dimanche 31 mai 2020

Le savoir-faire du bâtier

Allez en piste pour découvrir le savoir-faire de Jean-Baptiste Parmier à l’occasion du généathème de mai suggéré par Sophie de la Gazette des Ancêtres sur les métiers d’arts, et merci au passage au notaire qui a mentionné sa profession ! Cet ancêtre à la 9ème génération était bâtier en Haute Maurienne en Savoie dans le village du Bourget, tout comme son père Dominique Parmier dit maître-bastier et peut-être son grand-père. 

Jean-Baptiste fils aîné de Dominique Parmier et Constance Buisson est baptisé dans l’église du Bourget le 1er juillet 1683, où ses parents s’étaient mariés en 1678, il grandit avec ses frères Martin et Barthélemy, et ses sœurs Marguerite, Anne-Marie et Dominique. A chaque union de la fratrie, le notaire est convoqué par Dominique le père : de la lecture en perspective. 

Jean-Baptiste, jeune veuf d’Anastasie Charvoz, s’est remarié en 1711 avec Marie Ratel mon ancêtre et la signature du contrat a fait l’objet d’un précédent billet : plusieurs robes pour Marie Ratel 



Dans ce village à plus de 1100 mètres d’altitude, et cette vallée de montagne sur la route du Mont-Cenis, mon ancêtre exerçait un très ancien métier nécessitant doigté et minutie pour équiper un animal de trait : âne ou mulet voire cheval parfois. 

En tentant de cerner le savoir-faire de Jean-Baptiste Parmier, j’ai découvert la diversité des bâts dits : à boutonner, français ou à fausses-gouttières, d’Auvergne ou de mulet ! Pas moins … 

Traditionnellement fabriqué en bois, le bât est monté sur deux arçons dont la forme épouse le dos de l'animal qui est protégé par deux coussins de paille entourés de toile. Le bât est fixé grâce à une sangle de cuir ajustable serrée sous son ventre . Deux autres sangles passant sous la queue et le cou servent à éviter le glissement du bât et de la charge vers l'avant ou l'arrière.

La dimension du bât doit s'adapter de façon précise au dos de l'animal et en fait chaque animal a son bât particulier, souvent non interchangeable, pour ne pas créer de plaie. De même l'angle d'ouverture, la précision du sanglage, le dispositif de matelassage sont destinés à éviter les blessures par frottement. 



Dans la pièce qui lui sert d’atelier, il détient comme matériaux principaux des peaux de mouton et de veau, des cuirs provenant du village voisin d’Avrieux, de la toile forte tissée dans les alentours. Il a des bourres pour matelasser certaines pièces de paille de seigle ou de bourre de mouton « dite blanche » enlevée par les tanneurs sur les peaux qu’ils vont apprêter, et évidemment du bois matière de base du bât ou les attelles du collier. 

De même, il a disposé dans des paniers, ou des boites en sapin, divers matériaux secondaires : du crin, de la laine en gros écheveaux, du fil gros, du fil blanc, de la ficelle, des clous de différentes sortes produits plus bas dans la vallée, des boucles pour les mors, et aussi de la colle. 

Tout bâtier qui se respecte veille à garder son atelier sec et bien aéré, en renouvelant l’air en raison des odeurs des bourres et des cuirs, et en s’éclairant avec une lampe – un créju ici en Savoie  – et non pas avec des chandelles à cause de la paille employée. 

Dans les outils spécifiques, il convient d’avoir sous la main des pinces de bois dont les mâchoires tiennent les peaux lors de la confection des coutures avec des aiguilles dénommées alènes, des couteaux à pied pour couper le cuir, des rembourroirs, marteaux ou poinçons et bien d’autres outils mystérieux pour tout quidam du vingt-et-unième siècle. 

Dans l’atelier, posés sur le sol : une forme composée de deux gros morceaux de bois qui sert pour les harnais communs, et un billot, sans oublier une table. 

