Sur le thème je suis un homme et veux être autonome et les natifs de Fontcouverte ont du caractère, je vous embarque sur le sujet de l’émancipation en Savoie au 18ème siècle, ses subtiles formalités et son cérémonial quasi- moyenâgeux, avec de lointains collatéraux de ma généalogie.
Les protagonistes principaux : Jean-Baptiste Sibué - le père - la bonne cinquantaine, laboureur demeurant à Fontcouverte et Jean-Pierre Sibué - le fils – âgé de 34 ans et marié qui est installé depuis plusieurs années à la grande rue de la ville de Saint-Jean de Maurienne où il a des affaires.
Le fiston semble-t-il a souvent prié et supplié son père de bien vouloir l’émanciper et le mettre hors de ses biens et puissance paternelle, afin de disposer de ses épargnes et pouvoir plus facilement gérer son commerce. Le patriarche de guerre lasse a déposé une requête en ce sens.
Là entrent en jeu, les autres intervenants, et pas les moindres, Monsieur Brunet Juge-Mage de la province de Maurienne flanqué de Maître Jean-Antoine Viallet Notaire et Greffier.
Imaginer sur le coup de six heures du soir, le 9 décembre 1782, les doctes Brunet et Viallet, requis par les sieurs Sibué, et devant se transporter dans la maison d’habitation de Jean-Pierre le fiston qui se trouve alité à cause de sérieuse maladie, le père lui il doit avoir la santé !
Le Juge-Mage enregistre que Jean-Baptiste Sibué veut bien accorder – dans le sens d’acquiescer à la supplique de son rejeton, sauf qu’il entend ne point se départir, mais au contraire se réserver, tous les fruits des biens de l’Antoinette Buisson-Carles sa feue femme et mère dudit Jean-Pierre. Magnanime le père condescend à relâcher son fiston pour tous les biens meubles et immeubles qu’il a acquis depuis qu’il est séparé d’avec lui.
Monsieur Brunet Juge-Mage adhérant à ces propositions :
« fait asseoir, sur une chaise à côté de nous ledit Jean-Baptiste Sibué, son chapeau sur la tête, ledit Jean-Pierre Sibué, le fils s’était remué comme il a pu de son lit, se mettant devant son dit père,
avant icellui les mains jointes entre celles de son dit père, qui les lui a ouvertes et fermées par trois différentes fois, en lui disant à chaque fois :
« Mon fils, je vous émancipe et vous mets hors de mes liens et puissance paternelle » avec pouvoir qu’il lui a donné de tester, contracter, ester en jugement et de faire tous les actes et contrats que peuvent faire les personnes libres et dûment émancipées, de quoi ledit Jean-Pierre Sibué a remercié son dit père en nous requérant acte par lequel il nous plût de le déclarer libre et émancipé.»
Dès lors il ne restait plus à l’autorité judiciaire qu’à valider cet acte d’émancipation en le signant, à recueillir le contreseing du notaire qui avait aussi pour mission de l’insinuer à l’office du Tabellion de Saint-Jean de Maurienne après avoir récupéré trois livres auprès du nouvel émancipé.
Ce petit article déniché sur Gallica souligne la gestuelle symbolique de l’acte d’émancipation en pays de droit écrit sous l’influence du droit romain (et non pas seulement propre à la Savoie).
Avant le décès du père c’est le seul acte qui permet à l’enfant quelque soit son âge de s’affranchir de la puissance paternelle et d’obtenir la pleine capacité juridique. Les gestes entre le père et son fils sont tout autant importants que les phrases échangées et symbolisent la rupture du devoir d’obéissance, la fin de la soumission à son ascendant.
Dans le lien vers un article d’Histoire-Généalogie sur l’émancipation, ICI l’exemple cité pour la Drôme révèle que les fils doivent se mettre à deux genoux devant leur père également assis sur une chaise.
Au cours de vos lectures ou recherches avez-vous eu connaissance de ce type d’acte ou avez-vous des ancêtres ou collatéraux émancipés ?
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Sources
Gallica Revue Société d’Histoire et d’Archéologie de la Maurienne
Généanet
Image Théodore Géricault Musée de Bayonne
Pour aller plus loin
Un article fort intéressant ! Je ne connaissais pas le déroulement et tout le "cérémonial" de l'émancipation! Merci pour la découverte !
RépondreSupprimerMerci Fanny pour cet article ! De mon côté je n'ai croisé qu'une fois un acte d'émancipation, il concerne mon fameux huguenot Salomon PROVENSAL dans la Drôme.
RépondreSupprimerMerci pour la découverte ! :)
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