En ce début d’automne 1702, un doux soleil éclaire Montpascal village d’alpage à 1400 mètres d’altitude en Savoie. Cette lumière ne peut cependant consoler la douleur d’une famille d’avoir vu partir si vite André Durieu-Trolliet -sosa 1534- tout juste la cinquantaine.
Jeanne Montaz-Rosset -sosa 1535- sa veuve frisonne malgré un bon châle jeté sur ses épaules, elle a veillé à ajuster correctement sa coiffe, noué son meilleur tablier. Une nouvelle épreuve l’attend ce jour, comme de coutume l’inventaire doit être dressé. Son frère Rémi est déjà là, son neveu André Durieu prénommé comme son pauvre époux ne saurait tarder, seuls ses deux aînés sont restés, les plus jeunes sont chez leur grand-mère.
Jeanne est sur le qui-vive inquiète et anxieuse. Je le sais c’est ainsi.
Jeanne est sur le qui-vive inquiète et anxieuse. Je le sais c’est ainsi.
Sur le trajet j’ai été rattrapée par le notaire Louis Dupré qui a l’habitude de crapahuter le chemin muletier et d’assumer d’un pas aguerri de montagnard le dénivelé de 700 mètres depuis Montvernier. Arrivés dans le village, je m’engouffre à sa suite dans le logis de mes ancêtres et me confond au mur dans la pénombre.
Hubert Robert - Musée du Louvre |
Tous les protagonistes connaissent leur rôle, des papiers sont sortis, Louis Dupré s’installe, sort l’encrier et la plume, des échanges de propos en préliminaire et il commence.
Enfin je garde l’esprit de sa rédaction, sabrant les redondances propres au jargon notarial et à l’époque.
« Je soussigné Notaire curial m’étant porté de Montvernier mon ordinaire d’habitation au lieu de Montpascal ce 28 septembre 1702, pour procéder à l’inventaire de feu André feu Jean Cosme Durieu-Trolliet décédé depuis environ quinze jours qui a laissé divers biens et immeubles dans son hoirie à Rémy, Jeanne-Marie, Dominique et Benoîte ses enfants mineurs.»
Tiens seulement quatre enfants sont nommés, Jeanne a donc perdu trois petits et dire que la dernière Benoîte mon ancêtre est à peine âgée de deux ans.
Bon si j’étais un peu plus concentrée et écoutais Maître Dupré qui après un effet de manche fait crisser sa plume sur la feuille.
« m’étant adressé à ladite Jeanne Montaz-Rosset veuve dudit André Durieu-Trolliet, mère tutrice et curatrice de ses enfants nommée par le testament de feu son mari recueilli par moi soussigné et l’ayant interpellée de me dire tous les biens »
Premièrement en la maison moragine (1): Jeanne Montaz-Rosset m’a déclaré les meubles suivants :
Là dans la chambre du défunt : un lit en bois blanc mi usé ainsi qu’une armoire en bois blanc presque neuve et deux méchants bancs de bois blanc.
Sont cités ensuite la crémaillère à quatre jambes, une presse mi usée en bois blanc avec son contenant environ vingt quartes, deux poches de coton une neuve et une autre déjà râpée.
Une voix énumère : une tasse blanche, une tasse à feu, un tasse à eau mi usée et deux seaux de bois à tenir eau, ainsi que divers pots et trois pignottes presque usées.
Objets du quotidien dont on cerne grosso modo l’usage, dans la même pièce sont recensés deux lampes, une poche de fer, une poche de bois, douze écuelles, huit tranchoirs ainsi que des courroies de joug, quatre tonneaux et deux barils.
Rêveuse devant l’essartoire utilisée par André Durieu-Trolliet mon ancêtre, son marteau de maçon, sa scie, le marteau d’ardoise et la gouge, tous ces outils ont une âme.
Après un rapide coup d’œil dans la cuisine, le notaire inscrit un lit de bois blanc neuf, un coffre de bois avec fermeture presque neuf et une méchante table de bois blanc avec ses attaches.
Mouvement de l’assemblée vers l’extérieur pour se rendre au grenier situé un peu à l’écart de l’habitation, petite construction où en Maurienne est stocké tout de ce qui est précieux à l’abri du risque incendie.
