices qui vont permettre d’avancer dans mon arbre.
La visite commence dans la cuisine avec pour mobilier
- un buffet à deux portes de bois blanc tout à fait usé,
- une tablette de noyer avec ses montants de bois blanc et un tiroir, le tout de peu de valeur,
- deux bancs de bois blanc de peu de valeur
- une arche de fayard contenant environ 30 quartes (un coffre)
- une forme de lit de bois blanc,
- deux petits chenets de fer et un petit soufflet,
- une crémaillère à trois jambes et sept boucles.
Côté déco : un petit bénitier en étain commun et un chandelier en laiton, ainsi que deux lampes.
Pour préparer les repas et s’alimenter :
- une poêle à feu et deux poêles à frire,
- un grand mortier de pierre,
- deux poches dont une percée de fer (louche)
- un seau de bois à tenir l'eau et son bassin assez bon,
- un bronzin de cuivre, et un bronzin de métal,
- deux chaudrons, et deux marmites ont une avec son couvercle,
- deux pots à feu de métal,
- neuf plats d'étain commun et huit assiettes,
- trois salières d'étain, deux pots d'étain, huit colliers d'étain,
- huit tranchants, huit écuelles de bois et un couteau,
- un faissellier et une faisselle, deux pots de terre à tenir le beurre.
Mais encore des objets divers :
- un récipient de bois blanc contenant environ 24 quartes,
- deux petits achons et un gros,
- une caisse assez bonne de cuir,
- deux paires de cordes et un filet,
- une faux, deux faucilles, et une pelle assez bonne,
- un petit joug avec ses courroies et un joug collé ferré,
- un van et un crible. et aussi un marteau.
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© Photos Musée Savoisien |
Sur les talons du méticuleux notaire, l’inventaire se poursuit dans la pièce dite le poêle en Maurienne avec pour mobilier :
- une grande table de noyer avec son montant de bois blanc,
- un banc de bois blanc,
- une chaise rapetassée et tout à fait usée et quatre sièges de noyer,
- une forme de lit de bois blanc,
- une garde-robe de noyer à quatre portes et deux tiroirs, lesdites portes fermant à clef,
- trois coffres en bois blanc fermant à clé de différentes contenances dont un appartient à la veuve Dominique Humille.
Côté objets, j’ai sourcillé sur :
- un tableau sans cadre à l'effigie de Saint Rémy,
- un poids à peser l'or et l'argent, et un compas,
- une marque de famille : objet pour apposer une initiale ou un sigle sur les bêtes qui partent à l’alpage,
- un « baptisé » qui est en indivis entre tous les consorts Vernier, linge qui entoure le nouveau-né conduit à l’église pour son baptême.
Morceaux choisis du linge des coffres :
- deux nappes de toile ciré usées,
- deux nappes à grain d'orge mi-usées,
- deux pendants de lit mi-usés, et une vieille couverte de Catalogne,
- dix chemises du défunt mi-usées,
- douze draps de lits assez bon, dont sept appartenant à la veuve,
- quatre draps de couture neuf ou assez bon,
- sept serviettes et trois nappes assez bon.
Des espèces à savoir : trente-huit livres en argent de différentes monnaies provenant de la vente de froment et c'est pour servir au paiement des différentes tailles et usages de la maison.
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Ensuite le notaire grimpe à l’étage et entre dans une chambre au-dessus du poêle, il repère deux coffres fermant à clé en bois blanc et en noyer. De même il répertorie des mesures de plusieurs contenances réservées soit au froment et au seigle, soit à la laine.
Puis dans les caves, Maître Dupré note un mauvais bachat à tenir du fromage (seau), un entonnoir pour baril, énumère des tonneaux et des barils de différentes contenances, avec deux ou un grand cercle, de peu de valeur. Il fatigue et je me déconcentre un tantinet.
Enfin à l’étable se trouvent :
une mule âgée d'environ deux ans, un bœuf, un petit bœuf, une vache d'environ huit veaux, une génisse d'une année, une chèvre et deux brebis.
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Fin du premier acte pour la docte assemblée, et début de second acte avec l’inventaire des biens immeubles poursuivit courageusement par le notaire :
Donc à Montvernier, la famille de Rémy Vernier notre ancêtre habite au lieu-dit La Place dans un bâtiment consistant en la cuisine, le poêle et une chambre au-dessus, un galetas, avec deux caves, et au-dessous de la maison : un jardin et un peu de verger, une grange et une étable, tout cela au chef-lieu de la paroisse.
Tant au levant qu’au couchant, sont précisés les noms des propriétaires riverains.
Côté bâti plus haut, à Montbrunal au lieu-dit Mollaret, Rémy Vernier possède une grange et étable et sa part d'une maison, le tout tombant en ruine.
Avec encore un peu de force, le notaire se lance dans l’énumération des terrains, et recense des parcelles de vignes mesurées en toises, avec chaque fois la précision des propriétaires riverains. A priori une bonne douzaine de parcelles dans les hoirs de feu Rémy Vernier notre ancêtre.
Ne soyez pas étonnés de la présence de vignes, bien qu’en altitude la paroisse est bien exposée.
Là se termine une dure journée.
Rassurez-vous l’inventaire a été bouclé avec les formules adéquates et les signatures de ceux qui peuvent apposer leur griffe. Dominique Humille la veuve est soulagée de cette longue et pénible formalité, rejointe par ses trois fils, elle va assumer le quotidien.
Cela vous dit deux bonus tirés des coffres : une friandise (enfin pour les généalogistes) et une énigme ?
- le notaire parfait.
Dois-je me noyer un peu plus dans les registres du Tabellion pour éclaircir éventuellement certains mystères ?
Le cottet est une numérotation utilisée en Savoie pour lister les actes notariés