Loin de moi l’idée, et l’aptitude à détailler l’art du bâtier-bourrelier : seul un long apprentissage permet de maîtriser toutes étapes de la confection d’un bât et ses accessoires ainsi que sa finition. Couper les peaux pour faire le collier, préparer des bandes de cuir pour faire des courroies, percer des trous avec une alène, préparer le fil qui est ciré avec de la poix, maîtriser les différents points pour que les peaux soient piquées correctement, sans négliger les modalités de rembourrage, 

Ce fût une découverte lorsque je me suis plongée – et un peu perdue – dans le métier de Jean-Baptiste Parmier qui œuvrait pour des marchands, deux d’entre eux furent témoins lors de la signature de son contrat de mariage. Pour ces marchands il convenait de prévoir une selle confortable mais aussi un solide dispositif pour permettre le port de lourdes charge – ballots ou malles – lié au commerce muletier. 

Fabrication certes, mais aussi réparations de certains éléments du bât, et dépannages de voyageurs car les routes étroites, caillouteuses et pentues mettaient à mal le matériel et les hommes ! 

Modeste ébauche d’un métier qui nécessite un long apprentissage, l’amour du travail bien fait, de l’organisation, de la précision pour ajuster en fonction du gabarit de l’animal, et des souhaits et besoins du client. Je ne sais si au détour d’un registre du Tabellion de Savoie on peut croiser un acquis pour prix fait… 

 
En lien avec le sujet ce billePrix fait pour un mulet


Sources 
CNUM Conservatoire Numérique des Arts et Métiers 

samedi 16 mai 2020

Sur le chemin de Charmaix

Eveillée ou en songe, peu importe lorsqu’on remonte le temps pour rencontrer ses ancêtres. Sur le chemin de Charmaix je dois me rendre en ce mois de mai 1858, et en Savoie je suis avec les proches de François-Benjamin Eard et son épouse Marie-Marguerite Long. Cette dernière, après moultes réticences et recommandations, a toléré que trois de ses filles m’accompagnent après avoir exigé que je me dote d’une coiffe d’emprunt. 

Avec moi Marie-Adélaïde récemment mariée, Marie-Rose mon aïeule de 24 printemps, et aussi Marie-Sylvie bien jeunette, toutes quatre comme tout pèlerin, nous allons emprunter à pied le chemin des oratoires jusqu’à la Chapelle de Charmaix. 

- Normalement c’est le 8 septembre que les pèlerins prennent ce chemin pour la procession solennelle, jour de la Nativité de la Vierge : assène l’aînée ! 

Après avoir laissé l’église de l’Assomption, et pris la direction du Pâquier, première chapelle et premier oratoire, je lorgne là-haut la montagne du Charmaix à plusieurs lieues de Modane, vaguement inquiète de l’ascension qui m’attend. 

Modane Le Pâquier - Delcampe
- Comme vous n’avez pas l’habitude, on va prendre notre temps pour monter, formule doctement Marie-Adélaïde. Tout au long du trajet s’élèvent des oratoires, liés au mystère du Rosaire, je vous expliquerai. 

Sentier pierreux, qui zigzague pour tenir compte de la pente, forêt de sapins et de mélèzes aux branches entrelacées, Marie-Rose mon ancêtre me donne le bras lorsque le chemin s’élargit, écarte des branches, tandis que la cadette prend de l’avance. 

L’aînée veille à mon instruction : le 3ème oratoire Botonnier est celui de la Nativité, suivi de ceux du champ des pins, et de l’entrée des bois. Les appellations me plaisent comme Fongelune, l’oratoire dit "du lacet 6" donne l’occasion de nous recueillir et surtout de reprendre souffle et d’admirer le paysage. 

Air doux et pur, odeur des arbres, tapis d’épines parfois ou cailloux-pièges à chevilles… 

Curieuse de l’origine de ce pèlerinage de Charmaix à une des vierges noires savoyardes, je m’entends raconter que les habitants de Modane placèrent d’abord la Vierge, protectrice des dangers de la route et des éléments naturels, dans une anfractuosité du rocher, puis ensuite l’abritèrent en construisant une chapelle. 

