lundi 27 février 2017

Généalogie côté insolite : des curés chroniqueurs en Savoie

Un des généathèmes de février suggéré par Sophie de la Gazette des Ancêtres est d’aborder la généalogie par le côté insolite. En route donc pour la Savoie, et plus précisément Corbel petit village à 20 kilomètres au sud de Chambéry, où les prêtres se font chroniqueurs avec des notes  glissées entres les actes des registres paroissiaux.

  • Petite mise en bouche en 1787, avec un curé vigilant qui a fait réparer un mur touchant au jardin de la cure vraisemblablement, et aussi payé de sa personne avec des plantations. Cette petite note est ainsi libellée :

« Le 1er mars Me Fran(çois) Amblard a fini le mur du jardin et le lendemain j’ai planté le long de jeunes arbres pour empêcher le mur, très pénible à faire, de s’ébouler de nouveau, et si l’on venait dans la suite à labourer , il faut empêcher qu’on s’en approche »
 
 
  • Puis en 1822, après la Révolution Française, le Premier Empire et le Département du Mont-Blanc, la paroisse de Corbel est de nouveau sous le règne de la Maison de Savoie. Les registres paroissiaux - outre les classiques baptêmes, mariages et inhumations - contiennent des annotations portées par un autre prêtre, aussi chroniqueur. Dans la note de M. le Recteur Montmayeur, on a un résumé de la météorologie de l’année écoulée :

 « L’année qui vient de s’écouler a été beaucoup plus avantageuse qu’en 1820, car à cette époque les grêles du 20, 21, et 23 juillet avaient détruits tous les grins, au point que les habitants étaient obligés de conduire presque tous les samedis leur bois à Chambéry pour en apporter des vivres et des grins pour la subsistance des familles.

Mais la divine Providence combla de Bénédiction 1821, car on n’entendait pas seulement une personne qui se plaignit de la récolte ; on se plaignait au contraire que les bleds étaient à trop bon compte. Cependant le printemps fût très critique, souvent d’abondantes pluies ; mais l’automne fût très agréable et souvent point de neige jusqu’à la nuit du 1er de 1822. Le 19 du mois dernier il s’éleva un grand vent qui débuta par des éclairs et des tonnerres de Noël, qu’on aurait cru être au 23 du mois d’août ; ce vent dura 24 h et repris jusqu’au 1er de 1822. »

  • Dans la dernière note, toujours de 1822, M. le Recteur Rive relate dans le détail un séisme, évènement plus marquant et on le comprend, complété par des lignes sur les conditions climatiques de l’année :



 « Il semble que le Seigneur a voulu faire sentir sa puissance et donner une leçon au monde dans le courant de cette année qui vient de s’écouler. Car au temps du carnaval, le mardi gras, époque à laquelle on s’occupe plus que jamais de divertissements profanes et trop souvent  criminels, un tremblement de terre d’une durée de 25 secondes, opéré en trois ondulations bien distinctes s’est fait sentir très vivement le 19 février vers 9 heures et demi du matin, et a déconcerté plusieurs de ces parties antireligieuses. (sic)

Ce qu’il y a eu de singulier, c’est qu’on a relaté qu’en plusieurs  endroits où l’on prêchait, on parlait à cet instant de la mort, du jugement ou de l’abime qui s’ouvre. J’ai entendu moi-même ces derniers mots : et je me suis  cru tout de bon enseveli sous les voûtes de l’église d’Yenne où j’étais vicaire. Elle éprouva en effet une très forte secousse qui l’endommagea beaucoup, et la force du tremblement a fait s’écrouler un grand nombre de cheminées en divers endroits. »

 « Cette année a été encore marquée du doigt de Dieu par une sécheresse générale dans nos contrées, au point  qu’on aurait  bien pu compter près de trois mois suivants pendants lesquels, il n’a pas fait de pluie qui fût digne de remarquer. L’été et l’automne ont donc été presque sans eau, ce qui a porté grand préjudice à la récolte de toute espèce. Celle du vin a été cependant assez abondante et de très bonne qualité partout.

Cette paroisse est à bénir le Seigneur que ce fléau ne lui a pas fait autant de mal qu’aux autres. Les pommes de terres, ressource de ce pays, ont été en plus grande quantité et meilleure qualité ici que partout ailleurs, la sécheresse ne leur ayant pas été aussi nuisibles.
Deo gratias »

Il y eu effectivement un séisme le 19 février 1822 à Belley si l’on se réfère au mémoire sur les tremblements de terre ressentis dans le Bassin du Rhône d’Alexis Perrey, mémoire paru en 1844. Cet auteur précise qu’à 8 h 15 des rochers se fendirent. Ce n’est pas la même heure que celle indiquée par le curé de Corbel, mais la commune d’Yenne qu’il mentionne est proche de celle de Belley épicentre du séisme.

Alexis Perrey fait état d’un tremblement de terre ressenti depuis Dijon, Lyon jusqu’à Genève et Lausanne. « En Savoie, à Annecy et à Chambéry où plusieurs cheminées furent renversées. Dans le diocèse de Chambéry, plusieurs églises furent fortement ébranlées et gravement lézardées. A Aix, les sources thermales se troublèrent et perdirent leur odeur et leur saveur. »

Voilà où l’insolite peut mener. Le vocabulaire choisi du prêtre et le ton, un brin caustique, sur ses paroissiens en période de carnaval, me le fait imaginer réfléchissant, à la lumière d’une chandelle, sur les tournures à employer, avant de tremper sa plume dans l’encrier, et de noircir d’une écriture lisible et fort régulière le registre.
 
 
Sources
Archives départementales Savoie 4 E 1475 vue 111 et  4 E 4178 vues 6 et 9

Mémoire sur les tremblements de terre ressentis dans le Bassin du Rhône- Alexis Perrey - Parution dans les annales des sciences physiques et naturelles d’agriculture et d’industrie-1844- Société royale d’Agriculture de Lyon

3 commentaires:

  1. J'apprécie beaucoup toutes ces mentions découvertes au hasard des pages des registres. Cela permet de se faire une idée sur les mentalités de l'époque où elles ont été rédigées.

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  2. Merci de nous faire partager ces notes insolites que nous ont laissées certains curés. Je n'ai pas encore eu la chance d'en trouver au hasard de mes recherches, mais désormais j'ouvrirai l'oeil !

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  3. J'adore ce genre de notes ! Vous avez bien de la chance à Corbel !

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