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samedi 20 juin 2020

Prix fait pour un mulet

Abandonner le registre des yeux, porter mon regard ailleurs, trouver le ciel, des montagnes, reconnaître les rochers de l’Esseillon – sans leurs forts – me voilà donc en Maurienne terre de Savoie. Air vif et tonifiant avec l’altitude. 

Entre les mains en guise de pense-bête, un extrait d’un acte de notaire qui fut enregistré en 1699 par le tabellion : destination de mon rendez-vous ancestral de ce mois dans le village du Bourget. 

Paroisse accrochée à la pente, chemin avec une descente à je ne sais quel pourcentage, je me retrouve vêtue de tons bruns et écru à la mode du temps, accostée par un autochtone. Quasi obligée de révéler que je cherche la maison du notaire du lieu Maître Geoffrey Magistri un de mes ancêtres. 

Je vous conduis mais il a du monde en ce moment dans sa banche, il travaille. 

L’homme me laisse sur le porche, était-il Dominique Parmier le bâtier mon aïeul ? 
Quelqu’un me pousse à l’intérieur. 



« L’an mille six cent nonante neuf et le vingt-quatre octobre par devant moi notaire et témoins en fin nommés s’est établi en personne honnête Jean-François Charvoz feu Jean-Baptiste du Bourget lequel de son plein gré pour lui et les siens confesse, promet devoir payer à honnête François Charvoz feu Barthélemy ici présent et acceptant pour lui et les siens, la somme de deux cent soixante florins monnaie de Savoie et c’est pour le prix non payé de la vente d’un mulet poil rubis. » 

Après avoir ouï ce préambule d’une obligation en faveur de François Charvoz, le notaire royal et collègié, Me Magistri note que Jean-François Charvoz le débiteur confesse et promet de payer le tiers de la somme dans 6 mois, l’autre tiers 4 mois après le premier terme, et le dernier tiers 4 mois après le second terme. 

Tiens donc un paiement échelonné sur plus d’une année, dont le premier versement débute un semestre après la vente de l’animal, un achat à crédit avec un aménagement dans le temps. Pour une bête résistante au poids du bât et de sa charge, il est plausible que ce prix soit justifié. 

« A peine de tous dépens, dommages et intérêts » ajoute le notaire étant entendu que les parties s’engagent pour leur personne et leurs biens présents et à venir jusqu'au complet paiement. Ah, les formules locales et ancestrales. Il me faudrait un petit stage. 

Me Magistri invite les parties à signer ainsi que les deux témoins Jean Bremond son gendre et Jean Magistri un parent sûrement. Voilà l’affaire est conclue, enfin tout est notifié pour que la vente se déroule dans les meilleures conditions. 

Soudain les protagonistes s’ébranlent et des regards pointent sur ma modeste personne tapie sur le chambranle de la porte. 

C’est à quel sujet m’interpelle mon aïeul le notaire ? 

Hésitant à postuler pour une tâche de secrétariat qui me permettrait de lorgner dans les paperasses de Me Magistri, je réponds platement vouloir être conseillée pour un testament. 

Vous comprendrez à ce stade que nos propos restent privés.


  En lien avec le sujet le savoir-faire du bâtier

Nota bene 
- La banche est l'appellation de l'étude du notaire jusqu'au 18ème siècle, qui rappelle le banc ou l'étal des marchands  
- le notaire collègié a fait des études dans un collège de droit 
- En 1694 un florin représente une journée de travail, d'un ouvrier ou d'un artisan a priori

Source 
AD 73 Tabellion Termignon 1699 2C 2321 vue 471


7 commentaires:

  1. Haha j'adore la chute! Un petit moment de vie bien typique en effet, c'est fou tous les cas que voyaient passer les notaires.

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  2. A bien y réfléchir, l'investissement pour un mulet devait être le même que l'on ferait aujourd'hui pour une voiture. Sa valeur était importante effectivement à l'époque.

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  3. Ah le tabellion savoisien, quelle richesse ! Mais si c'était à crédit, il ne fallait pas que l'animal, même résistant, ne tombât malade !

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  4. Un "mulet poil rubis" ! J'adore le style de ce texte.

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  5. Que ces renseignements sont précieux pour bien comprendre la vie de nos si lointains ancêtres.

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  6. Des tâches de secrétariat à l'Etude d'un notaire de cette époque ? une mine d'or sans fin :)

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  7. Moi aussi, j'aime beaucoup la chute de ton histoire ! Quelle chance, ce serait de se faire embaucher dans une étude notariale au XVIIe siècle !

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