Marie-Rose la réservée m’a relaté « que François fils de Pierre Bertrand de Modane éprouva d’une manière particulière la protection bienveillante de Marie. Depuis l’âge de cinq ans jusqu’à douze, époque de sa guérison merveilleuse, il était non seulement boiteux, et ayant les pieds tordus, mais il était tellement faible des jambes qu’il ne pouvait faire un pas sans être appuyé sur deux béquilles. 

Un jour son oncle lui dit d’aller à la montagne du Charmaix et en passant devant la chapelle de Notre-Dame de jeter ses béquilles dans le sanctuaire et les offrir à la Sainte-Vierge et de les garder auprès d’elle, et dès lors sans secours il se dresse, fort et vigoureux, se met à marcher sans peine et va retrouver sa mère dans les champs, il vécut jusqu’à 66 ans. » 

Après une constante montée et marche de près de deux heures, arrivée à hauteur du 13ème oratoire, je suis frappée par un bruit sourd et lointain difficile à définir. Soudain à un brusque détour j’aperçois dans une gorge étroite et profonde une chapelle audacieusement suspendue à la paroi quasi perpendiculaire de la montagne. 

Chapelle du Charmaix  © OT Haute Maurienne-Vanoise 
Muette, figée à découvrir ce site, ce lieu de recueillement avec en soutien Marie-Rose Eard, une aïeule invisible et présente à la fois, comme tant d’autres ombres et feuilles de mon arbre ancestral. 

Le bruit est celui de l’impétueux torrent dont le lit accidenté précipite ses eaux en de nombreuses cascades, un solide pont de pierre comme suspendu à la cime de deux rochers qui servent d’appui permet à notre quatuor de passer sur la rive opposée et d’approcher la chapelle de Notre-Dame de Charmaix incrustée dans le flanc de la montagne. 

Ce modeste édifice comporte une galerie en bois, et une sorte de porche-narthex assez spacieux pour accueillir des pèlerins, l’entrée du sanctuaire est fermée par une grille. Marie-Rose m’invite à pénétrer dans la chapelle dont l’autel est composé de colonnes torses et d’ornements en bois sculptés et dorés. 

- Regarde là sur le piédestal c’est la statue miraculeuse de la Sainte Vierge qui tient notre Sauveur, observe la fine chape dorée et les têtes surmontées de couronnes aussi dorées, me chuchote encore Marie-Rose. 

Ses sœurs m’observent à la dérobée, il faut avouer que je me suis bornée à joindre les mains, ma façon de me concentrer, de me recueillir en quelque sorte. 

Touchante statue de Marie qui est l’œuvre d’un artiste local, de 45 centimètres environ, travaillée dans l’albâtre roche claire et transparente et peinte jusqu’à mi-corps en noir tandis que l’Enfant est entièrement noir. 

Mes « parentes » ne peuvent me révéler ce qui est caché par la chape, me souligner que la Vierge porte l’enfant Jésus sur le bras gauche presque à hauteur d’épaule et que ce dernier tient dans sa main une boule représentant le globe terrestre. 

Elles ne savent peut-être pas que la Vierge, sous cette chape, a le bras droit replié sur sa poitrine et tient un petit miroir à l’énigmatique symbolique : représente-t-il la pureté et la fidélité de l’amour ? Pas si anodine cette statue. 

- Comment sais-tu ? murmure Marie-Rose.

Et si dans ce lieu mystérieux, nos pensées parvenaient jusqu’à nos ancêtres ? 

Dans un site sauvage, où rugit un torrent au fond d’une gorge profonde, après avoir cheminé jusqu’à Charmaix, à la croisée de la généalogie, des croyances, de l’histoire, de l’art … 



Pour aller plus loin
Site du Sanctuaire de Charmaix