Dans le grenier de mes ancêtres, André et Jeanne avaient quatorze draps de lits partie bon et partie mi-usés, deux nappes, deux serviettes et quinze chemises d’homme mi-usées, ainsi que douze livres de laine tant blanche que noire.
Ils y gardaient aussi quinze louis et vingt-quatre florins, et parmi les papiers un acquis pour le défunt à lui payé par Joseph Crozat pour une pièce de pré et terre du 27 juillet reçu par le notaire et différents acquis liés à un échange avec Jean-Baptiste Gallix.
A ce moment Jeanne Montaz-Rosset a réalisé mon étrange présence, son regard est interrogatif et pensif à la fois, paroles muettes de nous deux.
AD 73 Tabellion St-Jean de Maurienne |
Passage éclair du notaire dans la grange, qui marmonne : « Y ai trouvé du grain pour la nourriture de la famille et du bétail. »
L’efficace notaire rentre dans la maison, s’installe sur la seule mauvaise table, me réquisitionne au passage pour lui passer les feuillets : certains sont vierges, d’autres sont déjà annotés puisqu’il est le notaire de famille.
S’en suit l’inventaire des biens immeubles : à savoir la maison qui vient d’être décrite, mais aussi un autre bâtiment ailleurs dans le village consistant en une écurie et une grange avec un grenier.
Puis c’est au tour de l’énumération des terres avec le lieu-dit, et chaque fois la précision des noms des propriétaires qui confinent … au levant … au couchant … Au cours de ces litanies j'ai décroché, à croire que je ne suis pas complètement intoxiquée par la généalogie savoyarde, un bon nombre de terrains mais pas plusieurs pages ... Du côté du village voisin de Pontamafrey, je relève que le défunt avait la moitié d’une vigne avec les héritiers de son frère feu Hughes feu Jean Cosme.
Et Maître Dupré de sortir d'autres formules ampoulées, mais nécessaires, de rappeler les patronymes des témoins et leur parenté, un frère de la veuve et le cousin germain des pupilles, qu'il en soit remercié de me donner ces éléments, même s'il n'indique pas expressément qui sait signer.
Jeanne, ma chère Jeanne, les enfants que vous avez eu avec André ne sont pas sans rien, ils ont un toit, des biens, une parenté et surtout vous leur mère qui ne baissera pas les bras et se battra pour leur avenir, j'en suis certaine. Excusez mon intrusion en catimini, seule façon de vous rencontrer, mais sachez Jeanne - et très lointaine grand-mère - que j’ai éprouvé une très forte émotion à pénétrer dans votre univers quotidien qui fût aussi celui de votre époux. Ce fil invisible et ténu au travers d'un inventaire ne peut que conduire à un profond respect de tous nos anciens.
Billet rédigé dans le cadre du Rendez-Vous Ancestral
permettant d'aller à la rencontre de ses ancêtres
N.B. (1) les habitants de Montpascal sont des moragins et des moragines
Sources :
AD 73 Tabellion St-Jean de Maurienne 1702 2C 2448 vues 20-21
BMS Montpascal
Que j'aime les inventaires après décès, malgré les tristes circonstances qui conduisaient à leur établissement !
RépondreSupprimerAgréable visite de la maison en ta compagnie, même si on est triste pour la famille endeuillée.
RépondreSupprimerC'est impressionnant comme on peut réussir à retracer la vie de nos ancêtres grâce à ces inventaires !
RépondreSupprimerComme ces inventaires sont précieux !
RépondreSupprimerNotre curiosité de généalogiste se plaît à la lecture des inventaires après décès malgré leur circonstance. Au delà des objets, c'est toute une vie qui est décrite... celle d'André. Paix à son âme.
RépondreSupprimerA bientôt !
Sébastien
Comme il est difficile de retranscrire un inventaire sans en faire une liste d'objets sans intérêt. Tu as réussit à nous transmettre l'intense émotion du moment, en même temps que la découverte du lieu de vie de tes ancêtres, bravo !
RépondreSupprimerJe rêve moi aussi de trouver l'inventaire après décès de l'un de mes ancêtres mais cela n'a pas encore été le cas...